Associés CGP : le recours à un administrateur provisoire
Par Morgane Hanvic, avocat associé, cabinet Lexance Avocats AARPI ([email protected] ; www.lexance-avocats.com)
Les intermédiaires CIF/CGP exercent la plupart du temps leur activité sous forme de société à associé unique ou entre associés. Les CIF/CGP peuvent alors être confrontés à des situations de mésentente ou de blocage nécessitant le recours à la désignation d’un administrateur provisoire.
Une société peut connaître au cours de son activité différents évènements venant perturber son cours normal de fonctionnement. Des solutions existent, néanmoins, en pareil cas. Rappelons tout d’abord les formes d’exercice autorisées pour les CIF/CGP.
Rappel des formes d’exercices autorisées
Le premier alinéa de l’article L. 541-2 du Code monétaire et financier, relatif aux conditions d’accès au statut de CIF en matière d’âge, d’honorabilité et de compétence professionnelle, vise les « conseillers en investissements financiers personnes physiques » et « les personnes physiques ayant le pouvoir de gérer ou d’administrer les personnes morales habilitées en tant que conseillers en investissements financiers ».
Il ressort de cette disposition que seules des personnes physiques peuvent gérer ou administrer une personne morale CIF et figurer en cette qualité au registre des intermédiaires tenu par l’Orias, selon l’article 1 de l’arrêté du 9 juin 2016 relatif au registre unique prévu à l’article L. 512-1 du code des assurances et à l’article L. 546-1 du code monétaire et financier. C’est donc toujours une personne physique qui est habilitée CIF et inscrite comme telle à l’Orias, même si elle exerce en société.
Les CIF exercent la plupart du temps sous forme de sociétés commerciales, bien que quelques-uns aient fait le choix du statut d’entrepreneur individuel qui ne leur est pas interdit.
Les formes juridiques sous forme de sociétés sont en général privilégiées, car elles permettent une protection des actionnaires ou des associés. Plusieurs formes existent, chacune présentant des avantages et des inconvénients en fonction des objectifs des associés. Pour ceux qui exercent seuls : l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), la société par action simplifiée unipersonnelle (Sasu). Et pour ceux qui exercent à plusieurs : la société anonyme à responsabilité limitée (Sarl), la société par actions simplifiées (SAS), la société anonyme (SA), la société en nom collectif (SNC), la société en commandite par actions (SCA). En pratique, les intermédiaires font le plus souvent le choix de la Sarl, la SAS ou la SA.
La création d’une société nécessite, en effet, des démarches d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés et d’enregistrement des statuts, acte constitutif de la société auquel il sera référé pour tout acte important de la vie de la société. Les statuts sont la charte fondatrice de la société. Ils individualisent la société, matérialisent ses principales caractéristiques, notamment ses objectifs et son fonctionnement général vis-à-vis des associés ou actionnaires et des tiers.
La société est constituée dès la signature des statuts établis par ses associés ou actionnaires. Leur dépôt au greffe du tribunal de commerce permet d’immatriculer la société et de lui conférer la vie juridique encore appelée la personnalité morale.
La phase de création et de rédaction des statuts ne doit donc pas être négligée, car c’est à ce moment que doivent être anticipés les évènements majeurs qu’est susceptible de connaître la société et pouvant perturber son fonctionnement.
Les évènements venant perturber le cours normal de l’activité de la société
Bien souvent l’on constate que les associés qui se retrouvent dans une situation de blocage au cours de la vie de la société n’avaient pas pris le temps d’envisager ces difficultés au stade de la création. Les évènements susceptibles de survenir sont variés. On pense, bien sûr, au décès, la grave maladie, l’accident, mais aussi à la mésentente entre associés ne permettant plus de prendre les décisions nécessaires au fonctionnement de la société ou de manière plus générale aux problèmes de gestion (hors l’état de cessation de paiements qui nécessite l’ouverture d’une procédure différente).
Dans le cas du décès d’un associé unique, si rien n’a été prévu en pareille situation dans les statuts, les ayants droit se trouvent paralysés puisqu’ils ne disposent pas bien souvent des habilitations pour assurer ne serait-ce que la gestion temporaire du portefeuille de contrats. Il en va bien sûr de la préservation du portefeuille et de sa valeur, qui pendant cette période peut souffrir d’une déperdition de la clientèle, d’actions de la concurrence pour obtenir le transfert des contrats, mais il existe aussi le risque de sinistres et contrats non gérés avec un risque de responsabilité à la clef. Le portefeuille peut aussi pâtir d’une mésentente entre associés qui va impacter les choix de gestion, d’une perte de majorité, etc.
Dans le cas d’une profession d’intermédiation réglementée, on pense aussi à la perte des habilitations pour exercer, comme une sanction de l’AMF ou de l’ACPR à l’encontre du dirigeant entraînant sa radiation de l’Orias. Dans le cas d’un associé unique, il faudra rapidement envisager le devenir du portefeuille pour éviter sa déperdition. Dans cette optique, il peut être utile de négocier, au stade des conventions conclues avec les producteurs, la possibilité de céder le portefeuille en pareil cas sans que cela n’entraîne de facto la résiliation des conventions conclues. Bien sûr, le producteur se réservera le droit d’agréer le repreneur pour la poursuite de la convention.
Lorsque la gestion et l’administration de la société s’avèrent paralysées, il peut être opportun de solliciter devant le tribunal de commerce la désignation d’un administrateur provisoire. Ce placement peut aussi intervenir à l’initiative d’une autorité de régulation dans un but de protection du public.
