Les professionnels doivent faire preuve de pédagogie
Economiste, fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, et animateur du Cercle de l’épargne, Philippe Crevel nous explique pourquoi les épargnants français s’orientent trop peu vers les marchés financiers. Il invite les acteurs du monde de l’épargne à mieux accompagner leurs clients.
Profession CGP : Les stocks de placements financiers sont relativement faibles chez les épargnants français. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Crevel : Tout à fait, les flux financiers sont au plus bas : en 2013, ils n’ont été que de 71 Md, soit une baisse de 25 Md en deux ans. Plusieurs phénomènes expliquent cette relative faiblesse des flux d’épargne : la baisse du pouvoir d’achat, celle du taux et la faible rémunération de l’épargne, la nécessité de rembourser ses emprunts, notamment immobiliers… Pour les placements financiers, nous avons connu un cycle favorable aux placements à court terme sur le Livret A et le LDD, avec la hausse de leurs plafonds. La collecte 2012 a atteint 50 Md€ et celle de l’an passé, 18 à 19 Md€. L’assurance-vie en a pâti en 2012, avant de se stabiliser en 2013. Sur les quatre premiers mois de 2014, la tendance est positive, avec une légère amélioration pour les unités de compte. Il faut dire que la politique fiscale depuis la dernière élection présidentielle n’a pas incité la prise de risque. Le durcissement fiscal a pénalisé l’épargne. Mais les dernières mesure – mise en place du PEA-PME, de l’eurocroissance et du vie-génération – ouvrent une nouvelle « séquence ».
PCGP : La culture financière française est-elle en cause ?
P. C. : Le Français est peu porté sur la prise de risque et se positionne souvent à contretemps sur les marchés. Il privilégie la sécurité au rendement. Ce profil sécuritaire se traduit entre autres par un encours d’assurance-vie composé à 85 % de fonds en euros ! Les Français sont davantage des terriens que des financiers. Par ailleurs, ils ont un rapport complexe à l’argent : ils sont d’un naturel méfiants et font peu appel à des conseillers. Il s’agit donc d’un problème de culture, de confiance, de tradition et de connaissance. Par contre, ils sont généralement friands des niches fiscales. Néanmoins, le Français n’est pas si différent de l’épargnant allemand, hollandais ou belge, mais en revanche, il l’est des Anglo-saxons et de ceux des pays du nord, dont la culture est bien différente, notamment du fait de l’existence des fonds de pension.
PCGP : Comment améliorer cette connaissance financière ?
P. C. : Il serait souhaitable que l’économie et les questions relatives aux finances personnelles soient mieux enseignées en primaire et en secondaire. Le rapport à l’argent doit également être démystifié. Les professionnels doivent également faire preuve de pédagogie et adapter leur langage, car la technique est parfois compliquée : l’épargnant est un client qui a droit à un service de qualité. Au sein du Cercle de l’épargne, un think-tank indépendant [un laboratoire d’idées, ndlr], nous faisons un travail de pédagogie et de formation via des conférences et des études que nous organisons ou auxquelles nous participons. L’effort doit être global.
PCGP : Quelles sont les conséquences, pour la France, de ce manque d’investissement sur les marchés ?
P. C. : Les entreprises françaises sont davantage possédées par des fonds ou des actionnaires français : c’est le cas pour 50 % de la capitalisation du Cac 40. Ainsi, les dividendes sont servis à l’étranger. Compte tenu de la composition de leur capital, les sociétés ont obligatoirement une logique plus internationale. En outre, pour attirer des investisseurs étrangers, elles doivent mieux les rémunérer. Pour celles qui ne peuvent pas accéder aux capitaux étrangers, cela engendre un niveau de fonds propres moindre, un souci quand on connaît les difficultés actuelles pour les entreprises d’obtenir un crédit bancaire… Par ailleurs, l’absence de fonds de pension en France est un vrai problème : cela ne permet pas d’irriguer nos entreprises en capitaux. Pour la croissance française et le PIB, l’impact est difficile à évaluer, mais il est clairement négatif. Le manque de fonds propres pour les entreprises implique moins d’innovation, moins d’embauche, donc moins de dynamisme économique.
PCGP : Les nouveaux dispositifs fiscaux vont-ils permettre de combler ce retard ?
P. C. : Ils vont mettre du temps à s’installer : les flux seront modestes et le Français préfère aller là où il connaît. Toutefois, on observe un certain dynamisme pour le PEA-PME, une façon pour les banques de fidéliser leurs clients avant la mise en place de l’eurocroissance, dans un contexte favorable aux actions. L’épargne financière est un énorme paquebot de 4 000 Md€ qui se déplace doucement, millimètre par millimètre.
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