Vincent Couroyer (Magnacarta) : comment valoriser son cabinet de gestion de patrimoine

Par : edicom

Par Vincent Couroyer, président de Magnacarta

La question de la valeur de son outil professionnel est une question légitime pour tout chef d’entreprise. Même si elle n’est pas quotidienne, elle peut survenir à l’occasion d’une rencontre, d’une opportunité ou tout simplement d’une volonté de mettre un chiffre sur la valeur créée. 

Pour reprendre une citation de Warren Buffet : « la valeur est ce que vous obtenez, le prix c’est ce que vous payez ». Ce sont deux notions bien différentes, car l’une est objective – la valeur –, l’autre est subjective – le prix. La question de la valorisation client peut donc être envisagée sous deux angles.

Comment calculer la valeur créée

On peut rentrer dans le débat des différentes méthodologies de valorisation d’un cabinet. Néanmoins, deux méthodes sont admises par le marché comme référence incontournable même si in fine le prix se définit par la rencontre entre un acheteur et un vendeur.

La méthodologie la plus répandue reste celle des coefficients appliqués aux rémunérations récurrentes, mais elle pose toutefois la question du niveau du coefficient à retenir. Selon Aprédia, un coefficient 3 sur l’assurance-vie constitue une norme. La véritable question n’est pas de savoir si le coefficient est le bon mais si le résultat de la méthode reflète bien la création de valeur de l’activité. L’autre méthode admise est celle du multiple de l’Ebidta normé. Cette méthode est de plus en plus utilisée pour valoriser tout type d’activité. Dans ce cas, la discussion tournera autour des retraitements à appliquer pour exprimer un Ebidta au plus proche de la réalité économique.

Entre les deux méthodes, il est difficile de trancher pour l’une ou l’autre, le choix dépendant de la situation propre de chacun. 

Quelle que soit la méthode retenue, le résultat de la valorisation sera influencé par la qualité du portefeuille : la taille, les caractéristiques des clients, l’organisation du cabinet viendront pondérer cette valeur qui servira de base à la discussion avec l’acquéreur. Cependant il ne faut pas oublier que le projet de l’acquéreur aura une incidence sur le prix. Entre un projet de consolidation ou un projet de reprise d’activité, la perception du prix sera différente.

En synthèse, ces méthodologies reposent sur un ensemble de paramètres similaires.

Une valorisation à optimiser

La véritable question est de savoir comment optimiser ces paramètres, que l’on parle des rémunérations récurrentes ou du niveau de rentabilité du cabinet. C’est sous ce second angle que l’action du gérant aura le plus d’impact sur la valorisation de son activité professionnelle.

Le métier de conseiller en gestion capitalistiquement indépendant est relativement récent. Lors de nos échanges avec des cabinets, notamment les membres de Magnacarta, se pose toujours la question suivante : « quelles sont les raisons qui vous ont décidé à exercer votre métier dans cette configuration ? »

Les réponses sont communes : cette décision est prise à la suite d’une expérience plus ou moins longue au sein d’un acteur traditionnel du métier comme une banque ou une compagnie d’assurance avec comme volonté :

- de servir les intérêts du client et non une stratégie d’entreprise ;

- d’exercer son métier selon ses propres principes et valeurs ;

- d’établir une réelle relation pérenne avec les clients.

Le développement du métier de CGP s’appuie en effet sur un élément de différenciation fort et efficace : la qualité de la relation client. Cet effort de différenciation est primordial.

En comparaison avec d’autres pays, notre système bancaire et assurantiel jouit d’un capital confiance et d’une puissance incomparable. Pour preuve, la France possède le premier assureur mondial avec Axa et place deux de ses banques au rang des 10 premières mondiales. Ces établissements sont donc des interlocuteurs naturels pour les clients finaux. Et pourtant, on peut affirmer que la stratégie actuelle des banques sert la profession de CGP. En dématérialisant leur relation client avec une offre 100 % digitale, les banques offrent aux conseillers de réelles opportunités dans un contexte où l’accompagnement devient indispensable aux vues des innovations juridiques et fiscales dont nos gouvernants font preuve.

Le client est au centre de l’activité du CGP. Son ancrage local l’inscrit dans son paysage économique. Son statut de chef d’entreprise le met à égalité avec la plupart de ses clients. Il est une preuve d’engagement et un gage de pérennité. En fait, la qualité de la relation instaurée avec le client aboutit à le détourner des acteurs traditionnels.

Des atouts pour profiter de la désertion des acteurs traditionnels

Quels sont les atouts des CGP pour profiter de cette ouverture laissée par les acteurs traditionnels ? La réponse est simple : pour poursuivre la valorisation de son patrimoine professionnel, le CGP doit travailler sur ce qui en fait sa valeur, la qualité de la relation avec ses clients.

