Antoine Latrive (Astoria Finance) : « Le modèle du CGP isolé appartient au passé »

Par : Benoît Descamps

A coups de rachats, Astoria Finance est devenu, en fin d’année dernière, le plus important cabinet indépendant de gestion de patrimoine. Retour sur cette spectaculaire croissance en compagnie de son dirigeant, Antoine Latrive.

Profession CGP : Comment êtes-vous devenu CGP ?

Antoine Latrive : Après des études à ENASS-AEA, je me suis rapidement lancé en tant que courtier spécialisé dans l’assurance-vie en 2002. J’avais 25 ans. Rapidement, je me suis orienté vers la gestion de patrimoine au sens large, et mon cabinet s’est vite développé, notamment grâce à un bon référencement de notre site Internet, et de premières embauches. La demande des clients était forte à l’époque et la profession commençait à s’organiser, notamment sous l’impulsion de la loi de sécurité financière qui a créé le statut de conseiller en investissements financiers.

Quand avez-vous décidé de réaliser des opérations de croissance externe ?

A. L. : Dès 2007, nous avons souhaité nous renforcer par le biais de la croissance externe car nous estimions que nous avions besoin d’apporter d’autres services à nos clients et que cela passait par notre développement, et donc par le renforcement de notre nombre de clients. J’ai alors souhaité être accompagné par un institutionnel, en l’occurrence Naxicap.

Pour quelles raisons intégrer un institutionnel à votre capital ?

A. L. : En premier lieu, il s’agissait d’avoir les fonds nécessaires pour mener à bien nos acquisitions. Mais il s’agissait aussi de renforcer notre crédibilité auprès de nos clients en ayant une image solide. Naxicap a alors pris 20 % du capital de groupe Astoria. Entre 2007 et 2011, nous sommes passés de 5 à 50 millions d’euros d’encours. Puis le rythme des acquisitions s’est accéléré et nous avons acquis des portefeuilles dans toute la France.

C’est-à-dire ?

A. L. : En 2012, nous avons doublé de taille pour atteindre les 100 millions d’encours, puis les opérations sont devenues plus grosses, avec des rachats dont les stocks étaient de 60 millions et 35 millions en 2013, 120 millions en 2014 pour un cabinet à Mâcon, 200 millions d’euros pour un cabinet lillois (Beffroi Finance) et 120 millions pour un cabinet à Chambéry en 2015, 900 millions d’euros en 2017 pour le cabinet de Pierre Arraou basé à Pau, 200 millions d’euros pour le cabinet 123 Retraite et 2 milliards d’euros récemment à Paris pour Les Comptoirs du Patrimoine, un courtier Afer. Entre-temps, Naxicap est naturellement devenu notre actionnaire majoritaire.

Pourquoi avoir multiplié ces rachats ?

A. L. : Le monde des CGP dispose d’un fort potentiel. Si sa part de marché reste restreinte, l’offre des conseillers patrimoniaux libéraux correspond aux attentes de la clientèle le plus souvent déçue par les services apportés par leur banque traditionnelle ou leur banque privée. Néanmoins, et ce dès 2007, nous étions persuadés que pour perdurer sur notre marché, il convenait d’atteindre une certaine taille – au moins un milliard d’euros de stock – pour être un des acteurs qui compte sur le marché de demain. Le modèle de CGP isolé appartient, selon nous, au passé. La réglementation et la professionnalisation de notre activité nécessitent, en effet, des moyens informatiques et humains, et seuls les cabinets de taille importante peuvent amortir les coûts de structure qui se sont envolés ces derniers mois. S’agissant du nombre d’opérations réalisées, disons que nous avons souhaité saisir les opportunités qui nous ont été présentées.

