Indivision : jeu, set et match !
Par Pascal Pineau, chargé d’enseignement, responsable pédagogique DU IPCE de l’Aurep
L’indivision : vaste sujet, qui habituellement rebute ceux qui la vivent – et on peut les comprendre – mais aussi ceux qui la lisent, par obligation souvent. Sujet à problèmes – mauvais sujet ? –, il est souvent présenté via le seul droit au partage, donc au travers du droit de ne point y demeurer… Un comble ! Plutôt que de ne fréquenter l’indivision que contraints et forcés, je vous propose, dans le sillage de l’actualité, de l’aborder le temps d’un match. Et qui dit qu’elle ne (vous) gagnera pas ?
Un mal nécessaire, voilà ce qui sans doute résume le mieux l’indivision. Plusieurs personnes, des droits de nature identique, et le piège se referme ! Malgré les efforts successifs du législateur (lois du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités et loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit), l’indivision, bien qu’en progrès, n’est pas passée d’enfer à paradis.
Mais partons, tout d’abord, à la recherche de ses origines : avant l’indivision fut la communauté, qui s’enfuit avec le divorce. Restait un prêt à rembourser, relatif à l’acquisition d’un immeuble commun, que l’ex-mari régla de ses deniers personnels… avant de faire valoir une créance sur l’indivision.
Jeu… de cache-cache ?
Dans un arrêt-fleuve (Cass. 1re civ., 1er février 2017, n° 16-11.599, qui a retenu l’attention des juristes sur plusieurs points), il fut donc question de l’application de l’article 815-13 du Code civil, relatif aux droits et des obligations des indivisaires, à ce cas – pas si – particulier.
Validant la référence retenue par la cour d’appel, « selon l’équité », au profit subsistant, lequel « se détermine d’après la proportion dans laquelle les deniers de l’indivisaire ont contribué à la conservation du bien indivis », la Cour de cassation n’approuve pas jusqu’au bout cette dernière, qui s’est fourvoyée « en calculant ainsi le profit subsistant par rapport à la valeur du bien au moment de la dissolution de la communauté et non à sa date d’acquisition ».
A l’aube de l’indivision était la communauté…
En effet, la dissolution de la communauté ne correspond pas à « la naissance de l’indivision », en l’absence notamment de personnalité morale de l’une, comme de l’autre. Au regard de la valeur d’acquisition du bien, l’ex-mari avait financé, soyons précis, 41,51 % du bien. Cette proportion devait donc être appliquée à la valeur du bien au moment des comptes entre les indivisaires pour déterminer sa créance.
Un jeu de cache-cache qui inscrit donc communauté et indivision dans la lignée des poupées gigognes, et fait de la seconde le prolongement très naturel de la première.
Mais, parfois, l’adversaire montre les muscles et le match devient plus dur. Ce fut le cas pour l’indivision face au droit des procédures collectives.
Set… et mieux avant !
Ainsi, un homme mis en liquidation judiciaire était propriétaire indivis d’un immeuble avec sa mère et sa sœur. Le liquidateur assigna ces dernières en partage et licitation de l’immeuble.
Or « la licitation de l’immeuble indivis, qui était l’une des opérations de liquidation et partage de l’indivision préexistante au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire (…) ne pouvait être ordonnée qu’après examen des demandes formées par [la mère] », demandes fondées sur les articles 822 (maintien dans l’indivision) et 831-2 (attribution préférentielle de l’immeuble) du Code civil (Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-14.295).
Le droit de l’indivision, bien établi, l’a donc emporté : régime protecteur des droits des coindivisaires, alors même que l’un d’eux est personnellement en difficulté, il soumet les créanciers de l’indivisaire – et, le cas échéant, le liquidateur qui travaille pour eux – à une autre discipline (exposée notamment à l’article 815-17 du Code civil).
Reste à démêler l’écheveau lorsque plusieurs indivisions coexistent – et notamment lorsque, prises séparément, elles ne se prêtent guère à un partage en nature. Peut-on réunir les indivisions pour mieux (s’)en sortir ?
Match… pour réunir les indivisions !
