SCPI : du « Golden Age » aux défis actuels
Par Nicolas Kert, cofondateur de Remake AM
Les SCPI ont été fortement chahutées ces quatre dernières années, subissant les conséquences de crises, à la fois sanitaire, géopolitique et inflationniste, qui se sont succédé, mettant fin à un cycle de dix ans d’un véritable âge d’or.
En février 2022, la Russie envahit l’Ukraine, provoquant un choc inflationniste sans précédent dû à la flambée des matières premières. L’inflation, déjà alimentée par les ruptures des chaînes d’approvisionnement à la sortie du Covid, atteint des niveaux alarmants. Elle entraîne alors une remontée puissante et rapide des taux directeurs, augmentant les coûts de financement. Cette hausse des taux a provoqué un tsunami sur les valorisations de l’immobilier après dix ans d’âge d’or (2010-2020), période durant laquelle toutes les stratégies immobilières étaient gagnantes. Les baisses successives des taux avaient régulièrement gonflé les valeurs, générant de la performance en capital sans effort. L’effet de levier induit par une dette peu coûteuse a également soutenu cette performance.
La collecte massive des SCPI
Parallèlement, les SCPI ont massivement collecté des fonds, avec des encours multipliés par 4,2 entre 2010 et 2022 (source : Aspim). Les épargnants étaient, à juste titre, attirés par le surplus de rendement offert par ces produits, en comparaison aux alternatives peu risquées, notamment le livret A et l’assurance-vie. Dans ce contexte, elles sont devenues particulièrement prisées, répondant à une recherche de rendement stable dans un univers de taux bas et de faible volatilité.
Au fur et à mesure que les SCPI collectaient, elles transformaient leur patrimoine en acquérant des immeubles dont les rendements à l’investissement s’affaiblissaient. Graduellement, les SCPI, qui proposaient des rendements locatifs supérieurs à 6 % en 2009, ont affiché des rendements moyens inférieurs à 4,5 % à partir de 2017 (source : Aspim). Cela était cohérent, puisque le taux sans risque (l’OAT France 10 ans) se situait entre 0 et 1 % au même moment.
L’impact de la hausse des taux d’intérêt en 2022
La remontée des taux d’intérêt en 2022 a rendu cette offre à 4,5 % moins attrayante, les placements sans risque (dont le livret A) se situant à des niveaux proches. Le même raisonnement s’applique au marché de l’investissement immobilier : les rendements attendus par les investisseurs ont brusquement augmenté, ce qui a impliqué une baisse considérable des prix.
Certaines SCPI qui avaient acheté du patrimoine avant 2022 ont été contraintes d’assumer des baisses logiques de valeurs d’expertise, entraînant des baisses de prix de parts (jusqu’à 30 % cumulés pour l’une d’entre elles). En parallèle, les demandes de retrait affluaient et la collecte s’arrêtait, faute d’offrir un produit compétitif.
Cette correction brutale a surpris de nombreux acteurs du marché, car peu d’investisseurs avaient anticipé un tel retournement aussi soudain. Ces SCPI, y compris celles autrefois louées pour leur taille et leur long track-record, se retrouvent confrontées à un double phénomène : une performance en berne due à la baisse des valeurs, et un manque d’attractivité commerciale entraînant des problèmes de liquidité (2,5 % de la capitalisation en attente de retrait au 30 juin 2024, source : Aspim - Association française des sociétés de placement immobilier).
La confusion entre risque, liquidité et performance
Un enseignement-clé de cette phase de marché concerne la confusion entre risque, liquidité et performance. En théorie, plus un actif est rentable, plus il est risqué et moins il est liquide.
La théorie aurait pu prévoir que les SCPI les plus investies, par exemple à Paris, auraient dû mieux se comporter que d’autres, plus exotiques. Or il s’est passé l’inverse. Ces SCPI ont pu se déprécier et se retrouver en situation d’illiquidité. Pourquoi ?
D’abord, le caractère prime d’un actif ne le rend pas insensible à la variation des taux. Il existe une mauvaise lecture du risque relatif qui conduit à survaloriser le désirable et à négliger le moins désirable. Prenons l’exemple des bureaux prime à Berlin qui ont perdu 40 % de leur valeur depuis leur point haut, tandis que le marché du CBD à Athènes affiche une hausse de 5,4 %. Cette situation démontre que le « prime » n’est pas une garantie contre les fluctuations de marché. Au contraire, ce segment est souvent plus volatil. Plusieurs études, notamment celle de William C. Wheaton (« The Volatility of Real Estate Markets: a Decomposition », 2015), confirment cette réalité, à rebours de la pensée populaire.
