Carbios : l’ère du plastique biodégradable est venue
Photo : Carbios
Créer un plastique à usage unique et un totalement recyclable et d’une même qualité, tels sont les objectifs que s’est fixés et a atteint Carbios. Pour cela, la société a développé des procédés révolutionnaires à base d’enzymes. Explications.
Carbios est née de la rencontre entre deux amoureux de la mer : Philippe Pouletty, cofondateur et directeur général de Truffle Capital, et Jean-Claude Lumaret, qui a travaillé près de trente ans au sein de Roquette, un groupe familial français figurant parmi les leaders mondiaux de l’industrie amidonnière, à la fin de l’année 2010. Ce dernier, aujourd’hui directeur général de Carbios, se souvient : « J’ai rencontré Philippe qui avait détecté des opportunités d’investissement sur les micro-organismes pour la biodégradation de polymères. Il s’agissait de développer une technologie permettant de traiter la fin de vie des plastiques ».
Philippe Pouletty ajoute : « Nous sommes des investisseurs entrepreneurs très attachés aux investissements socialement responsables, et aux grands enjeux qui concernent la santé et la planète. Notre business model consiste à bâtir une entreprise dirigée par un management de qualité, dont la vocation est de répondre à un besoin médical ou environnemental majeur, initiée par des licences exclusives d’université ou de centres de recherche de premier plan. Carbios entre pleinement dans cette lignée : le recyclage est le problème de tous. Il s’agit de bâtir une économie circulaire, et de réduire notre dépendance au plastique pétrosourcé et la pollution sur terre et en mer ».
Carbios a ainsi été créée pour inventer des procédés biologiques permettant la biodégradation et le recyclage des plastiques, qu’ils soient d’origine plastique ou végétale.
Unir les mondes de la biologie et de la plasturgie
Pour la création de la société, il a d’abord fallu convaincre les chercheurs, alors que rien ne rapprochait les mondes de la biologie et de la plasturgie. Jean-Claude Lumaret se rapproche des dirigeants de la société Barbier qui fait partie des leaders européens de production de films plastiques, de Limagrain qui dispose d’une filiale dédiée à la production de films plastiques biosourcés. Un accord est également conclu avec Deinove. Outre ces industriels, Jean-Claude Lumaret rencontre des chercheurs, tout d’abord le professeur Alain Marty, professeur à l’INSA Toulouse et chercheur au LISBP (laboratoire d’ingénierie des systèmes biologiques et des procédés) spécialisé dans la microbiologie. D’abord circonspect concernant la difficulté technologique, il deviendra en avril 2015 le directeur scientifique de Carbios pour conduire avec succès sa R&D. Le CNRS et l’université de Poitiers prennent également part au projet.
En juillet 2012, le consortium Thanaplast (pour la mort du plastique) voit donc le jour pour une durée de vie initiale de cinq ans ; une soixantaine de personnes sont impliquées. Un laboratoire collaboratif est installé à Poitiers, avec le CNRS et l’université de Poitiers. Au total, 22 millions d’euros sont levés, dont 15 millions via Carbios et 7 millions d’euros via Bpifrance (sur cinq ans, entre 2012 et 2017). Outre des holdings et levées de fonds via des fonds fiscaux, Carbios est introduit en Bourse, sur Alternext, en décembre (14 millions d’euros levés). « Il ne s’agit pas de faire de la R&D pour faire de la R&D, mais de mettre en place un plan de développement ambitieux, avec une capacité financière importante, ajoute Philippe Pouletty. L’introduction en Bourse est un moyen de financement intéressant, car elle permet de structurer une entreprise et sa gouvernance les partenariats, et d’associer les investisseurs à une grande aventure industrielle. » Récemment, une opération de placement privé a permis d’injecter 3,6 millions d’euros supplémentaires.
Jean-Claude Lumaret apprécie la capacité de son partenaire financier à le libérer des contraintes budgétaires : « Philippe Pouletty nous a apporté son savoir-faire en termes de levées de fonds. Cela nous a permis de nous concentrer sur notre développement. Contrairement à d’autres financiers, il dispose d’un véritable esprit d’entrepreneur : les discussions tournent peu autour du financement, mais sur notre développement, nos innovations, les brevets déposés… L’argent n’est qu’un outil ».
Biodégradation programmée
Depuis sa création, Carbios a pu développer deux principales innovations : s’attaquer au polymère via la biodégradation et le recyclage, tout en s’attachant à rester compétitif en matière de prix.
La première concerne donc la biodégradation des plastiques à usage unique : barquettes, sacs et films plastiques, vaisselle jetable… En juillet 2014, Carbios produit le premier matériau plastique rendu entièrement biodégradable en conditions domestiques par inclusion de l’enzyme dans le matériau. Une plate-forme de développement préindustriel est également mise en place. « Le polyéthylène met quatre cents années à se dégrader, qu’il soit issu d’origine végétale ou pétrosourcé. Et lorsqu’il est biosourcé et 100 % biodégradable, par exemple issu d’amidon, il est moins résistant et se biodégrade vite ». La société développe alors un process de biodégradation par enzyme qui assure la fin de vie des plastiques, quelle que soit leur origine. Le procédé consiste alors à le rendre compostable dès sa production. « Nous savons réguler le temps de départ de la dégradation », précise Jean-Claude Lumaret.
Les résultats sont au rendez-vous et la société se félicite également du décret sur les sacs plastiques. Avec Limagrain, une joint-venture a été créée, Carbiolice, le 1er septembre 2016. Limagrain apporte son usine de bioplastique au sein de laquelle est implémentée la technique de plastique enzyme, tandis que Carbios apporte son savoir-faire via la concession d’une licence exclusive, d’une part, de sa technologie (8 millions d’euros qui seront réinvestis en capital dans la société afin de garder la majorité de Carbiolice). Un nouvel accord de financement est opéré par Bpifrance via le fonds SPI (Société de projets industriels). « Aujourd’hui, l’autodégradation des plastiques à usage unique est une quasi-réalité industrielle qui devrait se réaliser en 2020. En effet, nous sommes dans la phase d’obtention auprès des autorités alimentaires dont les tests prennent environ dix-huit mois ».
Seconde vie : une première mondiale avec le PET
En parallèle, la société s’attaque aux plastiques dont elle ne connaît pas le temps d’usage : bouteille de soda, d’eau, textile… (dépolymérisation par le procédé de biorecyclage enzymatique). Il s’agit ici de recycler les différents constituants des polymères. Jean-Claude Lumaret explique : « un polymère est fait de différentes perles. En ajoutant une enzyme à ce nouveau plastique, nous pouvons, par un procédé de dépolymérisation, séparer ses différentes perles, puis les purifier pour ensuite pouvoir les reconstituer et donner une deuxième vie au plastique ». Ici, Carbios est à l’orée de la démonstration industrielle.
En effet, elle recherche une unité industrielle. Depuis 2017, la société collabore avec le groupe L’Oréal via un consortium. L’objectif est d’attirer d’autres utilisateurs de polyester ainsi que des acteurs de la collecte de déchets. En juin 2017, un contrat sur le recyclage enzymatique du PET est signé avec TechnipFMC. « Le potentiel de Carbios et de Carbiolice est très important, se félicite Jean-Claude Lumaret. Nos objets vont dans le sens des politiques française et européenne en matière de recyclage. A l’avenir, nous pourrions attirer des partenaires capables de permettre à nos technologies d’atteindre des marchés au niveau mondial. »
Notons que Carbios travaille également au développement de plastiques biosourcés au coût de revient beaucoup moins élevé que ceux actuellement pratiqués.
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