Préparer le transfert de sa résidence fiscale à l’étranger
Par Jérôme Barré, associé au cabinet Yards, et Aurore Meslin, collaborateur au cabinet Yards
Le départ à l’étranger est une interrogation fréquente parmi les réflexions de contribuables : développement professionnel, « exotisme », rapprochement avec une partie de sa famille déjà établie hors de France ou encore inquiétude politique et sociale. Quoi qu’il en soit, il convient de garder à l’esprit qu’une telle opération revêt de multiples impacts.
Outre sa vie familiale et sociale, la « délocalisation » à l’étranger impacte l’imposition des revenus et du patrimoine du contribuable en France et dans l’Etat de destination. Il y a lieu de considérer également ses conséquences en matière de droit civil et de droit international privé. N’oublions jamais que lorsque l’on part, on part vraiment, il faut donc avant tout sécuriser fiscalement son transfert de résidence. Finalement, le départ à l’étranger ne peut – et ne doit pas – être un jeu de cache-cache avec les autorités fiscales de deux Etats.
De manière préliminaire, il est bon de lutter contre une superstition fiscale qui vise à considérer que la résidence fiscale d’un individu se joue sur six mois – les fameux six mois. Or si le critère de la durée de séjour dans un état (droit domestique) ou du séjour habituel (droit conventionnel), est constamment rabâché par les intéressés, il s’agit d’un critère parmi d’autres. En pratique d’ailleurs, quand on arrive à discuter avec l’administration fiscale le point du nombre de jours passés dans tel ou tel pays, ce n’est pas très bon et ça aboutit régulièrement à un imbroglio sur lequel les parties (contribuables/administration) tombent rarement d’accord. Sans oublier ce critère, il convient de le laisser à sa place.
Sécuriser le transfert de résidence fiscale
Lorsqu’un contribuable transfère sa résidence fiscale, il doit remplir plusieurs critères pour être considéré comme résident fiscal de l’Etat de destination et ne plus être considéré comme résident fiscal de France ?
En droit interne français, l’article 4 B du CGI définit la notion de résidence fiscale par le biais de quatre critères alternatifs. Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, la méthode d’analyse de la résidence fiscale commence par l’étude des critères de droit domestique, avant ceux énoncés par les traités internationaux.
Sont considérées comme résidant fiscalement en France au sens du droit interne français :
- les personnes qui disposent sur le territoire français de leur foyer (premier critère), ou à défaut du lieu de leur séjour principal (deuxième critère) ;
- ou celles qui exercent en France une activité professionnelle non accessoire, salariée ou non (troisième critère) ;
- ou celles qui ont en France, le centre de leurs intérêts économiques (quatrième critère).
Il suffit qu’un seul des critères énumérés soit satisfait pour qu’une personne physique soit considérée comme fiscalement domiciliée en France au sens du droit interne. C’est une goutte d’encre qui tache la totalité du buvard : pour ne plus être considéré comme résident fiscal français (au sens du droit interne), il ne faut remplir aucun de ces critères. Et c’est là où le bât blesse car bien souvent les contribuables ont une large tendance à vouloir transférer leur résidence fiscale tout en conservant en France un bien immobilier (pied à terre ou bien immobilier de famille, par exemple) ou des actifs producteurs de revenus, en rentrant régulièrement en France pour rendre visite famille et amis, ou encore en continuant à s’y faire soigner chez leur médecin préféré. Tout ceci laisse des traces qui ne sont pas cohérentes avec l’engagement de quitter effectivement le pays. Le contribuable devra également analyser s’il remplit bien les critères de résidence fiscale dans l’Etat de destination.
S’il s’avère qu’il est considéré comme résident fiscal des deux Etats, un conflit de résidence sera caractérisé et il faudra alors analyser les critères posés par la convention fiscale conclue, le cas échéant, entre les deux Etats pour déterminer dans quel Etat le contribuable est finalement considéré comme étant résident fiscal. C’est l’application du principe dit de subsidiarité. En quelque sorte, une fois le droit interne épuisé dans chaque Etat, on s’en remet à la convention.
Sécuriser un transfert de résidence nécessite alors la réalisation de formalités pratiques dans l’Etat de départ (la France) et dans l’Etat de destination pour réduire du mieux possible les liens concrets du contribuable avec la France et donner de la substance à l’installation du contribuable dans l’Etat de destination.
Analyses des conséquences fiscales liées au départ
On constate aujourd’hui, sans porter de jugement à cet égard, qu’il existe une concurrence redoutable entre les Etats, y compris entre Etats européens, pour attirer les contribuables dans leur juridiction.
