Onze propositions pour l’investissement immobilier
En amont de la présidentielle, l’Association française des sociétés de placement immobilier (Aspim) porte une série de propositions en faveur de l’investissement immobilier collectif. Les explications de Jean-Marc Coly, son président, et de Véronique Donnadieu, déléguée générale de l’Aspim.
Profession CGP : Qu’est-ce qui a motivé la rédaction de ces propositions ?
Jean-Marc Coly : A l’approche des élections présidentielles de 2022, nous voulions que ce fleuron national que constitue la filière immobilière occupe la place qu’il mérite dans le débat politique. Longtemps, les valeurs mobilières ont dominé le marché de la gestion collective. Mais depuis 2008, la gestion de fonds immobiliers a acquis ses lettres de noblesse. Elle est aujourd’hui parvenue à maturité et représente un segment à part entière de la gestion collective. En témoigne le succès de la collecte !
Or l’investissement immobilier reste trop souvent perçu par le monde politique comme un simple produit de rente, au seul bénéfice de l’investisseur. Ce discours occulte la réalité du secteur, et en particulier la manière dont la rente immobilière contribue de deux manières à la productivité.
D’une part, les revenus distribués aux millions de porteurs de parts constituent un vrai flux de capitaux, propres à alimenter les secteurs qui en ont besoin, et d’autre part, les capitaux collectés auprès des particuliers sont investis et concourent à l’atteinte d’objectifs sociétaux et économiques essentiels.
Nous voulons aujourd’hui partager cette réalité avec les politiques, souligner la façon dont, au-delà de la rente, l’investissement immobilier sert l’économie. Cette dimension sociétale doit être reconnue car c’est elle qui permet de donner du sens à l’épargne. Le changement est d’ailleurs déjà à l’œuvre : le politique se complaît à pointer du doigt la rente, mais il sait aujourd’hui qu’il en a besoin… Nous sommes revenus dans le match !
Comment avez-vous travaillé à l’élaboration de vos propositions ?
J.-M. C. : En collaboration avec l’Ifop, nous avons commencé par mener une enquête intitulée « Les Français et l’investissement immobilier », afin d’analyser la manière dont nos concitoyens considèrent l’immobilier. Cette étude a confirmé l’attachement sans faille des Français à la pierre et la reconnaissance de l’utilité du secteur pour l’économie du pays. Elle a aussi permis de définir les grands thèmes de réflexion, autour desquels nous avons ensuite travaillé avec un panel d’experts (économistes, chercheurs…) pour chaque thématique, afin d’élaborer onze propositions. Chacune de ces propositions a alors été soumise et adoptée par les adhérents de l’Aspim – des gérants de portefeuilles –, fins connaisseurs de la réalité du marché et de ses enjeux. Nous les avons rendues publiques et les avons portées aux candidats à l’élection présidentielle, dans l’optique d’avancer avec eux sur ces propositions.
Quels constats ont orienté vos propositions ?
Véronique Donnadieu : Du point de vue immobilier, la crise de la Covid-19 a accéléré des évolutions déjà à l’œuvre bien avant 2020. L’immobilier apparaît souvent comme une classe d’actifs figée, mais ce n’est absolument plus le cas ! Il y a énormément à faire pour accompagner les changements sociétaux qui affectent aujourd’hui le bureau, le commerce, la logistique, la santé… Toutes ces fonctions répondent à des besoins auxquels il importe de s’adapter. La problématique du logement est également prégnante ; les enjeux sont multiples, liés aussi bien à l’évolution de nos modes de vie qu’aux questions environnementales.
Plusieurs sujets se sont dégagés du travail de réflexion que nous avons mené : le pouvoir d’achat, le logement, l’environnement… Des problématiques qui se raccrochent aux grandes thématiques de la campagne présidentielle. Car, c’est un fait : quel que soit le domaine observé, l’immobilier est toujours sous-jacent. Or bien que nous ayons vocation à accompagner les acteurs économiques au quotidien en finançant leurs cliniques, maisons de retraite, locaux et bureaux, et autres murs d’activité, notre rôle n’est absolument pas mis en avant. Une étude que nous avons réalisée avec EY, en 2019, chiffre la manière dont l’investissement immobilier contribue pourtant à la richesse nationale. Ainsi, en 2018, l’investissement immobilier collectif non coté apportait deux milliards d’euros au financement de la construction neuve et 580 millions d’euros aux travaux d’entretien et rénovation. Il apportait également 1,5 milliard d’euros de contributions fiscales aux collectivités locales. Le non-coté créait ou pérennisait par ailleurs quarante-trois mille emplois locaux non délocalisables, avec 53 % du parc immobilier situé en région. Quant à la collecte annuelle, elle représente 8 milliards d’euros par an, une manne énorme qui se déverse sur l’immobilier et qui permet de développer l’activité, créatrice de valeur.
