Mini abus de droit : comment interpréter la bonne parole de Bercy
Par les experts de Fac JD et Associés
La rédaction de l’article L. 64 du LPF ouvre droit à des interprétations subjectives des montages patrimoniaux de la part des vérificateurs fiscaux. Sans compter la notion de « petit abus de droit ». Expertise de FAC JD et Associés.
Question écrite n° 09965 de Catherine Procaccia – JO Sénat du 11/04/2019 – page 1895
La députée a attiré l’attention du ministre sur l’évolution de la notion juridique d’abus de droit en rappelant qu’à du 1er janvier 2020, l’administration aura le droit de contester des opérations dont le principal objectif est d’éluder l’impôt ou de réduire les charges fiscales (article L. 64 A du livre des procédures fiscales).
Afin de lever toute incertitude fiscale, tant pour les particuliers que pour les notaires qui les conseillent, elle souhaitait obtenir des précisions sur la notion exacte de « petit abus de droit ».
Réponse publiée dans le JO Sénat du 13/06/2019 – page 3070
Le nouvel article L. 64 A du livre des procédures fiscales (LPF) permet à l’administration d’écarter comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
Afin de répondre aux craintes exprimées sur ce nouveau dispositif, il est précisé que l’intention du législateur n’est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, lesquelles sont, depuis de nombreuses années, encouragées par d’autres dispositions fiscales. À cet égard, il peut être constaté notamment que les articles 669 et 1133 du code général des impôts (CGI) qui, respectivement, fixe le barème des valeurs de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien et exonère de droits la réunion de l’usufruit à la nue-propriété, n’ont pas été modifiés.
Ainsi, la nouvelle définition de l’abus de droit telle que prévue à l’article L. 64 A du LPF n’est pas de nature à entraîner la remise en cause des transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives.
L’administration appliquera, à compter de 2021, de manière mesurée cette nouvelle faculté conférée par le législateur, sans chercher à déstabiliser les stratégies patrimoniales des contribuables.
Enfin, les précisions sur les modalités d’application de ce nouveau dispositif vont être prochainement apportées en concertation avec les professionnels du droit concernés
Acte 2 Question N° 16264 de Typhanie Degois JOAN 18/06/2019 page : 5545
La question est sur le fonds quasi-identique à la précédente. L’auteure de la question souligne que l’appréciation de l’administration fiscale pourrait varier d’un centre d’impôt à l’autre, et qu’une disposition similaire introduite dans la loi de finances pour 2014 avait été censurée par le Conseil constitutionnel.
Si, à compter de 2020, l’utilisation du rescrit fiscal permettrait de lever les doutes sur les opérations à réaliser, il conviendrait de clarifier cette situation préalablement afin de lever toute incertitude en la matière.
Dès lors, et sans attendre l’entrée en vigueur de cette disposition, elle demande au ministre de bien vouloir préciser quels actes seraient principalement motivés par des considérations fiscales.
Réponse
Il est répondu que chaque opération devant s’apprécier au vu des circonstances de fait propres à chaque affaire, il n’est pas possible pour l’administration de prendre une position générale précisant quels actes seraient principalement motivés par des considérations fiscales et susceptibles d’être requalifiés en application de l’article L. 64 A du LPF…
Le catalogue tant attendu par les praticiens ne sera donc pas publié !
Bercy nous accorde cependant un lot de consolation.
Le législateur a cependant prévu des garanties pour assurer la sécurité juridique des contribuables. Toute personne qui souhaite sécuriser une décision fiscale peut ainsi, préalablement à la conclusion d’un ou plusieurs actes, engager une procédure de rescrit auprès de l’administration, conformément à l’article L. 80 B du LPF. Ce rescrit sera opposable en cas de contrôle fiscal. De plus, tout contribuable qui estimerait que le dispositif prévu à l’article L 64 A du LPF est appliqué à tort pourra saisir le comité de l’abus de droit fiscal pour étudier sa situation, en amont de tout recours contentieux.
Observations
Notre ministre continue sur le sujet à vouloir se montrer rassurant. Il n’en demeure pas moins que la rédaction de l’article L64 du LPF ouvrira droit à des interprétations subjectives des montages patrimoniaux de la part des vérificateurs fiscaux.
Il faudrait poser une nouvelle question à Bercy : Que doit-on entendre par application mesurée ou par déstabilisation des stratégies ?
La lecture de la réponse nous apprend que les articles 669 et 1133 du CGI n’ont pas été supprimés… La donation avec réserve d’usufruit (non fictive) n’est donc pas un abus de droit. Sur ce point, Bercy ne fait que reprendre sa position déjà exprimée dans un communiqué du 19 janvier 2019 (MINISTERE DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS -Paris, le 19 janvier 2019 N°568)
Mais le champ d’application du mini abus de droit ne se limite pas à la banale question de la donation avec réserve d’usufruit. Nombre de schémas sont potentiellement concernés.
Nous vous renvoyons à la lecture de notre précédente news traitant du sujet publiée en janvier 2019 (N° 562)
On attendra avec impatience la publication du BOFiP traitant du sujet… et surtout l’application qui en sera faite ensuite dans les opérations de contrôles fiscaux.
NB : Rappel
Il existe d’ores et déjà une carte des pratiques et montages abusifs (non exhaustive) disponible sur le site economie.gouv.fr (portail de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics).
Il nous est précisé à ce titre : « Cette nouvelle rubrique s’inscrit dans une démarche de prévention et de sécurité juridique apportée aux contribuables en les informant des risques qu’ils prendraient en mettant en place ou en conservant des montages destinés à réduire indûment l’impôt.
Elle contient des exemples de montages révélés lors de contrôles fiscaux et contraires à la loi.
Lorsque l’administration découvre ces montages, elle les remet en cause après un examen attentif des faits et applique des pénalités appropriées.
Si vous avez utilisé ce type de montage, vous pouvez régulariser votre situation en déposant des déclarations rectificatives auprès de votre service gestionnaire.
L’administration appréciera, en fonction des circonstances propres au dossier, les conséquences qu’il convient d’en tirer.
Cette rubrique sera régulièrement complétée. Mais elle ne prétend bien entendu pas à l’exhaustivité. »
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