Les enjeux liés à la finance durable
Par Alix Faure, directrice investissement responsable de l’AFG
Avec 4 355 milliards d’euros sous gestion et six cent quatre-vingts sociétés de gestion, la France occupe la première place en termes de gestion d’actifs en Europe continentale. Une gestion d’actifs puissante est indispensable pour financer l’économie, mais il s’agit de réussir les transitions de notre monde en transformation. Ces tendances structurelles orientent les consommateurs et les investissements à travers le monde depuis de nombreuses années. C’est en embarquant toutes les parties prenantes, en favorisant le dialogue entre public et privé et entre acteurs financiers et entreprises, que nous parviendrons à réorienter les investissements en faveur d’une économie plus durable.
La France est précurseur des travaux la finance durable dont s’est emparée l’Europe depuis quelques années. En effet, l’Association française de la gestion financière (AFG) soutient depuis longtemps la thèse selon laquelle pour gagner la bataille du E (climat, environnement, biodiversité), il faut mener aussi celles du S (conditions de travail, relation avec les salariés, avec les fournisseurs) et du G (gouvernance équilibrée et ouverte). Cet équilibre est essentiel et gage de pérennité.
L’AFG, porteur des enjeux ESG pour la gestion d’actifs, s’engage concrètement sur chacun des piliers ESG avec notamment sa commission Finance durable et son implication au sein du comité de promotion du label ISR (avec le FIR et l’Aspim). Elle est également cofondatrice de l’Observatoire de la finance durable.
Enfin, le groupe de travail « Diversités, vecteur de compétitivité » de l’AFG, dédié aux piliers S et G, accompagne les acteurs de gestion dans la mise en œuvre de plus de diversités (mixité, handicap, égalité des chances…) afin de développer et partager les bonnes pratiques et mieux répondre aux obligations légales.
Une ambition forte soutenue par un cadre réglementaire
L’Union européenne affiche une ambition forte sur la finance durable, comme en témoigne le plan d’action publié par la Commission européenne en mars 2018. Certaines de ses propositions s’inspirent directement du cadre français, précurseur, dès 2016, avec l’article 173, puis, en 2019, avec l’article 29 de la loi énergie-climat.
Fort de dix mesures spécifiques pour rendre les marchés financiers plus durables, ce plan d’action poursuit trois objectifs : réorienter les flux de capitaux vers des investissements plus durables, intégrer systématiquement la durabilité dans la gestion des risques, et promouvoir plus de transparence et une vision de long terme dans les activités économiques et financières.
Chacun de ces trois piliers a conduit à un cadre réglementaire ambitieux avec des textes réglementaires, qui sont adoptés ou en passe de l’être et en train d’être mis en œuvre :
- le règlement Taxonomie prévoit la classification des activités durables au regard de leur impact sur le changement climatique, sur les plans environnemental et social ;
- SFDR précise les exigences de transparence vis-à-vis des produits financiers selon leur degré d’intégration des considérations durables ;
- les mesures de mise en œuvre de la directive MIF définissent le concept de « préférences de durabilité ». Ces préférences de durabilité déterminent le parcours client en y ajoutant cette nouvelle notion ;
- les mesures de mise en œuvre des directives AIFM et OPCVM spécifient les exigences de prise en compte des risques et facteurs de durabilité dans les processus internes des gérants.
Les institutions européennes préparent déjà la suite de ce plan d’action. La récente proposition de directive CSRD (anciennement NFRD) a pour objectif d’améliorer la publication d’informations non-financières de la part des entreprises. La Commission publiera aussi prochainement une nouvelle stratégie européenne sur la finance durable.
Un des dangers de ce plan européen ambitieux est le manque d’harmonisation systématique entre les différentes réglementations. Il ne faudrait pas que les sociétés de gestion soient confrontées à des incohérences non réconciliables, et qui viendraient peser in fine sur les épargnants finaux.
Données extra-financières, le nerf de la guerre
Sans donnée extra-financière, les gérants ne pourront pas répondre à l’ensemble des exigences réglementaires, qu’elles soient européennes ou françaises. Par ailleurs, la donnée extra-financière permet in fine un meilleur service aux clients et une appréhension plus juste des risques et opportunités liées aux entreprises dans lesquelles les fonds investissent.
Les questions de la qualité et de la quantité des informations sont un premier enjeu d’importance. Les gérants ont ainsi besoin d’une donnée de qualité, comparable, auditée. En effet, les sociétés de gestion sont aujourd’hui malheureusement confrontées à la publication d’une multitude d’informations, non standardisées, non comparables, instables dans le temps et non auditées.
Cette lacune de l’information extra-financière pénalise le développement de la gestion ESG par l’absence d’un langage commun entre investisseurs et entreprises. Face à la croissance et à la multiplicité des données ESG publiées par les entreprises, il est devenu urgent de disposer d’une liste synthétique d’indicateurs extra-financiers répondant à un double objectif : définir les informations extra-financières nécessaires pour évaluer une entreprise afin de lutter contre le syndrome « trop d’informations tue l’information », et dialoguer avec les entreprises pour construire un cadre des publications en phase avec les exigences de la réglementation. Le dialogue avec les entreprises est donc primordial.
L’accès à la donnée est également essentiel. Celui-ci doit être simplifié, et la donnée devrait être centralisée et traitée automatiquement. Jusqu’à présent, les analystes extra-financiers réalisent un véritable travail de fourmi en épluchant les rapports RSE des entreprises pour tenter de trouver l’information. Le fait d’offrir la possibilité d’un point d’entrée unique en Europe – peut-être via le projet européen ESAP à venir – sera un réel progrès.
