Réforme du courtage de l’assurance : la dernière pierre à l’édifice ?
Par Philippe Glaser, avocat associé Taylor Wessing
La loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement est finalement entrée en vigueur le 1er avril dernier, malgré la censure du premier projet par le Conseil constitutionnel lors de l’adoption de la loi Pacte.
Ce texte, adopté le 8 avril 2021, constitué d’un article unique, s’applique tant à une grande partie des intermédiaires d’assurance qu’aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement. Cette seconde activité visée par le texte est régie dans des termes quasi identiques à ceux concernant le courtage qui, seuls ici, retiendront notre attention.
Protéger les consommateurs
Cette loi a été l’occasion pour le législateur de parachever l’édifice qu’il avait construit, notamment à l’occasion de l’incorporation dans notre droit de la directive sur la distribution d’assurance (DDA) entrée en vigueur le 1er octobre 2018. En outre, elle a permis de répondre à deux attentes non négligeables des acteurs de la distribution d’assurance. D’une part, il est apparu nécessaire de renforcer l’équilibre dans la relation entre les intermédiaires et les consommateurs, et de mieux protéger ces derniers. D’autre part, l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD) a suscité de nouvelles difficultés nécessitant un contrôle et une assistance des intermédiaires en assurance, similaires à ceux dont bénéficient les conseillers en investissements financiers.
En effet, si depuis l’intervention de la DDA et de la Directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF II), ces deux activités réglementées ont connu une évolution comparable, les intermédiaires en assurance n’étaient pas tenus jusqu’alors d’adhérer à une association agréée.
En outre, comme l’ont fait apparaître les commentaires de la loi, ces professionnels n’étaient pas soumis à un contrôle permanent de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), alors même que cette autorité avait relevé des dysfonctionnements, notamment dans le cadre de la commercialisation des contrats.
Le législateur a ainsi souhaité encadrer et soutenir ces professionnels au regard d’une profession de plus en plus technique et tenue au respect d’une réglementation pour le moins aride.
Pour cela, il a créé des associations professionnelles agréées par l’ACPR dont l’objet est, d’une part, de vérifier le respect de diverses conditions nécessaires à l’exercice de l’activité et d’autre part, d’apporter à leurs membres des recommandations relatives à la fourniture de conseils, aux pratiques de vente et à la prévention des conflits. Ainsi, l’ACPR, chargée du contrôle de l’activité des courtiers et l’Orias, chargée de les recenser, échangeront dorénavant avec des associations professionnelles, distinctes des syndicats professionnels. C’est donc un nouvel édifice d’autorégulation de la profession qui est institué sans pour autant que l’association ne devienne le bras armé de l’ACPR.
Conditions d’adhésion
Le décret 2021-1552 du 1er décembre 2021 a précisé que les intermédiaires dont l’activité est mixte (combinant le courtage d’assurance et celui en opérations de banque et en services de paiement) pourront n’adhérer qu’à une seule association agréée, sous réserve que celle-ci le soit pour l’ensemble de leurs activités.
Il convient ici de préciser que seuls sont tenus d’adhérer à ces associations les courtiers en assurance ou de réassurance et leurs mandataires, personnes physiques non salariées et personnes morales. Les agents généraux d’assurance et les courtiers en libre prestation de service ne seront pas tenus d’adhérer à ces associations ; la faculté leur restera cependant ouverte.
Enfin, pour rappel, cette obligation d’adhésion ne s’impose qu’aux intermédiaires sollicitant leur première immatriculation depuis le 1er avril 2022.
Quant à ceux qui ne sollicitent qu’un renouvellement de leur inscription à l’Orias en 2022, ils devront justifier de leur adhésion à une association professionnelle agréée qu’à compter de 2023.
Des associations professionnelles aux pouvoirs distincts de ceux de l’ACPR
Ces nouvelles associations professionnelles chargées « du suivi et de l’accompagnement de ses membres » devront à titre préalable recevoir l’agrément de l’ACPR qui, aux termes de la loi, vérifiera « leur représentativité, la compétence et l’honorabilité de leurs représentants légaux et de leurs administrateurs, l’impartialité de leur gouvernance, appréciée au regard de leurs procédures écrites, ainsi que leur aptitude à assurer l’exercice et leur permanence de leurs missions au travers de moyens matériels et humains adaptés ».
