Le Conseil constitutionnel rogne le pouvoir de sanction de l’AMF
Le Conseil constitutionnel a tranché. En abrogeant une disposition du code monétaire et financier, il interdit désormais à l’Autorité des marchés financiers de sanctionner ceux qui feraient obstruction à une enquête ou à un contrôle.
Dans sa séance du vendredi 28 janvier, dans sa décision n° 2021-965 QPC, le Conseil constitutionnel a abrogé une disposition qui permettait au gendarme de la Bourse d’infliger une amende à toute personne dont le comportement entravait le bon déroulement d’une enquête ou d’un contrôle diligenté par elle. Une disposition prévue dans le code monétaire et financier, issue d’une loi de 2013, et jugée par les Sages comme inconstitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel saisi
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel avait été le 4 novembre 2021 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 869 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du f du paragraphe II et du c du paragraphe III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Il est bon à savoir que l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel « un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue ».
Décision sur le fonds
Sur le fonds, les Sages se sont penchés, entre autres, sur le f du paragraphe II de l’article L. 621-15 du CMF qui prévoit que l’AMF peut prononcer une sanction à l’encontre de « Toute personne qui, dans le cadre d’une enquête ou d’un contrôle effectués en application du I de l’article L. 621-9, sur demande des enquêteurs ou des contrôleurs et sous réserve de la préservation d’un secret légalement protégé et opposable à l’Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu’en soit le support, et d’en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ».
Le Conseil constitutionnel a passé également au crible le c du paragraphe III du même article qui prévoit que « Pour les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à h du II du présent article, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant de l’avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé ; les sommes sont versées au Trésor public ».
Les sociétés qui avaient saisi le Conseil constitutionnel soutiennent que « ces dispositions ne définiraient pas précisément le manquement qu’elles répriment et institueraient une sanction manifestement excessive. Il en résulterait une méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines ». Elles dénoncent également, comme contraire au principe de nécessité des délits et des peines, « le cumul possible entre la sanction administrative prévue par ces dispositions et les sanctions pénales prévues à l’article L. 642-2 du code monétaire et financier en cas d’obstacle à une mission de contrôle ou d’enquête de l’Autorité des marchés financiers » et soutiennent, en outre que, « en permettant à l’Autorité des marchés financiers de sanctionner des personnes qui ne sont pas soumises à des obligations qu’elle a pour mission de contrôler, ces dispositions lui octroieraient un pouvoir qui empiéterait sur celui de l’autorité judiciaire, en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ».
Elles critiquent enfin « l’absence de possibilité de s’opposer aux demandes de l’autorité alors même qu’elles conduiraient la personne sollicitée à révéler des éléments relevant de la vie privée ou qu’elles tendraient à l’obtention d’aveux. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du droit de ne pas s’auto-incriminer ».
Une décision coup de tonnerre
Le Conseil constitutionnel a donc décidé que les dispositions du f du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, qui permettent de poursuivre les refus opposés aux demandes des enquêteurs et contrôleurs de l'Autorité des marchés financiers, « méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines ». Il est donc déclaré contraire à la Constitution. En revanche, le c du paragraphe III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, « qui ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit », est jugé conforme à la Constitution.
Non rétroactive, cette décision reste gênante pour l’AMF et rogne son pouvoir de sanction : désormais, l’AMF devra s’en remettre à un juge pénal pour faire sanctionner une personne faisant obstruction à une enquête. A moins que, selon certains experts en droit financier, elle ne demande au législateur de supprimer le délit d’entrave prononcé par les autorités judiciaires pénales, au profit du « manquement d’entrave » administratif.
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