Ensuite, cette donnée extra-financière est un enjeu de souveraineté européenne capital. En effet, avoir une liberté de choix, être plus indépendants des fournisseurs de données, qui sont à ce jour quasiment tous sous pavillon anglo-saxons, et être aussi autonomes vis-à-vis de l’accès à cette donnée extra-financière sont autant de défis que relève l’Europe actuellement.
Enfin, la nécessaire normalisation de la donnée est un autre challenge. Plusieurs institutions s’emparent à l’heure actuelle du sujet pour en définir les standards internationaux. La fondation IFRS cherche à proposer une vision globale, qui reste cependant fortement influencée par les acteurs anglo-saxons. En parallèle, l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) qui est le groupe consultatif européen sur l’information financière devra, dans le cadre de CSRD, définir les standards européens de la donnée extra-financière.
Pour conclure, la gestion de la donnée extra-financière est clé dans la stratégie finance durable européenne. Une réponse efficace aux différents défis cités de la part de l’Europe lui permettra de garder son rôle de leader en matière de finance durable. Cela nécessite de rassembler les forces nationales, européennes, et d’instaurer un dialogue entre les entreprises, les investisseurs et les pouvoirs publics.
Quelle place accorder aux labels ?
Ces dernières années les labels pour une finance plus durable se sont non seulement développés, en France comme à l’étranger, mais les régulateurs nationaux, l’AMF en premier, commencent aussi à créer des doctrines pour encadrer la commercialisation des produits ESG (les produits qui prennent en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions d’investissement). Le risque majeur est l’éclatement des produits extra-financiers qui répondraient exclusivement à des préférences nationales : cela obligerait les gérants à proposer des fonds dédiés à chaque marché et labellisé de façon nationale.
Les labels pour une finance durable apportent à l’épargnant final une certaine sécurisation. En effet, les fonds dans lesquels ils investissent ont été vérifiés par un tiers externe et suivent un cahier des charges rigoureux. Il existe en France trois labels en faveur d’une finance durable : le label ISR, le label Greenfin et le label Finansol.
Alors que le label ISR permet une épargne qui agit pour un monde plus responsable, le label Greenfin flèche les investissements vers la transition environnementale. Et le label Finansol permet de distinguer les produits d’épargne solidaire des autres produits d’épargne auprès du grand public. Le label ISR connaît un véritable succès : environ six cent cinquante fonds ont reçu le label ISR, représentant plus de 503 milliards d’euros d’encours, et gérés par près de cent trente SGP. A titre de comparaison, il y a environ quatre cent cinquante sociétés de gestion en France, c’est-à-dire que plus d’un quart d’entre elles gèrent au moins un fonds ayant obtenu le label ISR.
En revanche, de plus en plus de fonds obtiennent plusieurs labels et il devient parfois difficile pour l’épargnant final de s’y retrouver. La création d’un label ESG européen, qui aurait un socle commun tout en reconnaissant les spécificités nationales, serait donc parfaitement pertinente.
Quelles suites pour la finance durable ?
La finance durable est un sujet central et transversal, que ce soit pour les acteurs financiers eux-mêmes – les sociétés de gestion, les banques ou les assurances, les entreprises qui cherchent des moyens de financement – pour les Etats ou pour les épargnants finaux…
La finance est un outil à mettre au service d’une économie plus durable, d’où l’importance de la montée en compétences de l’ensemble des parties prenantes :
- une culture financière accrue de la part des épargnants, permettant notamment de ne pas séparer la finance classique de la finance durable ;
- une plus grande transparence, de la part des acteurs de la finance, qui est d’ailleurs l’objectif de l’Observatoire de la finance durable (www.observatoiredelafinancedurable.com). En 2020, la France a lancé cet observatoire en réponse à une demande politique, une première mondiale afin de valoriser les engagements sectoriels et individuels des acteurs financiers liés à la finance durable.
Par ailleurs, le développement de la finance durable a déjà franchi plusieurs étapes en France depuis vingt ans. Après le développement des approches best-in-class, soit la sélection des meilleurs élèves quel que soit le secteur de l’économie, très largement portées par les investisseurs institutionnels, l’intégration ESG a fait son apparition, soit la mise à disposition d’une analyse ESG pour que ses critères soient pris en compte à tous les niveaux de la prise de décision.
Plus récemment, les fonds thématiques ont connu un grand essor. Ces derniers sont portés en particulier par les épargnants finaux, car ils permettent d’identifier facilement les secteurs soutenus par les fonds. Enfin, nous observons depuis quelque temps l’expansion de la finance à impact, la forme la plus mature et la plus aboutie de l’ESG. Cependant, il reste des obstacles à surmonter, tels que les questions liées à la fiabilité de la donnée et son accès notamment. Les acteurs français sont en train de se fédérer autour d’un consensus et de se mettre d’accord sur la formalisation de la démarche d’impact. La question de la preuve de cet impact est capitale.
Les sociétés de gestion innovent beaucoup pour répondre à l’appétit grandissant des épargnants finaux et des institutionnels qui souhaitent donner du sens à leurs investissements, leur épargne. Un cadre réglementaire exigeant est actuellement bâti aux niveaux français et européen. Des marqueurs permettant de mieux identifier les fonds qui participent à une économie plus durable existent, le label ISR est l’un d’eux. La finance durable cherche aujourd’hui à dépasser les frontières connues en apportant des clés de lecture à la finance à impact.
Vos réactions