Depuis quelques années, oubliant les engagements pris au début des années 1990, les Etats concoctent des ficelles fiscales attractives, espérant prendre des gros poissons dans leurs filets. Actuellement, pour les entrepreneurs ayant cédé en France leur entreprise, et ne pouvant pas bénéficier du pacte Dutreil, la recherche porte sur la diminution des droits de succession ou de donation. En effet, un taux de 45 % en ligne directe au-dessus d’un montant d’1,8 million d’euros est jugé strictement confiscatoire. Bien sûr, une organisation bien anticipée est de nature à limiter ce couperet. Mais on ne peut empêcher les individus de réaliser un rêve d’installation à l’étranger, une recherche de nouveau. Il ne faut pas non plus négliger la difficulté d’un dirigeant de se retrouver « à la retraite » qui peut tomber véritablement en dépression et qui a besoin de changement d’air.
Pour accompagner la réflexion de ces chefs d’entreprise, deux points d’alerte principaux nous semblent devoir être soulevés. Premièrement, quitter la France implique une analyse précise des conséquences fiscales applicables lors du départ en matière de plus-values. L’article 167 bis du CGI prévoit en effet une imposition spécifique de certaines plus-values à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux en cas de transfert de résidence fiscale. On parle vulgairement de l’Exit Tax. Il s’agit des plus-values latentes sur valeurs mobilières si le contribuable a été fiscalement domicilié en France pendant au moins six ans au cours des dix années précédant le transfert et qu’il détient au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société, ou si la valeur globale des droits sociaux excède 800 000 euros, mais aussi des plus-values de cession ou d’échange placées en report d’imposition et ce, peu importe la durée de résidence en France, et enfin de la valeur réelle des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix. On parle d’earn out. Un sursis de paiement automatique ou sur demande est applicable sous réserve, dans certains cas, de la constitution de garanties. Deuxièmement, quitter la France peut, dans certains cas, ne pas être synonyme de fin de la relation fiscale avec notre beau pays. Certains revenus, tels ceux liés aux biens immobiliers situés en France (revenus locatifs/plus-values de cession de valeurs mobilières) restent taxables en France, même lorsque le contribuable réside hors de France. En fonction de la composition du patrimoine du client et de la nature de la convention fiscale conclue avec l’Etat de destination, transférer sa résidence fiscale peut se révéler plus lourd que souhaité.
Analyse du régime d’imposition du contribuable post-transfert de résidence
Le transfert de résidence fiscale nécessite le recours à un conseil local pour valider la qualification de la résidence fiscale du contribuable dans l’Etat de destination et analyser précisément le régime fiscal applicable au contribuable dans cet Etat.
De nombreux Etats offrent des régimes fiscaux attractifs pour les non-résidents qui y transfèrent leur résidence. En voici quelques exemples concrets en matière d’imposition des revenus.
Premier exemple : l’Italie
Premier régime fiscal de faveur en Italie : le régime des impatriés. En substance, et sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies, les revenus trouvant leur source dans l’activité exercée en Italie peuvent bénéficier, pendant une durée de cinq ans, d’une exonération d’imposition dont le taux varie. Cette exonération peut être prolongée de cinq ans dans certains cas.
Deuxième régime de faveur en Italie : le forfait applicable aux « non-domiciliés ». Ce dispositif permet de déroger au principe d’imposition des revenus sur une base mondiale. Une taxation forfaitaire libératoire de 100 000 euros par an peut s’appliquer aux revenus d’origine étrangère qu’ils soient rapatriés ou non en Italie. Des conditions et clauses anti-abus ont évidemment été mises en place par l’Etat italien.
Deuxième exemple : le Royaume-Uni
Il est possible de vivre au Royaume-Uni sans y payer d’impôt sur le revenu lorsque l’on bénéficie du statut de Non-Domiciled Residents, que l’on réalise ses revenus à l’étranger et que ces derniers ne sont pas rapatriés au Royaume-Uni. Le contribuable ne sera imposé au Royaume-Uni que sur ses revenus et gains en capitaux de source anglaise et sur les revenus et gains réalisés hors UK et rapatriés en Grande-Bretagne (système de la Remittance Basis Tax).
Attention toutefois, les notions de domicile et de résidence devront être analysées avec une attention toute particulière pour être certain de bénéficier de ce statut. Les actifs financiers du contribuable devront également être réorganisés.
En pratique, il est préconisé aux candidats à l’expatriation au Royaume-Uni de constituer avant leur installation dans ce pays ce que l’on appelle du « clean capital », c’est-à-dire des liquidités pouvant être rapatriées sans fiscalité complémentaire au Royaume-Uni.
