Le fort potentiel de l’hydrogène décarboné
Par Alexandre Cornu, gérant de portefeuilles actions thématiques, spécialiste de l’hydrogène, CPR Asset Management
Le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) publié en août 2021 sonne l’alerte : pour faire en sorte que le réchauffement climatique se limite à 1,5 °C, les émissions futures cumulées ne doivent pas dépasser 500 gigatonnes. Or cela équivaut à environ dix années d’émissions mondiales. Il semble qu’au rythme actuel, l’objectif de l’Accord de Paris sera très difficile à atteindre.
Si la coopération internationale est impérative, elle ne doit pas évacuer la nécessité de développer des solutions concrètes pour aider les Etats et les entreprises à respecter les objectifs climatiques qui leur ont été assignés. L’hydrogène décarboné est l’une d’elles, et présente de nombreux atouts particulièrement avantageux pour la transition énergétique. Une vaste filière industrielle, aux quatre coins du monde, est en train de se mettre en place, dans laquelle les avancées technologiques et les projets opérationnels se multiplient.
Pour les investisseurs, il s’agit d’une thématique de choix, incontournable pour les industries et les mobilités lourdes, vers laquelle affluent déjà subventions publiques et financements privés.
Les atouts incomparables de l’hydrogène
S’il s’agit de l’élément le plus abondant sur Terre, l’hydrogène est presque toujours lié à d’autres atomes. Par exemple, on le trouve dans la molécule d’eau (H2O). Quand on évoque l’hydrogène dans le cadre de la transition énergétique, on se réfère en fait au dihydrogène (H2), dont les principaux usages résident dans la production de fertilisants et dans le raffinage de produits pétroliers. Dans la suite de cet article, nous l’appellerons par convenance hydrogène.
La combustion de ce gaz inodore et incolore émet, à poids égal, quatre fois plus d’énergie que l’essence. A l’instar de l’électricité, il ne s’agit pas d’une source d’énergie, mais d’un vecteur : en d’autres termes, l’hydrogène fait office de passerelle entre les sources primaires et leurs usages finaux. Par exemple, c’est grâce à un moteur électrique que fonctionne un véhicule à hydrogène, par le biais d’une pile à combustible qui aura préalablement converti de l’hydrogène en électricité.
Par ailleurs, la combustion de l’hydrogène ne rejette que de l’eau, sans aucune émission nocive pour l’environnement ou la santé (particules de dioxyde de carbone, de soufre et d’oxyde d’azote). Et la liste de ses atouts ne s’arrête pas là : quand il faut plusieurs heures pour recharger la batterie électrique d’un véhicule, le ravitaillement d’un réservoir d’hydrogène ne prend que quelques minutes. Enfin, la capacité de l’hydrogène à stocker une grande quantité d’énergie est un point déterminant. Il permet donc de faciliter le stockage de l’électricité quand elle n’est pas consommée immédiatement, et ainsi de valoriser les énergies renouvelables intermittentes que sont l’éolien et le solaire. L’hydrogène ainsi produit peut à nouveau être converti en électricité au travers d’une pile à combustible. S’il peut stocker l’énergie, il la rend également transportable et permet donc de pallier non seulement l’intermittence mais également le non-choix de la localisation des énergies renouvelables (EnR). Un certain nombre de projets d’hydrogène ne sont pas destinés à des usages locaux, mais bien à l’export. Le développement de l’hydrogène est donc indissociable de celui des énergies renouvelables auxquelles il apporte un véritable complément. Il est désormais unanimement reconnu comme une solution de décarbonation essentielle, mais dont la production doit être décarbonée.
Vers une production d’hydrogène décarbonée
Pour produire de l’hydrogène, encore faut-il l’extraire d’une source primaire, via une réaction chimique consommatrice d’énergie. L’empreinte environnementale de la production d’hydrogène sera donc plus ou moins forte en fonction de la source (eau ou gaz naturel) et de l’énergie (fossile ou renouvelable) utilisées.
