Eric Bendahan (Eleva Capital), un gérant philanthrope et passionné
Grand spécialiste de la gestion actions européennes, Eric Bendahan dirige, depuis 2014, sa propre société de gestion, Eleva Capital, qui se distingue par son indépendance, sa stratégie d’investissement originale et son engagement philanthropique innovant auprès de l’Unicef. Portrait.
Rencontre avec un passionné ! Cette passion, c’est celle qu’Eric Bendahan voue aux marchés financiers… Séduit de longue date par les métiers de l’investissement, il emprunte la voie royale pour intégrer le monde de la finance : prépa HEC et grande école de commerce parisienne, en l’occurrence l’Essec, où il décroche une maîtrise de commerce et gestion. En véritable féru, il crée le club d’investisseurs de l’école. Il obtiendra aussi plus tard le prestigieux titre de Chartered Financial Analyst (CFA), l’un des examens les plus difficiles au monde. « Quelques années à bûcher le week-end », minimise-t-il…
Meilleur gérant actions Europe en 2005
Pour l’heure, Eric Bendahan a une hâte : entrer dans la vie active. « J’ai fait les études les plus courtes possible afin de commencer à travailler », confie le jeune diplômé. Il arrive en février 1999 chez Axa Investment Managers, à Paris, comme assistant de portefeuille pour la gestion des fonds propres de compagnies d’assurance. Une opportunité pour celui qui rêvait d’intégrer au plus vite le monde de la gestion.
Par un concours de circonstances, il est rapidement amené à prendre des décisions de gestion, sous la houlette de son responsable de l’époque, et intervient notamment sur des investissements en France et en Italie. Il prend en charge le fonds Axa Europe du Sud, spécialisé sur les marchés boursiers portugais, espagnol, italien et grec, des pays où les sociétés connaissent alors une forte progression leur permettant de rattraper les économies plus développées du nord de l’Europe. « J’ai eu la chance de gérer un portefeuille, avec des thématiques internationales sur des géographies de croissance, souligne Eric Bendahan. Cela m’a permis de commencer un track-record sur un fonds assez libre en termes de contraintes de gestion, notamment en investissant dans des sociétés familiales. »
C’est une réussite ! Le désormais responsable European Equity Fund d’Axa Investment Managers reçoit les honneurs du classement Citywire qui publie, en 2005, le tout premier guide du Top 100 des gérants de fonds actions en Europe. Distingué pour ses rendements corrigés du risque (risk adjusted returns), Eric Bendahan monte sur la première marche du podium parmi quelque deux mille cinq cents confrères et consœurs analysés par le groupe international d’informations financières.
Ce Top 100 recense les gérants ayant produit les meilleures performances pour les fonds qu’ils ont gérés au cours des trois dernières années, compte tenu des risques pris par rapport aux références de ces fonds.
C’est d’ailleurs la première fois qu’un classement s’intéresse au talent des gérants – qu’ils gèrent un ou plusieurs véhicules – plutôt qu’à la performance des fonds eux-mêmes. La même année, Eric Bendahan rejoint la banque Syz & Co et s’installe à Londres. Nous sommes en novembre 2005. Il se voit confier la gestion du fonds Oyster European Opportunities. « Le fonds pesait 1,5 milliard d’euros, une assez belle taille donc, se souvient-il. Avec un style de gestion très personnel, le précédent gérant avait connu beaucoup de réussite. » Il gérera bientôt les fonds Oyster European Selection et Oyster Continental European Selection. Trois OPCVM de droit luxembourgeois donc, sur des stratégies en actions européennes.
Eric Bendahan s’entoure d’une équipe de gestionnaires et d’analystes, et commercialise les fonds auprès d’investisseurs en Europe, en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine qui apprécient son style de gestion. « Cette expérience au sein de la banque Syz & Co a été extrêmement formatrice. Elle m’a permis de discuter avec une clientèle pointue et de découvrir les arcanes d’une société de gestion au format plus resserré, dont le moteur était la performance. Il fallait parvenir à se démarquer ! », reconnaît le gérant. Sous son impulsion, les actifs enregistrent une belle croissance. Il gère environ 2,4 milliards d’euros lorsqu’il quitte la banque en août 2014.
Une société indépendante à Londres
Car depuis quelque temps, le jeune banquier réfléchit à créer sa propre structure de gestion. L’aventure entrepreneuriale le tente… Après avoir longuement occupé la position d’arbitre ou d’examinateur, l’envie le titille d’être à la fois juge et partie. Il signe un arrangement amiable avec la banque Syz & Co et crée la société de gestion Eleva Capital en septembre 2014. Un nom inspiré à la fois du latin elevare et des prénoms de ses quatre filles, Eléonore, Esther, Eve et Alice. C’est à Londres, toujours, qu’Eric Bendahan décide de baser la nouvelle société. Aux côtés du jeune président-gérant d’Eleva Capital, deux directeurs généraux : Axel Plichon, responsable des relations investisseurs, et Armand Suchet, gérant adjoint qui rejoint l’aventure quelques mois plus tard.