 

Chiffres clés
Date de création : 2002
Nombre de clients : 45 000
Encours sous gestion : 4,1 M€
Collecte 2018 : 200 M€
Nombre de collaborateurs : 60 (15 recrutements en cours)
Bureaux : 14 (Paris, Rueil-Malmaison, Lille-Royal, Lille-Opéra, Mâcon, Chambéry, Pau, Biarritz, Dax, Tarbes, Auch, Agen et Tarbes)

Comment intégrez-vous ses structures ?

A. L. : Dans un premier temps, la marque des cabinets perdure, mais sous vingt-quatre mois, tous opèrent sous la marque Astoria. Parallèlement, nous unifions les modes de fonctionnement et la communication des structures. Aujourd’hui, nous avons une bonne connaissance de l’intégration de cabinet, avec des réussites et des loupés. C’est pourquoi sur dix dossiers que nous étudions, neuf sont rejetés.

Conservez-vous les dirigeants en place ?

A. L. : Si nous nous attachons à conserver une continuité avec les salariés, il est, selon nous, utopique de continuer à travailler avec le fondateur du cabinet et de l’intégrer à notre projet. Il est néanmoins important de prévoir une période d’accompagnement de quelques mois pour optimiser la transmission de clientèle. C’est d’ailleurs pour cette raison que, désormais, nous privilégions les acquisitions de cabinets déjà bien structurés car la clientèle existante et le cabinet sont moins dépendants du gérant-fondateur.

Que recherchez-vous dans les structures acquises ?

A. L. : L’opération doit nous apporter en termes de compétences ou de ressources humaines, ou alors parfaitement s’imbriquer dans notre modèle. Dans tous les cas, cela doit avoir un sens. Astoria n’est plus aujourd’hui dans une course à la taille.

L’heure est donc à la consolidation de toutes ces acquisitions…

A. L. : Tout à fait, nous sommes en pleine structuration d’Astoria et renforcement des équipes, avec aujourd’hui soixante collaborateurs, dont une trentaine de conseillers. Une quinzaine de recrutements sont en cours. Nous faisons évoluer nos systèmes d’information et réalisons notre transformation digitale avec comme objectif de toujours mieux servir nos clients. En parallèle, nous avons structuré notre service d’ingénierie patrimoniale constituée de trois personnes et notre service de gestion qui compte quatre spécialistes des marchés financiers. Nous travaillons actuellement sur la structuration du pôle ressources humaines.

Notre modèle reste néanmoins fortement axé sur une relation humaine de proximité avec le client et son environnement, avec un renforcement en région puisque nous avons aujourd’hui seize bureaux dans toute la France et nous comptons ouvrir deux nouveaux bureaux d’ici la fin de l’année. Et nous nous adressons à toutes les typologies de client, les plus jeunes constituant notre fonds de commerce de demain.

En avez-vous fini des acquisitions ?

A. L. : Non. Trois acquisitions – des cabinets parisiens – pour un total de 700 millions d’euros de stock sont en cours de finalisation, dont une en ce début de mois de juin. Aujourd’hui, nous privilégions les dossiers de taille importante car plus facilement intégrables. Pour les petits dossiers, nous devons déjà avoir une présence locale pour nous y intéresser.

Comptez-vous créer votre propre société de gestion ?

A. L. : Non, tout comme nous n’avons pas l’intention de créer de fonds dédié, car nous souhaitons nous prémunir de tout conflit d’intérêts. Globalement, nous n’avons pas l’intention de « verticaliser » notre profession.

Votre forte croissance vous a ouvert les portes de l’Apeci (Association professionnelle des entreprises de conseil en investissement)…

A. L. : Tout à fait, et c’est flatteur. A l’Apeci, les échanges autour du marché de l’épargne sont très intéressants et ouverts, car nous sommes avant tout des confrères plus que des concurrents. Cela permet de découvrir les nouvelles tendances de marché, d’échanger sur l’évolution de nos métiers, mais aussi de faire avancer la profession et de faire entendre la voix des distributeurs auprès de nos autorités de tutelle.

  • Mise à jour le : 27/06/2019

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