Les investisseurs ont longtemps cru que la localisation prime, notamment dans des grandes métropoles comme Paris ou Londres, offrait une protection contre les baisses de valeur. Or ce n’est pas le cas. La vertu d’un patrimoine prime réside davantage dans sa capacité à offrir de la liquidité en cas de besoin, en contrepartie d’un faible rendement. Ces immeubles sont donc volatils, moins rentables, mais plus liquides.
C’est sans doute sur ce point qu’il existe un malentendu : lorsqu’on investit dans son livret A, on exige une liquidité immédiate, en contrepartie d’une performance plus faible, mais d’un capital garanti. Lorsqu’on acquiert des parts de SCPI, on accepte une liquidité potentiellement nulle en échange d’une performance non garantie mais, en théorie, supérieure.
Dès lors que l’immobilier prime est plus volatil, moins rentable car plus désirable, mais aussi plus liquide, quelle est donc sa place dans une SCPI ? Ce segment peut être utile pour assurer la liquidité nécessaire à un fonds de remboursement, mais les récents cycles démontrent que la résilience des évaluations immobilières a davantage reposé sur des actifs avec des cash-flows sécurisés, même s’ils sont moins centraux.
Le paradoxe des SCPI
Cette situation met en lumière un paradoxe : alors qu’elles ont historiquement été perçues comme des placements stables aux performances durables, elles sont aujourd’hui exposées à une pression financière sans précédent. A noter que ces SCPI du Golden Age, parfois véritables mastodontes de l’épargne avec plusieurs milliards d’euros de capitalisation, ne font pas face à des baisses sensibles de revenus. En effet, les revenus locatifs tiennent (sauf pour les SCPI 100 % investies en bureaux), de sorte que la promesse client en matière de rendement locatif n’est pas rompue. En revanche, elles n’attirent pas de nouveaux clients, ce qui génère, pour certaines, des problèmes de liquidité.
Ainsi, sur les 90 milliards d’euros de capitalisation des SCPI, 55 milliards d’euros sont logés dans des produits où la collecte nette est nulle au 30 juin 2024 (source : Aspim). Cette absence d’attrait se traduit par une raréfaction des nouveaux investisseurs, freinant la collecte et compliquant encore la situation de liquidité.
Les SCPI résilientes face à la hausse des taux
Toutefois, certaines SCPI, créées également pendant le Golden Age, ont réussi à passer le cap de la hausse des taux. Dans la plupart des cas, ce sont des SCPI diversifiées ou à haut rendement – exception faite des SCPI fiscales qui ont un fonctionnement particulier. Les SCPI qui ont pu préserver un taux de distribution supérieur à environ 5 %, soit bien davantage que les produits de taux sans risque, n’ont pas connu de baisses sensibles de leurs valeurs et sont restées relativement attractives, évitant ainsi des problèmes majeurs de liquidité. A l’inverse, en deçà de 5 %, les produits ont été boudés et les baisses de valorisations ont été plus brutales.
Ainsi, le marché a opéré une sélection naturelle entre les SCPI les plus résilientes et celles qui ont peiné à s’adapter aux nouvelles conditions économiques.
La relation entre liquidité, performance et risque
Bien distinguer ces trois concepts permet de comprendre ce qu’il s’est passé pour les SCPI. La performance d’un actif représente le rendement qu’il génère, mais cela ne reflète pas toujours son niveau de risque ni sa liquidité. En théorie, plus un actif offre une performance élevée, plus le risque associé est élevé et sa liquidité limitée.
Un exemple typique est qu’un immeuble situé dans une zone périphérique peut offrir un rendement supérieur à celui d’un actif en centre-ville, mais sera plus exposé à des risques liés à la demande locative et à une volatilité de valorisation plus marquée. En revanche, un actif dit prime, situé dans une zone centrale, sera moins risqué en termes de demande locative, mais il peut également être plus affecté par les variations des taux d’intérêt, comme nous l’avons vu dans la récente correction du marché immobilier.
Cette relation entre risque et performance est fondamentale. Les investisseurs doivent accepter qu’un investissement immobilier à haute performance, comme les SCPI, ne garantisse pas une liquidité immédiate. C’est un aspect crucial souvent mal compris par les épargnants, qui tendent à associer les rendements stables des SCPI à une disponibilité immédiate de leur capital, ce qui n’est pas le cas.