Le décret d’application du 1er décembre 2021 et un arrêté daté du même jour précisent les règles du jeu, et plus particulièrement les conditions requises pour l’obtention de cet agrément, étant précisé que les associations perdront le bénéfice de celui-ci si les conditions de son obtention ne sont plus réunies.
En premier lieu, il convient de rappeler que l’association n’est ni un syndicat professionnel ni une association métier ; son caractère sui generis amènera les principales associations déjà existantes ou syndicats à constituer une entité dédiée. Cette dernière doit disposer d’une certaine représentativité représentant au moins 10 % du nombre total de professionnels tenus d’y adhérer (près de cinquante mille) ou, lorsqu’il s’agit d’une association agréée par l’AMF en charge du suivi de l’activité professionnelle des conseillers en investissements financiers, au moins 5 % du nombre total de professionnels.
L’arrêté du 1er décembre 2021 précise les éléments nécessaires à la délivrance de l’agrément. L’un des points saillants concerne les diverses procédures écrites à remettre à l’ACPR. Le texte prévoit d’une part la fourniture de procédures écrites relatives à la gestion des informations couvertes par le secret professionnel et aux éventuelles mesures disciplinaires prises par l’association. Il prévoit d’autre part la fourniture de procédures écrites permettant de s’assurer de l’impartialité des représentants légaux et administrateurs de l’association et de l’absence de situation de conflit d’intérêts, notamment à l’occasion des vérifications des dossiers des intermédiaires et des éventuelles poursuites disciplinaires. Une dissociation des fonctions de surveillance et de direction est ainsi exigée pour éviter tout conflit d’intérêts.
En outre, lors du dépôt du dossier aux fins d’agrément, l’ACPR doit veiller à ce que les membres de l’association respectent l’obligation de proposer à leurs clients le recours à un médiateur de la consommation. Dans ce domaine, il est en effet acquis que bon nombre d’intermédiaires ne proposent pas encore à leurs clients de saisir un médiateur en cas de conflit alors qu’il s’agit d’une obligation.
L’objectif est, ici à l’évidence, de s’assurer que les professionnels de l’intermédiation d’assurance respectent les obligations en la matière issues du Code de la consommation. A ce jour, sept associations ont déjà reçu l’agrément de l’ACPR. Passé l’agrément, ces associations resteront évidemment en relation étroite avec l’ACPR tant par la remise d’un rapport annuel que par la transmission de documents – notamment comptables – relatifs à sa gestion. L’ACPR pourra, quant à elle, transmettre à l’association les informations utiles à l’accomplissement de sa mission. Il y a donc un véritable pouvoir de contrôle consenti à l’ACPR sans qu’il puisse être prétendu que l’association ne dispose d’aucune autonomie ni d’aucun pouvoir propre.
S’agissant de l’organisation de ces associations, le décret d’application prévoit qu’elles devront se doter de moyens et de procédures permettant d’accompagner leurs membres « dans l’exercice de leur activité et de leurs obligations » avec le concours d’un « personnel affecté ».
Au regard de la teneur et la confidentialité des informations qui leur seront communiquées, notamment par leurs membres, les associations devront mettre en place un système de classification et d’archivage spécifique, et disposer d’un personnel dédié pouvant seul avoir accès aux informations sensibles (données collectées auprès des membres, informations transmises par l’ACPR…).
S’agissant des relations avec leurs membres, le décret d’application prévoit que les associations devront édicter un code de bonne conduite tel qu’un règlement intérieur, précisant les règles applicables à ses membres.
Tout comme pour les associations professionnelles regroupant les conseillers en investissements financiers, ces nouvelles associations auront ainsi un rôle d’accompagnement de la profession, jusqu’alors peu encadrée sur le plan des comportements à adopter. En outre, elles pourront « formuler à l’attention de leurs membres des recommandations relatives à la fourniture de conseils, aux pratiques de vente et à la prévention des conflits d’intérêts ».