La procédure et le but de la désignation d’un administrateur provisoire
L’administrateur provisoire est un mandataire de justice désigné par l’autorité judiciaire en vue d’assurer, à titre temporaire, la gestion d’une personne morale, civile ou commerciale, et, parallèlement, de s’efforcer de résoudre la crise ayant motivé sa désignation.
L’intérêt de la nomination d’un administrateur provisoire consiste à sauvegarder les intérêts en cause, c’est-à-dire ceux de la société, voire ceux des associés, dirigeants avec lesquels la société traite. L’administrateur est une institution prétorienne, c’est le mandataire auquel on recourt lorsqu’il survient une crise grave empêchant le fonctionnement normal de la société. Cette nomination ne peut être qu’exceptionnelle. Cette institution contrevient, en effet, au principe de non-immixtion du juge dans la vie des sociétés. Cette désignation peut présenter certains inconvénients : coût important pour la société (la rémunération de l’administrateur provisoire étant en général prise en charge par la société), risque de déstabilisation de la gérance, discrédit pour la société, etc. Cette procédure permet cependant de sortir d’une crise et de préserver les intérêts en présence.
La désignation de l’administrateur obéit à des conditions strictes : il faut une mise en péril de la société, des difficultés mêmes graves ne seront pas suffisantes. Le redressement de la société doit pouvoir être escompté, faute de quoi la dissolution anticipée sera plus appropriée.
Selon la Cour de cassation, cette désignation « est une mesure exceptionnelle, qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société, et menaçant celle-ci d’un dommage imminent » (Com. 18 mai 2010, n° 09-14.838). La désignation est demandée par requête présentée au président du tribunal de commerce, lorsqu’il s’agit d’une société à forme commerciale. Le requérant doit justifier d’un intérêt légitime suivant les règles de droit commun de la procédure civile. La requête est souvent formée par un associé, un salarié, mais cela peut aussi être un créancier, un contractant, le procureur de la République. Le juge statue sans débat en raison de l’urgence et/ou de l’impossibilité d’attraire le représentant légal.
La mission donnée à l’administrateur est généralement donnée pour une durée déterminée : soit une durée fixe, soit le temps d’atteindre un objectif précis, résoudre une difficulté particulière (par exemple, le temps de désigner un nouveau dirigeant).
Faute de précision, c’est une mission de gestion « totale », l’administrateur se substitue au dirigeant. La mission peut aussi se limiter à des points précis. L’administrateur provisoire est en général choisi sur la liste des administrateurs judiciaires. La question s’est posée de savoir si le placement sous administration provisoire pouvait être réalisé à l’initiative d’une autorité de régulation. On se souvient de la société de courtage d’assurances Alsass, qui fut placée sous administration provisoire à l’initiative de l’ACPR, en 2009, et avait contesté cette compétence de l’autorité.
Cette question avait été tranchée dans un arrêt du Conseil d’Etat, rendu en avril 2012, qui avait rejeté le recours du courtier et rappelé qu’il était bien dans les attributions de l’ACPR de placer une société de courtage sous administration provisoire. L’arrêt rappelle « le placement sous administration provisoire n’est pas une sanction, mais une mesure de police administrative en sauvegarde des intérêts des assurés » (CE, 12 avril 2012, n° 335442 et 337229). Les difficultés peuvent toutefois être anticipées et réglées au stade de la création de la société.
Les autres mesures auxquelles penser pour éviter le blocage
Parmi les solutions alternatives, une fois que le point de blocage est là, on pense à celles qui consistent à éviter la voie judiciaire et à recourir à un autre mode de résolution des conflits, en particulier à la médiation conventionnelle. Les associés y sont d’ailleurs de plus en plus enclins et les avocats formés pour les accompagner dans un tel processus. Mais le meilleur moyen de ne pas se retrouver dans une telle situation est, pour les associés, d’envisager les problèmes susceptibles de survenir au cours de la vie de la société et de les régler dès le stade de la constitution de la société. C’est pourquoi il est important de se parler entre associés dans le cadre d’un projet d’association afin d’envisager les pires scenarii et comment se réglera telle ou telle situation.
Diverses clauses permettent d’éviter d’importantes difficultés ultérieures. En effet, celles-ci ne peuvent être pensées et rédigées qu’en considérant la situation précise de la société et de ses membres. On pense aux clauses statutaires qui permettent d’assurer la continuité de la gestion en cas de décès ou d’accident du dirigeant. Il sera possible de désigner en amont un dirigeant délégué ou des suppléants susceptibles d’assurer la continuité de la société en cas d’empêchement.
Dans le cas d’une société de conseil en investissement financier, les statuts prévoiront que la personne prédésignée devra répondre aux conditions d’accès au statut de CIF en matière d’âge, d’honorabilité et de compétence professionnelle visées au premier alinéa de l’article L. 541-2 du Code monétaire et financier en vigueur le moment venu.
Il existe aussi des clauses qui permettent ainsi de protéger les droits politiques et patrimoniaux des dirigeants, écarter les ayants droit, prévoir un mandat de protection future en cas d’incapacité du dirigeant (démence par exemple), prévoir un mandat à effet posthume permettant au dirigeant de désigner de son vivant un ou plusieurs mandataires pour administrer ou gérer tout ou partie de sa succession, pour le compte et dans l’intérêt des héritiers, etc.
Il est donc important d’être vigilant dans la rédaction des statuts et, plutôt que d’en choisir un modèle préétabli, les faire rédiger « sur-mesure » par un avocat en fonction de la situation personnelle des associés.
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