Le moment paraît opportun pour rappeler notre rôle de partenaires des grandes thématiques de politiques publiques évoquées par tous les candidats, vers lesquelles notre expertise permet de flécher l’épargne afin de lui donner du sens.
Que proposez-vous en matière de logement ?
J.-M. C. : En France, à une exception près, il n’y a aucun fonds immobilier dédié à cette thématique. Et seuls 14 milliards d’euros sont positionnés sur le résidentiel sur les 260 milliards de capitaux gérés par nos adhérents. Une aberration dans le contexte actuel, où les prix élevés et l’insalubrité d’une partie du parc immobilier compliquent l’accès au logement. La solution que nous prônons consiste à diriger une partie de l’épargne vers des fonds – à créer – qui proposeront un investissement dans le logement des Français à loyer abordable. Jusqu’à présent, les politiques ont toujours privilégié des mesures temporaires, à l’instar de la loi Pinel. Conséquence : à terme, les logements repartent souvent dans le secteur libre. Ils risquent aussi d’être moins bien gérés lorsqu’ils sont détenus par un particulier. Ce sujet crucial mérite une gestion professionnelle et un engagement pérenne : pour que l’investissement immobilier offre une vraie réponse aux enjeux du logement, il faut d’une part que les épargnants ne dépendent pas de mesures fiscales temporaires, et d’autre part que la performance des fonds soit à la hauteur de leurs attentes.
Justement, comment générer une meilleure performance de l’immobilier résidentiel ?
J.-M. C. : L’objectif est d’améliorer la performance sans augmenter les loyers. Les FIA peuvent constituer d’excellents instruments au service d’une politique publique. Notre ambition vise à concevoir une mesure durable dans un cadre fiscal normal, afin de sortir des mécanismes de portée temporaire. L’idée consiste à transposer vers le résidentiel des règles qui s’appliquent aujourd’hui à toutes les autres typologies d’actifs. En effet, lorsque nous achetons des immobiliers de bureau, de logistique, entre autres, nous récupérons la TVA qui a grevé l’investissement, soit 20 %. Le prix de revient s’élève donc pour ces biens à 80. Or, le logement ne bénéficie pas de cette récupération de TVA. Elle permettrait pourtant de diminuer les prix d’acquisition de 20 %. En contrepartie, nous pourrions rembourser cette avance à l’Etat au fil du temps en prélevant une TVA sur les loyers, tout en les maintenant à un niveau inférieur à celui du marché pour nos locataires. Voilà un mécanisme durable qui suffirait à inscrire le logement dans le panel des investissements intéressants. Et nous sommes prêts à faire des efforts ! Avec ce mécanisme, il ne sera plus nécessaire de donner congé aux locataires et de remettre le bien dans le secteur libre, comme cela se fait aujourd’hui. Pour les locataires, ce système est également la garantie d’un logement de qualité, car il y aura aussi des engagements en termes qualitatifs, et en termes environnemental et sociétal, notamment. Nous sommes capables de collecter et déverser quelques milliards d’euros par an sur le résidentiel, comme nous l’avons prouvé avec le Pinel. Cela représenterait un nombre important de logements durablement investis, répartis sur tout le territoire en fonction des besoins, indépendamment du lieu de vie de l’investisseur. Nous demandons seulement à l’Etat de nous aider à stimuler ce mouvement.
Quelles sont vos préconisations concernant l’environnement ?
V. D. : Le secteur immobilier fait montre d’une ambition marquée sur l’environnement, l’ISR et l’ESG. Nos propositions entendent objectiver les enjeux du secteur, ainsi que le rôle du bâtiment et du gestionnaire sur ces questions. Une première proposition porte sur l’harmonisation des labels au niveau européen. La France est très en avance du point de vue de la réglementation comparée aux autres pays d’Europe. Elle s’est mobilisée très tôt pour la création du label ISR, avec d’ailleurs l’initiative de l’Aspim pour les actifs immobiliers. L’objectif était de formaliser une démarche structurée au niveau du portefeuille lui-même, pas seulement au niveau d’un actif. Ce label rencontre un grand succès. Un an après sa publication, quarante-deux fonds sont labellisés, soit 18,5 % du total de la valeur du patrimoine. Ceci témoigne d’une volonté des acteurs de l’immobilier de se saisir de la question environnementale. De leur côté, les réglementations européennes se met en place, mais pas forcément en cohérence avec ce qui a été fait en France. Or il est vital de ne pas se laisser distancer sur ces sujets, et de ne pas laisser apparaître une concurrence de labels moins ambitieux que le nôtre. Il faut donc dialoguer avec l’Europe, travailler à l’harmonisation des labels afin que les efforts de la France ne soient pas ruinés.
