Les SCPI seront-elles victimes de leur succès ?
Par Françoise Paoletti
En 2016, les SCPI ont collecté plus de 5 milliards d’euros, soit 40 % de plus que l’année précédente. Est-ce trop ? Les rendements pourront-ils rester attractifs dans un contexte de concurrence accrue pour l’achat de biens de qualité ? Plongée dans le monde de la pierre-papier qui s’organise pour assurer la sécurité de ses véhicules et continuer à servir des rendements corrects.
Certes, dans l’absolu, plus de 5 milliards d’euros collectés paraissent beaucoup. Mais tout est relatif. « Si l’on replace les chiffres dans un contexte général, le montant paraît moins impressionnant, note Jonathan Dhiver, fondateur de MeilleureSCPI.com. Ainsi, l’an dernier, les transactions sur le marché immobilier tertiaire français ont représenté 30 milliards d’euros. Les SCPI ne représentent donc qu’une part minime des investissements, d’autant plus qu’une part grandissante de la collecte est investie sur des marchés étrangers. A titre d’exemple, les transactions sur le marché tertiaire allemand ont représenté 60 milliards d’euros l’an dernier. La collecte française a donc encore de quoi trouver où s’investir, si l’on adjoint d’autres marchés européens. »
Pourquoi un tel engouement pour les SCPI ? Deux raisons principales : un nombre important d’épargnants se détourne de l’investissement immobilier direct (habitat), dont la rentabilité est en baisse et qui devient de plus en plus compliqué à gérer ; ces véhicules offrent des rendements élevés : 4,6 % en moyenne en 2016, aux alentours de 4 % sans doute en 2017, ce qui restera attractif.
« Les SCPI sont sur des niveaux de rendement extrêmement élevés par rapport à leur environnement, note Philippe Vergine, directeur général de Primaliance. Les fonds en euros offrent moins de 2 %, et l’on a la possibilité de s’endetter entre 1 et 2 % sur des durées longues. Il s’agit donc plus d’une phase de rattrapage que d’une bulle. Compte tenu des autres marchés financiers et de l’environnement général, les SCPI devraient plutôt servir du 3,5 %. C’est pour cela que beaucoup de sociétés revalorisent la valeur des parts entre 2 et 6 %. Elles ont raison : c’est logique et sain. Elles réajustent le retard qu’elles ont par rapport au marché. »
Train de mesures pour piloter dans un contexte délicat
S’il n’y a pas encore péril en la demeure, les gérants de SCPI s’organisent tout de même, face à cette collecte exponentielle. Mieux vaut prévenir que guérir.
Revaloriser les parts
La revalorisation des parts est donc la première des mesures prises par la majorité des gérants.
Limiter la collecte
Beaucoup de gérants ont le souci d’ajuster la collecte à leurs capacités d’investissement. Pour les SCPI à capital fixe, c’est facile. Pour celles à capital variable, il suffit de s’entendre avec les distributeurs. « En 2016, notre collecte n’a été augmentée que de 10 %, indique, par exemple, Jean-Marc Peter, directeur général de Sofidy. Nous avons des accords contractuels avec des CGP et des partenaires assureurs à qui nous proposons des enveloppes qu’ils respectent. Et auparavant, aucun épargnant (foyer fiscal) ne pouvait souscrire plus de 150 000 € (en flux et en stock) sur l’une de nos SCPI. Il y a un an, ce seuil a été abaissé à 100 000 €. »
Equilibrer les profils d’investisseurs
Si les particuliers souscrivant en direct sont encore majoritaires dans les SCPI, les assureurs-vie (via les fonds en euros de leurs clients, ou leurs fonds propres) prennent une part grandissante. Certaines SCPI ne souhaitent pas qu’elle augmente trop. « C’est toujours un motif d’inquiétude pour les épargnants de savoir que les compagnies sont très présentes dans les SCPI, surtout via leurs fonds propres, note Isabelle Rossignol, présidente de Ciloger et directeur général de Nami-AEW Europe. Car si les particuliers qui détiennent des parts dans leurs contrats sont susceptibles de procéder à des rachats ni plus ni moins violemment que ce que des souscripteurs en direct pourraient faire eux-mêmes, les arbitrages des compagnies sont plus aléatoires et moins prévisibles. Il s’agit donc de contrôler leur présence. »
Les sociétés de gestion ont de toute façon intérêt à avoir une collecte en direct plus importante car celle-ci est plus rémunératrice ; les compagnies d’assurance demandant des rétrocessions importantes pour faire bénéficier leurs assurés d’une absence de délai de jouissance des revenus.