Anticiper les conséquences civiles du transfert de résidence fiscale
Bien souvent, les contribuables n’envisagent que les aspects fiscaux du transfert de résidence fiscale. C’est une erreur. Quitter la France pour s’installer ailleurs peut notablement modifier l’équilibre patrimonial d’une famille à bien d’autres égards. Il conviendra d’analyser les éléments suivants pour s’assurer qu’aucune mauvaise surprise ne vienne assombrir le ciel bleu du transfert de résidence : la loi applicable au régime matrimonial des époux transférant leur résidence et la loi applicable à la succession des contribuables.
La loi applicable au régime matrimonial dans un contexte international
Le régime matrimonial impacte le patrimoine des époux durant le mariage et au décès de l’un des conjoints. La loi applicable au régime matrimonial déterminera, notamment, quels biens appartiennent/reviennent à l’époux survivant et/ou aux enfants. On comprend l’importance de ce choix, notamment en cas de divorce ou de décès. Il vaut mieux le comprendre avant qu’après. Là encore, à considérer que l’herbe est plus verte ailleurs, nombreux sont ceux qui négligent les règles applicables dans le pays d’accueil et qui finissent par se retrouver dans une situation bien moins avantageuse que celle relevant de leur pays d’origine.
Dans un contexte européen, la loi applicable au régime matrimonial va dépendre de la date du mariage (avant le 1er septembre 1992, entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 ou après le 29 janvier 2019).
Par exemple, pour les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, la convention de La Haye du 14 mars 1978 s’appliquera. Les couples binationaux, ceux franco-français qui transfèrent leur résidence à l’étranger ou ceux qui n’ont pas conclu de contrat de mariage, mais détiennent des biens situés à l’étranger, seront régis par la règle suivante : la loi applicable au régime matrimonial sera, en principe, la loi de la première résidence habituelle des époux. La résidence habituelle sera celle du pays dans lequel les époux avaient l’intention de s’installer de manière durable après leur mariage. On peut se marier le samedi en France, mais si l’on s’installe le lundi en UK, de manière durable, ce sont les lois civiles du mariage en UK qui trouveront à s’appliquer. A défaut, il s’agira de la loi nationale commune des époux.
Toutefois, cette loi peut notamment changer automatiquement (mutabilité automatique) en cas de transfert de résidence des époux dans un autre Etat et en l’absence de loi applicable choisie lorsqu’ils se sont mariés. Dans ce cas, les époux seront soumis automatiquement au régime matrimonial légal de leur Etat d’accueil. Ce principe de mutabilité automatique s’applique notamment au bout de dix années de résidence dans l’Etat de destination. Attention donc à bien anticiper ces questions !
La loi applicable à la succession dans un contexte international
La loi successorale n’est pas la loi fiscale. Elle détermine qui reçoit quoi, mais ne détermine pas quel Etat taxe quoi/qui paie quoi. Or chaque Etat a ses propres règles civiles. Par exemple, certains Etats, comme la France, prévoient une réserve héréditaire (part du patrimoine qui revient obligatoirement à certaines personnes, appelées héritiers réservataires), alors que d’autres n’en prévoient pas, comme le Royaume-Uni. Dans le même sens, certains Etats prévoient l’existence d’une réserve héréditaire, mais la part revenant aux héritiers réservataires est très faible ou très élevée. Il conviendra donc de veiller à vérifier si une loi successorale a été choisie ou, à défaut, en choisir une ou informer le client des conséquences de l’absence de choix de loi.
En application du règlement (UE) n° 650/2010 du 4 juillet 2012 sur les successions, la loi applicable à la succession est en principe celle de la dernière résidence habituelle du défunt, et cela pour l’ensemble des biens. D’où l’impact du transfert de résidence sur la loi successorale applicable. Il faudra donc être très vigilants à l’existence d’un testament et vérifier si un choix de loi applicable a été établi, à défaut, il est vivement conseillé d’en réaliser un.
En conclusion, avant de fantasmer « gravement » sur un paradis des contribuables, permettant toutefois de revenir en France en catimini « moins de six mois par an, je vous le jure Monsieur le juge », il est nécessaire de réfléchir aux contraintes qui président à un déplacement familial durable à l’étranger. La fiscalité du pays d’accueil ainsi que son système juridique (droit civil ou Common Law) peuvent se révéler compliqués. Le choc de cultures (même avec des pays francophones, comme la Suisse ou la Belgique) ne peut être occulté.
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