En effet, contrairement à d’autres véhicules d’investissement plus liquides, les SCPI impliquent une immobilisation des fonds, parfois pour de longues périodes, en fonction des conditions de marché. Par ailleurs, la liquidité d’une SCPI est limitée par sa structure même : il n’est pas toujours possible de revendre rapidement ses parts en période de tension de marché, ce qui distingue fondamentalement ce produit des placements plus liquides comme le livret A ou les fonds obligataires.
Les leçons pour les stratégies futures
Que retenir de cette séquence 2010-2020 en matière de stratégie d’investissement ?
Tout d’abord, cette période de difficulté actuelle n’est pas une crise immobilière. Ou peut-être pas encore. En effet, il s’agit avant tout d’une crise des taux qui a entraîné dans son sillage une réévaluation de toutes les classes d’actifs. Il est logique que l’immobilier finisse par suivre. En revanche, en regardant les flux locatifs des SCPI, on constate que les dividendes par part n’ont pas fortement baissé (- 6 % entre 2020 et 2023 selon les données de l’Aspim, hors valeurs extrêmes). Cette statistique est corroborée par l’Inrev, dont l’indice Inrev Annual Asset Level Index 2023 affiche une croissance de la performance locative de 0,64 point de pourcentage, soit davantage que l’effet baisse de valeur enregistré en 2022.
Bien sûr, certaines stratégies d’investissement, comme les bureaux en Ile-de-France, pèsent ou vont peser sur les dividendes du fait d’un marché plus difficile.
Mais globalement, les problèmes auxquels fait face l’immobilier commercial ne sont pas liés à un phénomène de surproduction généralisé ou à un effondrement généralisé de la demande, comme ce fut le cas durant les années 1990 en France. Ainsi, le marché ne connaît pas les mêmes excès que lors de la dernière grande crise immobilière, où l’effondrement de la demande a plongé le secteur dans une longue récession. De plus, des secteurs comme le résidentiel ou les commerces ont montré une meilleure résilience face aux chocs économiques, prouvant qu’une bonne diversification sectorielle peut atténuer les risques.
Ensuite, il est important de se rappeler que les SCPI sont des fonds ouverts, quasi perpétuels. Cela signifie que si elles collectent régulièrement, elles transforment leur patrimoine pour converger vers la situation économique du moment, mais avec quelques semestres de retard. Une collecte massive peut faire courir des risques de dilution pour la SCPI, mais aussi de relution si le marché part dans l’autre sens. Toutefois, pour un produit existant, la deuxième situation est moins fréquente et généralement réservée aux nouveaux produits sans patrimoine historique acquis en haut de cycle.
Cela implique que les stratégies trop concentrées sectoriellement ou géographiquement sont perdantes à un moment donné, tant la durée de vie du produit est longue. Diversifier les placements au sein des SCPI est donc non seulement une nécessité pour les épargnants cherchant à sécuriser leur rendement, mais aussi pour les gestionnaires cherchant à optimiser la gestion des actifs dans un marché en mutation constante.
Les données de l’Aspim, pondérées par la capitalisation, sont éclairantes sur ce point. Entre 2022 et juin 2024, les SCPI diversifiées ont enregistré une variation moyenne positive de 0,67 %. En revanche, les SCPI à prépondérance bureaux ont connu une baisse moyenne de - 8,78 %, suivies des SCPI à prépondérance commerces avec une diminution moyenne de - 6,58 %. Les SCPI à prépondérance résidentielle ont montré une meilleure résistance avec une baisse plus modérée de - 2,39 %, mais la nature fiscale de ces produits nous oblige à prendre ces chiffres avec prudence.
Le virage international des SCPI
Les SCPI ont traversé les décennies, résistant aux chocs économiques et aux crises successives. Nées dans un cadre strictement franco-français dans les années 1960, elles se sont développées de manière progressive, d’abord sur des marchés locaux, avec des portefeuilles souvent modestes et concentrés. Cependant, dès les années 1990, l’appétit pour la diversification internationale a commencé à émerger. Ce premier virage embryonnaire vers l’étranger fut marqué par des erreurs de gestion, laissant un souvenir douloureux à certains épargnants.
Ce n’est qu’à partir du milieu des années 2010 que les SCPI ont véritablement retrouvé leur éclat à l’international, avec une meilleure maîtrise de la gestion, une monnaie unique réduisant les risques, mais surtout des traitements fiscaux à la fois plus normés et non confiscatoires.
Dans un monde de plus en plus interconnecté, où l’exposition à des actifs immobiliers étrangers est devenue une pratique courante pour les épargnants, il semble inévitable que les SCPI continuent de renforcer leurs positions à l’international. Les cycles immobiliers variant selon les pays, cela crée des opportunités, tout en atténuant les risques.
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