Mutualisation du risque plus que jamais à l’ordre du jour
Diversifier les actifs
Aux bureaux, entrepôts et petits commerces de rue se greffent de nouveaux actifs, comme des hôtels, des cliniques, ou, plus surprenant, des campings. « Le secteur des loisirs est porteur, note Jean-Marc Peter. Et les campings présentent l’intérêt d’être des actifs commerciaux simples en termes de compréhension du business plan (important pour négocier d’égal à égal avec le locataire) et simples à revendre, le cas échéant. Le terrain a de la valeur, surtout si la zone est constructible. Ce n’est pas le cas, par exemple, pour des actifs très marqués par une activité, comme des structures médicales pour lesquelles de lourds travaux doivent être faits pour en changer la destination. La vente est alors plus compliquée. »
« Pour accroître nos capacités, nous avons doublé nos équipes d’investissement en l’espace de deux ans, signale Marc Bertrand, président de La Française REM. En terme sectoriel, le LMNP devient enfin accessible aux particuliers via un produit novateur que nous avons conçu avec Cerenicimo. »
Depuis la loi Macron de 2015, il est, en effet, possible d’investir dans la pierre-papier en bénéficiant de la fiscalité avantageuse du statut de loueur en meublé non professionnel. « Il était impossible, pour des raisons fiscales, d’intégrer du LMNP dans une SCPI, alors nous avons créé LF Cerenicimo, premier FILM (fonds d’investissement en location meublée qui appartient au groupe des OPCI) qui représente une alternative aux SCPI classiques, indique Benjamin Nicaise, président de Cerenicimo. Investi dans des résidences de tourisme, seniors et étudiantes, il aura un fonctionnement assez similaire à celui d’une SCPI : il sera “pur” avec 85 % d’immobilier, devant conserver une poche de liquidité de 15 % pour faire face aux sorties, comme la loi l’impose. »
Les frais sont similaires à ceux prélevés dans les SCPI : 10 % de frais de souscription auxquels s’ajoutent 10 % (prélevés sur les loyers encaissés) de frais de gestion. A noter qu’A Plus Finance se lance aussi dans le LMNP avec l’OPCI grand public Silver Génération, centré sur des résidences pour personnes âgées autonomes.
Elargir ses territoires d’investissement
Si le marché devient trop étroit, il faut pousser les frontières. C’est ce que font beaucoup de SCPI qui investissent les marchés européens. L’Allemagne a la plus grosse cote d’amour (voir encadré), malgré des prix en hausse. « Nous prospectons dans toute l’Europe, note Isabelle Rossignol, mais particulièrement en Allemagne, Belgique et Espagne. Et pas seulement pour notre SCPI Actipierre Europe. Pierre Plus va aussi investir plus en Europe, tout comme Atout Pierre diversification dont 8 % de ses actifs sont déjà belges. »
« Nous diversifions géographiquement nos investissements, notamment en Allemagne, où il y a des opportunités où le régime fiscal est comparativement favorable, ajoute Marc Bertrand. Une équipe allemande située à Francfort investit et gère pour notre compte sur le territoire allemand. Mais nous avons aussi prospecté à Amsterdam et regardons d’autres territoires européens. »
Corum souhaite même aller plus loin avec sa dernière-née, Corum XL, en s’intéressant au monde entier.
Décaler le délai de jouissance
Quasiment toutes les SCPI ont décalé le délai de perception des premiers revenus pour les souscripteurs. Celui-ci est désormais souvent égal à six mois. « Le fait est que les conditions actuelles du marché de l’immobilier d’entreprise entraînent un allongement du délai d’acquisition – il nous faut plus de temps pour trouver et investir dans des actifs de qualité – et que les affaires sont de plus en plus complexes, explique Fabrice Violot, directeur du développement commercial de BNP Paribas REIM France. Nous achetons des immeubles plus gros qu’auparavant, à des prix supérieurs à 100 millions d’euros (ce qui nous permet d’ailleurs de ne pas être en concurrence avec les petites SCPI), mais qui nécessitent parfois la création de structures intermédiaires (des sociétés) pour détenir ces immeubles. » Pour d’autres gérants, ce serait plutôt « Small is beautifull » : « le rendement des biens plus modestes est meilleur car ils ne rentrent pas dans le processus des appels d’offres des brokers qui fait grimper les prix, note Alexandre Claudet, directeur général adjoint du groupe Voisin. Ne pas être en concurrence avec les grandes SCPI pour des biens inférieurs à 10 millions d’euros, mais avoir en face de nous des particuliers aisés, nous permet justement d’acheter dans de meilleures conditions car, réglant cash, nous négocions au mieux. »
« Toutes ces mesures vont dans le bon sens, conclut Jonathan Dhiver, mais il faut encore en ajouter une pour sécuriser encore plus ce secteur des SCPI, et c’est maintenant le travail des CGP : inciter les souscripteurs à investir régulièrement, des petits montants dans les SCPI, comme cela se fait avec les OPCVM. Cela permet de lisser le risque et les gérants ne se retrouvent pas avec des sommes importantes à investir rapidement. »
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