Les évolutions réglementaires récentes et à venir
Par Morgane Hanvic, avocat associé au cabinet Lexance Avocats AARPI, et Ghizlane Benjelloun Touimi, avocate collaboratrice au cabinet Lexance Avocats AARPI
Les intermédiaires d’assurance sont soumis à une réglementation dense qui fait souvent l’objet de précisions et de modifications. Tour d’horizon des principaux textes intéressant les distributeurs d’assurance.
Recommandation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), directives européennes, loi Industrie verte… Les évolutions réglementaires à venir touchant les intermédiaires d’assurance sont nombreuses.
La recommandation ACPR 2023-R-01 du 17 juillet 2023
Le 17 juillet 2023, l’ACPR a publié une nouvelle recommandation ayant pour objectif d’améliorer les dispositifs de gouvernance et de surveillance des produits d’assurance, qui a pris effet le 1er janvier 2024.
Différents thèmes sont abordés : la définition du marché cible, la distribution, la rémunération, les conflits d’intérêts. De nombreuses dispositions concernent les concepteurs et la gestion du marché cible. Mais des dispositions impactent également les distributeurs.
L’ACPR recommande notamment de proscrire les politiques de rémunération qui seraient susceptibles d’avoir un effet négatif sur la qualité du service fourni. La politique de rémunération ne doit donc pas inciter le distributeur et les sous-distributeurs à favoriser leurs propres intérêts au détriment de ceux du client. Par exemple, les distributeurs et leur personnel de vente ne doivent pas être incités à conseiller à un client une garantie optionnelle plutôt qu’une autre, alors qu’elle serait moins adaptée à ses exigences et besoins, l’intérêt du client devant toujours primer.
S’agissant d’un distributeur qui commercialise un produit auquel il a lui-même souscrit au profit de ses clients (distributeur souscripteur de contrats collectifs), l’ACPR considère que cette situation présente un risque de conflit d’intérêts qui doit être éradiqué.
La recommandation prévoit également des dispositions en matière d’assurance-emprunteur. L’ACPR indique qu’il est interdit d’instaurer une politique d’incitation financière ou commerciale à l’adresse des distributeurs, afin de favoriser la souscription d’une assurance-emprunteur placée auprès de l’entité assurantielle appartenant au même groupe que le distributeur. Ces recommandations visent à lutter contre le phénomène de marché toujours existant qui consiste pour les établissements de crédit à privilégier la souscription de l’assurance-emprunteur du groupe au détriment des délégations d’assurance.
Par ailleurs, les distributeurs doivent veiller à ne pas conditionner un taux d’emprunt plus bas à la souscription d’autres produits d’assurance du groupe, sans s’assurer au préalable que ces derniers sont cohérents avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel.
Les acteurs ont jusqu’au 1er janvier 2025 pour mettre à jour les conventions conclues avec les réseaux de distribution, afin de mettre en conformité les processus de gouvernance. Il faut donc s’attendre, pour les distributeurs, à des renégociations de convention et être vigilants dans la rédaction qui leur sera soumise.
La directive Retail Investment Strategy
Le 24 mai 2023, la Commission européenne a adopté la directive RIS. Ce texte doit encore être soumis au Parlement européen et au Conseil. Cette directive, une fois >>>
adoptée et transposée, impactera les intermédiaires d’assurance tant sur leurs obligations d’information et de transparence que sur les évaluations d’adéquation.
La directive a pour objectif de renforcer la protection des investisseurs en prévoyant diverses dispositions qui consolident les obligations d’information et de transparence des intermédiaires à l’égard des investisseurs, notamment en ce qui concerne les frais et les risques. Elle prévoit aussi de nouvelles exigences afin de lutter contre les communications publicitaires trompeuses qui mettent l’accent sur les avantages et minimisent les risques.
Afin de lutter contre les conflits d’intérêts, la directive prévoit un renforcement des contrôles sur les pratiques d’incitations financières. Elle interdit la rémunération des intermédiaires sous forme de commissionnement dans le cadre de la vente sans conseil (inapplicable en France).
La directive introduit également de nouvelles conditions pour percevoir des incitations (des commissions) : condition de transparence, le commissionnement étant proscrit si le conseil est dit indépendant. Ce sujet a soulevé de nombreux débats au sein des Etats membres, et la France s’est déjà dite contre la suppression de tout système de commissionnement. De nombreux amendements ont depuis été déposés, notamment par l’eurodéputé Stéphanie Yon-Courtin qui milite contre la suppression des commissions (voir les amendements 1050 à 1052).
Une fois le texte définitivement adopté, les Etats membres disposeront d’un délai de douze mois pour le transposer en droit interne et publier les textes de transposition qui devront entrer en vigueur dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la directive. La Commission européenne sera chargée de réaliser une nouvelle analyse d’impact cinq ans après l’entrée en vigueur de la directive.
La loi sur l’industrie verte
La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a introduit de nouvelles dispositions qui régissent l’activité des intermédiaires d’assurance. Elle impacte les mandats d’arbitrage de contrats d’assurance sur la vie et de capitalisation, et rappelle l’importance de proposer des arbitrages conformes aux exigences et besoins du client tout au long de la relation contractuelle.