Il fait le choix d’une société pleinement indépendante ; aucun partenaire institutionnel ne figure au capital d’Eleva. Un vrai pari ! « Nous ne voulions pas être liés, comme dans une structure de banque privée. Je ne voyais que des avantages à cette indépendance. Il était toutefois un peu angoissant de nous lancer dans cette situation ; nous n’avions pas l’actif sous gestion minimum… Mais nous étions dans une situation suffisamment confortable pour repartir de zéro, sans asseoir d’emblée les finances de la société », explique-t-il. Il dispose ainsi de 25 M€ le jour du lancement d’Eleva Capital. C’est moins qu’espéré, mais les clients sont immédiatement au rendez-vous. Créé en janvier 2015, le premier fonds, Eleva Europe Selection, reçoit un bel accueil des investisseurs. Il reste à ce jour le plus important en termes d’encours. « Le développement s’est fait à un rythme soutenu dès la première année ; nous étions aidés par les marchés », se remémore Eric Bendahan.
Se doter d’un but philanthropique
Dès le début, la société s’engage dans un projet philanthropique, une initiative assez répandue au Royaume-Uni : elle lance sa propre fondation et signe un partenariat exclusif et de long terme avec l’Unicef. « Cette dimension caritative était pour nous très importante. Notre activité nous amène à juger de nombreuses entreprises sur ce qu’elles font ; il nous paraissait logique de montrer l’exemple. Nous voulions que les collaborateurs arrivent le matin avec la satisfaction de travailler dans une société qui mène des actions mesurables. Ils participent d’ailleurs chaque année à l’élection des nouveaux projets que nous soutiendrons », explique Eric Bendahan. Dix pour cent des bénéfices de la société avant bonus sont dirigés vers la Fondation Eleva. Un niveau conséquent donc, qui permet d’éviter de devoir procéder à un arbitrage, et qui fait figure de modèle pour l’industrie financière.
Le choix de l’Unicef s’est imposé comme une évidence. Eric Bendahan était déjà impliqué à titre personnel avec l’organisation et avait pu apprécier sur le terrain les efforts déployés, dans des zones souvent complexes. « Je me reconnais un peu dans le travail que fait l’Unicef depuis sa création, appuie-t-il. J’ai aussi plusieurs enfants à la maison et suis sensible aux questions touchant leurs droits et leur protection. J’avais envie d’allier cet intérêt personnel fort à la dimension professionnelle de ma vie et de donner un but à Eleva Capital. » La société de gestion a déjà accompagné une vingtaine de projets, comme la création de cliniques de natalité, d’écoles, des projets éducatifs, sociaux, des programmes de nutrition pure, des campagnes de vaccination…
Retour réussi à Paris
Moins de deux ans après sa création, et alors que la société est en pleine ascension, le Brexit vient contrarier les perspectives d’Eleva Capital. Quatre-vingt-cinq pour cent des débouchés commerciaux de la société s’opèrent en Europe occidentale. Il n’est pas concevable de demeurer plus longtemps dans cet environnement séparatiste. Observant l’évolution de ses encours, la jeune société se convainc de l’intérêt de se rapprocher de ses clients. Dans les semaines qui suivent le référendum, décision est prise de revenir en France. « Nous voulions être parmi les premiers à rentrer pour limiter les risques opérationnels », explique Eric Bendahan.
Le temps de créer la nouvelle société de gestion, et le retour à Paris est acté en juin 2017. Une base satellite demeure à Londres pour le back et le middle-office. « Nous avons été très bien reçus en France, notamment par l’AMF ; il nous a bien sûr fallu un petit temps d’adaptation, mais nous sommes très heureux d’être revenus, poursuit le président d’Eleva Capital. Paris reste une très grande place de marché et l’accès aux entreprises est pour nous facilité. Les entreprises multiplient d’ailleurs les efforts vis-à-vis des sociétés de gestion françaises. Je suis franchement ravi d’être en France, tant au plan professionnel que personnel. »
Le retour en France est aussi l’occasion pour la jeune société de diversifier ses débouchés commerciaux et de se renforcer sur la clientèle des CGP indépendants, rapidement séduite par les stratégies d’Eleva Capital. En interne, Cyril Hourdry pilote les initiatives en direction de ce segment de marché. Alors que la société de gestion était initialement tournée vers les institutionnels et la distribution en banque et assurance, les indépendants drainent aujourd’hui dix à quinze pour cent de la clientèle. « Notre objectif reste de capter une clientèle toujours plus diversifiée, avec des horizons de temps et de placements différents », précise Eric Bendahan.