On peut ici imaginer que ces recommandations présenteront un certain caractère contraignant et que leur non-respect entraînera des sanctions disciplinaires. Pour autant, les représentants des associations devront veiller à ce que ces recommandations ne contredisent pas l’arsenal législatif existant et ne soient pas source de responsabilité pour ceux qui les édicteront. Ces associations seront aussi compétentes pour retirer la qualité de membre à ceux dont les conditions d’exercice ne seront plus remplies. Cette décision pourra faire l’objet d’un recours devant le tribunal judiciaire qui veillera notamment au respect du principe du contradictoire. Dans le cadre de cette compétence, chaque association doit constituer une commission chargée de prononcer les sanctions à l’encontre de ses membres. Le texte n’a pas défini d’échelle de ces sanctions.
Le pouvoir réglementaire fixe la composition de cette commission devant comporter a minima trois membres. En cas de conflit d’intérêts, les membres concernés devront s’abstenir de participer aux délibérations. La décision nécessairement motivée de cette commission sera ensuite adressée à l’ACPR.
Il n’y a, semble-t-il, du moins sur le papier, pas de risque de conflit de compétence entre les deux entités. En effet, selon la loi d’adoption, l’association ne pourra pas sanctionner les membres pour les manquements relevant de la compétence exclusive de l’ACPR. En revanche, le non-respect des règles édictées par l’association restera de sa compétence sur le plan disciplinaire.
Les professionnels concernés
Les associations ont à l’égard de leurs membres deux principales missions, l’une de vérification, l’autre d’accompagnement.
Une mission de vérification
A compter du dépôt du dossier d’inscription d’un professionnel, l’association dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer sur le respect des obligations nécessaires à l’exercice de l’activité.
Aux termes du décret du 1er décembre 2021, au moment soit du dépôt de dossier, soit du renouvellement d’adhésion, l’association doit veiller à ce que le membre soit titulaire d’un contrat d’assurance de responsabilité civile ainsi que d’une garantie financière. S’agissant des conditions de capacité professionnelle et de formation continue, l’association s’assurera que le personnel de ses membres respecte les conditions prévues par les textes régissant la matière.
En outre, dès le dépôt du dossier, l’association recevra de son adhérent la liste nominative du personnel avec les informations requises s’agissant du poste occupé et les conditions de capacité exigées pour celui-ci. Enfin, l’association vérifiera le respect par les membres et leur personnel des obligations de formation et de développement professionnel telles qu’elles existent déjà. La vérification des éléments justificatifs de conditions d’accès à la profession ainsi que de celles relatives à la capacité professionnelle et à la formation continue aura lieu au minimum tous les cinq ans. Les modalités de cette vérification sont libres et pourront varier s’agissant des justificatifs à fournir en fonction des associations ; l’ACPR aura cependant son mot à dire sur ces modalités lors de l’agrément de l’association.
On observera que les textes qui gouvernent la matière n’évoquent pas un contrôle de ses membres par l’association, mais une simple vérification qui doit intervenir tous les cinq ans. Il s’agit donc d’un pouvoir de vérification restreint au respect des seules conditions d’exercice de la profession ; l’association ne pourra donc obtenir d’autres informations que celles déjà évoquées ni fonder d’éventuelles poursuites sur des manquements ne résultant pas de leur absence. Cependant, l’association sera fondée à sanctionner, sous le contrôle du juge, le membre qui ne respecterait pas son code de bonne conduite.
Une mission d’accompagnement
Cette mission permettra aux courtiers d’être accompagnés dans l’utilisation des outils permettant de respecter leurs obligations. Les associations participeront ainsi à la formation de leurs membres, à la réalisation d’enquêtes statistiques permettant de rassembler les informations intéressant la profession et tiendront leurs membres informés des nouvelles réglementations les concernant.
C’est sans doute sur ce point que les professionnels de l’intermédiation de l’assurance se montreront le plus attentifs, puisqu’au-delà de cette organisation de la profession, ils pourront bénéficier d’un soutien non négligeable que seuls certains syndicats professionnels assuraient jusqu’à présent.
Ce sont les moyens matériels, mais surtout les ressources humaines qui permettront d’arrêter le choix de l’une des associations agréées qui étaient déjà sept en début d’année à avoir présenté leur candidature à l’ACPR.
1. Endya, CNCEF Assurance, Anacofi Courtage, CNCGP, VotrAsso, Afib-bancassurance et La Compagnie des IAS.
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