Si, à l’heure actuelle, l’hydrogène est aujourd’hui principalement le résultat de la transformation d’énergies fossiles – on le qualifie alors de « gris » –, il existe une alternative plus propre qu’est l’électrolyse de l’eau. Ce procédé requiert un courant électrique dont la source peut être renouvelable. Raccordé à un parc éolien ou photovoltaïque, l’hydrogène ainsi obtenu est décarboné.
Les usages de cet hydrogène dit « vert » seront variés. Pour commencer, il remplacera les usages qui sont actuellement faits du gris, c’est-à-dire dans les raffineries afin de désulfurer des pétroles lourds, et dans l’industrie chimique pour produire des fertilisants.
Il s’agit ensuite de l’utiliser comme matière première dans les industries intensives en énergie, qu’on ne peut pas électrifier et qu’il faut néanmoins décarboner, telles que la chimie, l’acier ou le verre.
Enfin, l’hydrogène peut servir de carburant dans les transports lourds – les camions, les trains, les bateaux et plus tard les avions – pour lesquels l’électrification n’est pas adaptée, car les batteries électriques prennent trop de place et ne fournissent pas assez d’autonomie pour porter des charges lourdes sur de longues distances.
Parallèlement, l’hydrogène servira de vecteur d’énergie pour stocker et transporter l’énergie générée dans les pics de production des capacités renouvelables une fois celles-ci largement déployées.
Aujourd’hui, ce sont autour de cent millions de tonnes d’hydrogène gris que l’on produit chaque année, qu’il faudra progressivement remplacer par de l’hydrogène vert, d’abord dans les usages actuels. Ce dernier devra ensuite être largement répandu dans les énergies intensives en énergie, ainsi que dans les transports lourds et de longue distance.
Ce sont alors cinq cents à huit cents millions de tonnes d’hydrogène vert qui pourraient être produites par an en 2050, ce qui requiert au préalable des investissements considérables en infrastructures et capacités industrielles estimés à 11 000 milliards de dollars. En France, les besoins d’investissements ont été chiffrés à 24 milliards d’euros, d’ici 2030. La stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné initiée par le ministère de l’Economie et des Finances inclut d’ores et déjà 7 milliards d’euros en subventions publiques.
L’hydrogène vert, de plus en plus compétitif
Il est donc question de bâtir une chaîne industrielle complète qui va de la production à la distribution en passant par le transport de l’hydrogène vert, avec pour ambition de rendre ce dernier disponible en grandes quantités et à un coût compétitif avec tous types de combustibles alternatifs carbonés.
Sur cet enjeu de compétitivité, la guerre en Ukraine a changé la donne. Plutôt que de servir de prétexte à l’abandon des objectifs climatiques, elle a mis en lumière la nécessité pour les gouvernements européens de renforcer leur indépendance énergétique en développant des alternatives aux énergies fossiles.
Le plan REPowerEU de la Commission européenne, publié en mai dernier, vise à mettre fin à la dépendance de l’Union vis-à-vis des combustibles fossiles importés de Russie. Il intègre pour l’utilisation de l’hydrogène vert des objectifs à 2030 à hauteur de 20 millions de tonnes par an, dont la moitié produite en Europe. Cet été, soixante-quatre entreprises et soixante-seize projets liés à l’hydrogène se sont par ailleurs vus accorder le statut d’IPCEI (Important Project of Common European Interest) ; ils recevront jusqu’à 10,6 milliards d’euros d’aides publiques, auxquelles s’ajoutent des sources privées qui permettent de porter le financement total à plus de 26 milliards d’euros.
En parallèle, toujours cet été, l’Europe a annoncé la création d’une banque de l’hydrogène dotée d’un budget de 3 milliards d’euros pour contribuer au développement du marché de l’hydrogène.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Congrès américain a voté en août l’Inflation Reduction Act, un plan d’investissement qui consacre 370 milliards de dollars à un large éventail de technologies de décarbonation afin de soutenir l’objectif de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre du pays, d’ici 2030. Y est notamment prévu un crédit d’impôt, pouvant aller jusqu’à trois dollars par kilogramme d’hydrogène vert produit, qui va soutenir très puissamment la filière en la rendant compétitive par rapport à ses alternatives polluantes.