L’arrivée à Paris s’accompagne donc d’une accélération du développement d’Eleva Capital. Aucun client – en France ou à l’international – ne fait défaut. La société songe d’ailleurs à accentuer ses efforts de distribution avec, pourquoi pas, des antennes dans d’autres géographies, comme la Suisse ou l’Italie…
Une stratégie de gestion originale
La gamme de fonds ne cesse de s’élargir sur des thématiques toujours très paneuropéennes et une stratégie d’investissement opportuniste. D’abord fondée uniquement sur des solutions en positions acheteuses (long), l’offre s’enrichit bientôt de la stratégie Absolute Return qui vise une performance absolue sur une approche long-short. Sont également créés des fonds obligataires et à impact. «Nous privilégions dans notre gestion une philosophie d’investissement basée à la fois sur des éléments bottom-up et des éléments top-down, avec toujours une analyse macroéconomique, ce qui nous démarque un peu sur le marché et nous aide beaucoup en période de ralentissement macroéconomique, détaille Eric Bendahan. Nous regardons notamment les sociétés familiales ou issues de fondations, et recherchons des sociétés avec un modèle économique très différencié dans leur segment, qu’elles aient une approche disruptive, ou une stratégie prix très personnelle. Cette approche nous permet d’identifier des sociétés en très fort développement. » La zone de compétence reste européenne, fidèle à l’expertise du président d’Eleva Capital, même si celui-ci ne s’interdit pas d’élargir l’horizon dans le futur, notamment dans le cadre de stratégies en actions globales.
L’objectif n’est en tout cas pas de lancer dix stratégies à la fois ! Les gérants cherchent avant tout à proposer des solutions performantes, différenciées, et répondant aux attentes des partenaires distributeurs. Ils privilégient pour cela une approche pas à pas afin d’identifier les besoins, et misent ensuite sur le segment qui n’offre pas encore de réponse pertinente aux clients. « Nous essayons d’être très proches de nos clients pour comprendre leurs attentes, indique Eric Bendahan. Lorsque nous repérons un certain nombre de besoins et d’opportunités en termes de gestion, nous allons de l’avant et essayons d’être rapides. Nous développons une nouvelle stratégie par an en moyenne. Nous ne pouvons nous permettre d’être un supermarché de la gestion et de proposer une palette de soixante-dix fonds… ! »
Croissance continue
Pour s’adapter aux nouvelles stratégies de gestion déployées, l’équipe s’élargit. La société compte aujourd’hui une quarantaine de collaborateurs, avec un effectif toujours en croissance soutenue. Eric Bendahan s’entoure d’une équipe assez senior, à qui il délègue un certain nombre de fonctions managériales, se libérant ainsi du temps pour continuer de s’occuper de la gestion des portefeuilles. « J’ai une approche assez light de la direction !, plaisante-t-il. Je m’implique dans tout ce qui est clé, mais le gros de ma journée reste consacré à l’analyse des entreprises et du marché. J’ai même démissionné du conseil d’administration de la Sicav luxembourgeoise pour disposer de plus de temps… »
Eleva Capital traverse la crise sanitaire sans être réellement impactée. Certes, l’effet de marché initial envoie un signal très négatif, mais la société ne subit pas de désengagement de la part des investisseurs. Elle met en place d’importants moyens pour garder le contact avec la clientèle. En termes de gestion, la période s’avère même plutôt favorable, tant sur la performance absolue que sur la performance relative aux indices. « Nos indicateurs avancés nous ont en cela pas mal aidés, constate Eric Bendahan. Ce qui me manque le plus, c’est de pouvoir aller rencontrer les sociétés là où elles sont. On perd toujours un peu quelque chose avec le manque de proximité forcée. »
Près de 11 Md€ d’encours
Eleva totalise aujourd’hui 10,7 milliards d’euros d’encours gérés. « C’est plus que ce que nous espérions ! », confie l’heureux président. Certes, le chemin pour en arriver là n’a pas toujours été simple. En particulier au démarrage. « Au moment de commencer, il fallait être référencé. Or à cet égard, venir du monde de l’entreprise plutôt que du terrain fait perdre du temps. Nous étions notamment confrontés aux problématiques de ratio d’emprise qui interdit à un investisseur d’investir plus de dix pour cent des encours du fonds. D’où la nécessité d’enregistrer un grand nombre de petites souscriptions pour parvenir rapidement à l’effet d’échelle. Cela a constitué l’un de nos principaux défis au départ. A la fin de la première année, cette problématique était réglée. La question des souscriptions était plus “relax” ensuite ! », témoigne Eric Bendahan.
Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’humilité face à des années parfois plus compliquées en termes de résultats. Sans parler bien sûr de la menace qu’a très vite représentée le Brexit pour ce dirigeant cosmopolite dans l’âme… « Ma femme est Britannique, mon parcours international ; je n’imaginais pas que la construction européenne pût être cassée, ni que nous aurions à affronter cette difficulté lorsque nous avons créé la société », admet-il.
L’année 2022 signe pour le président d’Eleva Capital l’entrée dans un monde marqué de pas mal d’incertitudes. « L’accélération de l’inflation, la crise sanitaire qui continue, la dette des Etats qui reste élevée sont des paramètres à ne pas sous-estimer », prévient-il. Mais il rassure aussitôt : « Face à ces problématiques, nous pouvons compter sur des entreprises bien gérées, qui ont réussi à être très flexibles et qui générèrent des résultats forts, voire records. » Un contexte qui devrait permettre à la jeune société de gestion de poursuivre son ascension sur la place parisienne et de rayonner bientôt ailleurs…
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