J.-M. C. : Plus technique, notre deuxième proposition en matière environnementale entend aider le secteur à s’engager plus amplement dans la rénovation énergétique. De nombreux dispositifs fiscaux encouragent les particuliers à atteindre ces objectifs environnementaux. Pour nous permettre d’accélérer la transition énergétique des patrimoines que nous gérons pour le compte de ces mêmes clients particuliers, il nous semblerait raisonnable de leur faire bénéficier, lorsqu’ils investissent indirectement au travers de nos fonds, de dispositifs fiscaux d’incitation proches de ceux dont ils profitent lorsqu’ils investissent en direct. Cet alignement de traitement serait d’autant plus mérité que, dans ce domaine, où les budgets de rénovation sont lourds, l’engagement fort des fonds d’investissement décuplerait l’efficacité des rénovations énergétiques.
Vous mettez également l’accent sur les seniors et la dépendance…
V. D. : Ce n’est pas un secret : les retraites des jeunes seront plus compliquées à financer que celles des retraités actuels. L’immobilier doit occuper une place importante dans la constitution de l’épargne-retraite et salariale de demain, en particulier par le biais de fonds logement, en mesure de servir les rentes nécessaires, à l’image de ce qui est déjà possible ailleurs dans le monde. Le financement de la dépendance est également un sujet crucial pour l’avenir. Or une grande part de l’épargne immobilière est détenue par des gens assez âgés. Il importe, non seulement d’accélérer le processus de transmission de cette épargne, mais également de permettre aux détenteurs d’utiliser cette épargne pour financer leur propre dépendance au travers de mécanismes, comme le viager, le démembrement de propriété, l’emprunt hypothécaire… Les fonds immobiliers pourraient collecter des capitaux et les investir dans ce type de stratégie.
Quid de la compétitivité à l’échelle européenne ?
J.-M. C. : La gestion immobilière en France est ultra-performante. Mais la réglementation fait barrage à la distribution de nos fonds au-delà de nos frontières. Nous souhaitons que la France favorise la commercialisation de nos produits immobiliers à l’échelle européenne. Rappelons que, par essence, le patrimoine immobilier est indélocalisable. Il n’empêche que si nous voulons être performants au niveau européen, nous devons être en capacité de vendre nos produits hors de nos frontières. Faute de quoi, nous risquons fort de voir affluer chez nous des produits financiers étrangers. Mieux vaut donc être conquérants que conquis ! Ce développement international passe par la mise en place d’une fiscalité française adaptée, afin d’éviter la double imposition des revenus immobiliers entre le pays d’investissement et la France ou le pays du porteur de projet et la France.
Comment se porte le marché des SCPI ?
J.-M. C. : Le passage de la crise de Covid-19 a bien sûr affecté le marché des sociétés civiles de placement immobilier, mais nous retrouvons finalement aujourd’hui des niveaux de collecte proches de ceux réalisés en 2019. Preuve que les épargnants nous font confiance et que la performance les satisfait. Il n’y a pas, en 2021, de souci de liquidité sur le non-coté. Bien entendu, certains fonds investis dans le commerce ou l’hôtellerie souffrent davantage, nous observons aussi quelques renégociations de loyers sur le bureau, et certaines utiliseront, cette année encore, le report à nouveau pour servir leur performance… Mais ces phénomènes restent limités. D’une façon globale, nous ne voyons pas de signe d’alerte. Les valeurs d’expertise sont d’ailleurs en augmentation cette année ; nous devrions rattraper les pertes de l’exercice précédent. La vraie tendance concerne plutôt l’émergence de nouveaux secteurs plébiscités par les investisseurs (santé, logistique, viager, etc.), face à des secteurs anciennement privilégiés, mais qui collectent aujourd’hui moins qu’avant la crise. Ce phénomène illustre les préoccupations sociétales des épargnants.
Nous observons aussi un nombre croissant d’unités de compte dédiées à l’immobilier. Le vecteur de distribution de l’assurance-vie commence en effet à s’organiser. Ces unités de compte sont généralement orientées sur des thématiques plus spécialisées, où la profondeur de marché français pourrait poser question… A ce titre, l’échelle européenne est particulièrement intéressante. Ces nouveautés n’empêchent pas le bureau de conserver une part significative de la collecte. Sur ce secteur, les performances seront conformes aux attentes et tout à fait correctes.
A cet égard, pourquoi de nouvelles modalités dans le calcul des performances ?
J.-M. C. : Le taux de distribution va en effet remplacer le taux de distribution sur valeur moyenne. L’objectif était de rendre les indicateurs de performances plus transparents et de permettre de comparer les produits plus facilement entre eux à l’échelle européenne. Le taux de rendement tiendra ainsi compte de la fiscalité à l’étranger sur les immeubles détenus.
Nous modifions aussi la valeur de référence. En effet, la notion de valeur moyenne écrasait tout. Désormais, c’est le prix au 1er janvier de l’année qui servira de référence. Le taux de distribution tiendra également compte de la valorisation, en plus du dividende. Il donnera donc une performance globale, permettant de comparer une SCPI avec un OPCI, par exemple. Une lisibilité attendue alors que l’offre se développe et se diversifie… !
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