La filière de l’hydrogène a ainsi connu en 2022 une activité inédite. La levée de capitaux privés et le soutien accru des pouvoirs publics ont permis d’inaugurer de nombreux sites de production. Tout laisse à penser que l’économie de l’hydrogène, encore émergente, est appelée à se développer à un rythme très rapide.
On assiste à une conjonction des volontés, aussi bien publiques que privées, pour mettre en œuvre une économie « zéro émission nette ». La recherche, l’innovation et l’investissement convergent pour développer un écosystème diversifié autour de l’hydrogène vert.
D’après de récentes études, le marché mondial de l’hydrogène vert pourrait représenter un chiffre d’affaires annuel de 2 500 milliards de dollars d’ici 2050, mobiliser plus de trente millions de nouveaux emplois et combler 17 % de la demande totale en énergie.
Comment investir dans l’hydrogène ?
Comme thème d’investissement, l’hydrogène est une filière industrielle en devenir qu’il faut investir dès maintenant. Pour s’y exposer, CPR AM a conçu une stratégie d’investissement, via le fonds CPR Invest-Hydrogen lancé en novembre 2021. L’univers d’investissement englobe l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production d’énergies renouvelables aux utilisateurs finaux de l’hydrogène vert, en passant par sa production, son stockage, son transport et sa distribution.
En amont se situent des spécialistes de la production d’énergie verte, comme le groupe portugais EDPR ou la société américaine Nextera Energy, des fabricants d’équipements nécessaires à la production d’hydrogène vert (électrolyseurs), comme PlugPower, et de reconversion de l’hydrogène en électricité (piles à combustible), comme Bloom Energy, ainsi que celles qui leur fournissent les composants critiques au fonctionnement de ces appareils, qu’il s’agisse de catalystes (Industrie De Nora) ou de membranes (Chemours). En aval, l’univers comprend les producteurs de l’hydrogène, ceux qui le compressent, le liquéfient, le transportent et le distribuent. Là, nous retrouverons, par exemple, Air Liquide et Air Product. Et au bout de la chaîne de valeur figurent enfin les utilisateurs de l’hydrogène, qui seront toujours plus nombreux à mesure que se déploiera la filière. On y trouve, par exemple, l’aciériste suédois SSAB ou le constructeur français de trains Alstom. Ce dernier a d’ailleurs inauguré au mois d’août son train Coradia iLint, à Brelervörde, en Allemagne. Il s’agit du premier train à hydrogène au monde. Peu bruyant, il est propulsé par des piles à combustible qui n’émettent que de la vapeur d’eau. Qu’elles soient en amont ou en aval de la chaîne de valeur, les entreprises doivent justifier d’une exposition concrète à l’hydrogène vert. Nombreuses sont celles qui expriment leur ambition, mais il faut s’assurer que les démonstrations de bonne volonté sont effectivement suivies d’actions. Les entreprises dans lesquelles nous investissons ont déjà mis sur pied des projets ayant déjà largement dépassé la phase de R&D.
Reflet de l’effervescence qui agite la filière, l’univers d’investissement est très dynamique et évolutif. D’un point de vue sectoriel, il est particulièrement exposé à l’industrie, aux matériaux, aux utilities et à l’énergie. Et d’un point de vue géographique, l’Europe et l’Asie, où se trouvent les technologies et projets les plus avancés. Toutefois, l’Inflation Reduction Act américain devrait stimuler fortement la filière aux Etats-Unis et hisser le pays parmi les leaders mondiaux de l’hydrogène vert.
L’hydrogène vert est une histoire industrielle comme on n’en a plus entendu depuis longtemps. Les capacités et infrastructures vont se déployer sur plusieurs décennies. Pour les investisseurs, il est un thème solide dont le fort potentiel de croissance est alimenté par les engagements climatiques internationaux, les progrès technologiques, la baisse des coûts, des subventions publiques et financements privés importants.
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