Elle impose deux obligations en ce sens au mandataire :
- avant la conclusion du mandat d’arbitrage, il doit conseiller une orientation de gestion ou, le cas échéant, un profil d’allocation cohérent avec les exigences et les besoins du mandant et préciser par écrit, ou sur tout autre support durable, les raisons qui motivent ce conseil ;
- après la conclusion du mandat, il doit procéder à un contrôle régulier pour vérifier que le profil de gestion défini répond toujours aux exigences et besoins du client.
La loi prévoit également que le mandataire devra informer son client au moins une fois par an des arbitrages réalisés, et en cas de résiliation. Elle interdit aussi au mandataire de percevoir des commissions ou une rémunération à l’occasion d’opérations d’investissement ou de désinvestissement entre les supports proposés.
Par ailleurs, cette loi prévoit l’obligation d’introduire une part minimum d’investissement en actifs non cotés dans les contrats d’assurance-vie et PER lorsqu’ils sont en gestion pilotée (au moins 4 % des versements pour les profils équilibrés et au moins 8 % des versements pour les profils dynamiques).
Ces dernières dispositions posent la question de l’adéquation pour les profils les plus sécuritaires et de facto de la formalisation du risque par les intermédiaires.
La directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)
La directive CSRD fixe de nouvelles obligations en matière de reporting extra-financier. Son objectif est d’harmoniser le reporting de durabilité des entreprises et d’améliorer la disponibilité et la qualité des données ESG publiées. L’application de cette directive se fera progressivement jusqu’en 2026 selon les entreprises. Elle est applicable depuis le 1er janvier 2024 aux entreprises remplissant deux des critères suivants : plus de cinq cents salariés, plus de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires ou plus de 20 millions d’euros de total de bilan.
Les assureurs vont devoir analyser leurs performances s’agissant des trois piliers ESG et déterminer des actions d’amélioration. Pour répondre à ses obligations, l’assureur va devoir mettre en place de nouveaux flux d’échanges avec ses partenaires (exemple : analyser l’ensemble des impacts générés dans le cadre du traitement d’une déclaration de sinistre).
Là encore, les intermédiaires d’assurance ne sont pas directement concernés, compte tenu de leur taille, mais ils pourront l’être en tant que contributeurs aux reporting de données demandés par les assureurs.
Là encore la vigilance s’impose dans le cadre des obligations qui leur seront répercutées par les assureurs.
La directive CS3D
Le projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D) prévoit d’imposer aux entreprises d’intégrer dans leur politique de gestion et leurs systèmes de gestion des risques un devoir de vigilance. Ce projet leur impose d’identifier, prévenir et mettre fin à l’impact négatif de leurs activités sur les personnes et la planète. Avec ce texte, les grandes entreprises deviendront responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Ce texte devait faire l’objet d’un vote par le Conseil européen le 9 février dernier qui a été reporté sine die suite à l’intention de l’Allemagne de s’abstenir.
Bien qu’il existe déjà un devoir de vigilance en droit français, ce projet a un champ d’application plus large. En effet avec cette directive, le devoir de vigilance devrait désormais s’appliquer dans certains domaines à des entreprises employant au moins deux-cent-cinquante salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros.
Le secteur financier est temporairement exclu du champ de cette directive, il pourra y être intégré ultérieurement via une clause de révision. Même si pour le moment les intermédiaires d’assurance ne semblent pas directement concernés, ce texte reste à surveiller.
Le règlement DORA
Publié le 27 novembre 2022, le règlement DORA (Digital Operational Resilience Act) sur la résilience opérationnelle s’appliquera directement dans les Etats membres de l’UE à partir du 17 janvier 2025. Ce règlement définit des exigences pour renforcer et harmoniser la gestion des risques liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC), et à la sécurité des réseaux et des systèmes d’information au niveau de l’UE.
DORA établit un cadre détaillé et complet sur la résilience opérationnelle numérique pour les entités financières, avec pour objectif d’améliorer la sécurité informatique et la continuité des activités opérationnelles. Cette réglementation introduit également la mise en place d’un mécanisme de surveillance direct des prestataires de services TIC critiques au niveau de l’UE.
Ce règlement va impacter les assureurs qui vont devoir mettre en place un cadre de gestion des risques pour gérer les risques informatiques, évaluer les risques et leur criticité.
DORA introduit aussi une gestion des risques liés aux technologies de l’information et de la communication par des tiers, ce qui signifie que les compagnies d’assurance devront également évaluer les risques liés à leurs prestataires de services TIC.
En fonction des délégations et des systèmes d’échanges mis en place, les intermédiaires d’assurance seront eux aussi directement concernés.
Les intermédiaires d’assurance, qui ont déjà fait signe d’une grande capacité d’adaptation, vont devoir intégrer ces nouveaux changements dans leur pratique. Les conventions de partenariat existantes devront être adaptées pour en tenir compte.
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