Suite aux décès successifs d’époux, il existait plusieurs indivisions, l’une née d’une acquisition par les époux, une autre venant de la donation effectuée par l’épouse et une dernière issue de la succession. La Cour de cassation a considéré qu’un partage unique, en nature, de l’ensemble des biens immobiliers était possible et que « seule doit être prise en considération l’indivision existant sur [ces biens] entre les trois enfants des défunts et leur consistance » (Cass. 1re civ., 4 mai 2017, n° 16-20.025, publié au bulletin).
Elle a opportunément rappelé, en matière de partage judiciaire, l’article 840-1 du Code civil : « lorsque plusieurs indivisions existent exclusivement entre les mêmes personnes, qu’elles portent sur les mêmes biens ou sur des biens différents, un partage unique peut intervenir ». L’indivision finirait presque par nous devenir sympathique, et par remporter le match. A vrai dire, d’aucuns regrettent même son absence…
Quand elle vient à manquer…
Ainsi, il faut noter que « le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire » ; en conséquence de quoi la Cour de cassation a précisé que la fille de la défunte « ne pouvait prétendre ni à l’attribution préférentielle ni à la licitation des parcelles dépendant de la succession » (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16.967, publié au bulletin).
Au regard de l’affirmation du principe d’une action en retranchement effectuée, elle aussi en valeur (Cass. 1re civ., 7 décembre 2016, n° 16-12.216, publié au bulletin, avec une « indemnité de retranchement, assimilable à une indemnité de réduction »), la transposition de la solution qui précède à un régime de communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint survivant coule de source. Mais il arrive aussi que l’indivision soit proscrite, et peut-être à tort…
… et quand elle est écartée avec force !
Il est, en effet, impossible de conclure sans un court détour par la donation-partage, dont toute trace d’indivision résiduelle est bannie depuis deux arrêts retentissants de 2013 (notamment Cass. 1re civ., 20 novembre 2013, n° 12-25.681 : « quelle qu’en ait été la qualification donnée par les parties, l’acte litigieux, qui n’attribuait que des droits indivis à deux des trois gratifiés n’avait pu opérer un partage, de sorte que cet acte s’analysait en une donation entre vifs » et non une donation-partage, comme sa dénomination le laissait supposer).
Le tout au grand dam des notaires… et à l’étonnement de nombre d’éminents juristes ! La solution est, en effet, rigoureuse, voire rigoriste. Dans certaines situations, elle interdira tout bonnement l’accès à cet outil pourtant bien utile. La solution s’imposait-elle vraiment ? On peut en douter…
Conclusion sans partage ?
L’indivision est un mal nécessaire… à bien connaître. Ainsi, chacun sera susceptible de la choisir ou de l’éviter, pour soi et pour les siens ; quand elle s’imposera, il s’agira de la subir le moins possible, en étant attentif, toujours, aux « détails » : ainsi, par exemple, une majorité de deux tiers des droits indivis (quotité détenue… par une seule personne le cas échéant) n’est pas une majorité des deux tiers des indivisaires (majorité comptée par tête). A bon entendeur…
Prix Aurep : promotion des artisans en gestion de patrimoine
Le 7 septembre dernier, l’Aurep a décerné deux prix destinés à récompenser, sur le thème de l’assurance-vie, les anciens des diplômes en gestion de patrimoine de l’université Clermont-Auvergne (master 2 en Gestion de patrimoine et diplôme universitaire Expert en gestion de patrimoine) pour la rédaction d’un article d’une dizaine de pages (vainqueur : Bertrand Pasquet pour Recommandations adressées aux conseillers en gestion de patrimoine pour une meilleure pratique de la sélection de fonds au sein d’un contrat d’assurance-vie) et sa présentation devant un public de près de cent professionnels (vainqueur : Stéphanie Sambres pour Les nouvelles options d’arbitrages automatiques « intelligentes » des contrats d’assurance-vie).
Si l’aspect financier, en lien avec le choix des unités de compte, l’a emporté, le droit était bien présent. Dans ces différents domaines, l’objectif était de mettre en avant la rigueur et l’ingéniosité des conseillers en gestion de patrimoine. Pari réussi !
L’Aurep est heureuse de participer ainsi, en ces temps d’importants questionnements, à la promotion d’un métier qui doit s’imposer par sa transversalité, et confirmer une percée qui s’est faite par le client et pour lui.
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