En plaçant le client au centre de sa stratégie, l’activité du CGP va se développer grâce à un meilleur taux d’équipement de ses clients existants et à une recommandation plus efficace pour en conquérir de nouveaux. Ses recettes vont ainsi augmenter, la rentabilité par client s’améliorer : les éléments chiffrés servant à la valorisation de votre portefeuille seront meilleurs. La valeur du portefeuille va s’accroître !

La relation client est primordiale

Ce travail sur la relation client est d’autant plus pertinent que nous avons changé de paradigme ces dix dernières années. Nous avons connu et connaissons encore une forte instabilité juridique et fiscale. Le contexte géopolitique a fortement influencé les marchés financiers. L’économie a profondément évolué : les plus grandes capitalisations boursières aujourd’hui n’étaient pas présentes dans le classement il y a 10 ans. Les dogmes qui régulaient les marchés financiers ont été bousculés. Toutes les classes d’actifs ont souffert en période de crises. Enfin, on le dénonce tous : depuis 2007 et MIF I, les CGP subissent l’alourdissement de leurs obligations réglementaires et des couches successives de nouvelles réglementations (MIF II, TracFin, DDA, Priips…) 

Toutes ces influences exogènes ont parfois éloignés les CGP de leur atout majeur et qui fait toute leur valeur : le client.

Parce-que l’intérêt pour le client est fondamental, les CGP mettent souvent un point d’honneur à servir l’ensemble de leur portefeuille de manière équivalente peu importe le montant de leurs avoirs ou la complexité de leur organisation patrimoniale. Si chaque client mérite d’être servi, Mais le besoin de service est-il identique pour chacun d’entre eux ? La réponse est évidente : non ! Le CGP doit trouver un moyen de différencier ses services pour répondre à la demande et assurer sa rentabilité.

Tout naturellement, la segmentation de la clientèle représente la solution préalable pour répondre à ce besoin d’organisation du cabinet de gestion de patrimoniale. Elle permet de structurer et d’adapter le niveau de service à chacun des patrimoines. Ni trop, ni trop peu. 

La cartographie de la clientèle devient l’étape initiale et indispensable dans la stratégie de valorisation du portefeuille.

Segmenter efficacement un portefeuille client

Pour assurer une bonne segmentation de la clientèle, le niveau et la complexité du patrimoine sont à considérer en premier lieu. Il faut pondérer ce critère par deux éléments : quel est le revenu généré par client ? Quel est le stade de maturité de son patrimoine ?

Notons que les moyens techniques et humains sont différents entre la mise en œuvre d’une stratégie et ceux nécessaires à son suivi. Une situation professionnelle active nécessitera un accompagnement plus complexe qu’une situation stable. 

De manière synthétique, la segmentation de la clientèle s’articule autour de trois facteurs : taille – revenu - degré de maturité et permet de cartographier le portefeuille.

Deux axes de travail en découlent :

- définir les différentes typologies de service à apporter : une fois formalisés, les moyens humains, techniques, produits pourront être adaptés à chaque catégorie de clients. Mieux adapté, le traitement des clients sera donc plus efficace et la satisfaction client plus grande. Le CGP gagne en stabilité, revenu et rentabilité de chaque catégorie de clientèle ;

- établir la stratégie de développement du cabinet. Ce travail de segmentation va définir la cible de clients avec lesquels le CGP est à l’aise ou vers lesquels il doit concentrer ses efforts. Le temps de la conquête tous azimuts est fini.

Ce travail nécessite une prise de recul. La plupart du temps, le CGP connaît très bien les caractéristiques de chacun de ses clients. Mais rattraper par le quotidien et l’exigence des clients, ce travail de fond n’est pas réalisé. Un accompagnement par un agent externe est souvent facilitateur de cette transformation.

La segmentation clientèle constitue le démarrage du travail nécessaire à la valorisation du cabinet. Cette segmentation sert de socle à l’activité de gestion de patrimoine.

Sans cette étape préalable, les autres actions que le CGP peut entreprendre nécessiteront un effort plus important ; auront un impact réduit car l’objectif n’aura pas été défini et manqueront parfois leur ambition.

Une fois la segmentation réalisée et entretenue, des actions concrètes peuvent être initiées toujours dans l’optique de valorisation du cabinet.

Quatre autres pistes à privilégier

Sans faire une liste à la Prévert, quatre axes de travail peuvent être envisagés pour améliorer la valorisation de votre cabinet.  

Le double gain de l’approche globale

Les CGP se réclament tous de ce principe qui consiste à envisager l’ensemble du patrimoine et ses problématiques avant de procéder à un conseil. Mais, il faut être honnête, l’approche globale n’est pas toujours la méthode la plus aisée à mettre en œuvre. Dans bien des cas, on définit la problématique la plus sensible du client pour y répondre en se promettant d’élargir le spectre par la suite.

Cette seconde étape se produit rarement et le client reste traité partiellement. Cependant, avec la discipline de l’approche globale, on peut répondre à la question la plus sensible du client mais le CGP va également s’ouvrir l’opportunité de démontrer sa compétence technique. La capacité à réaliser un diagnostic dans tous les compartiments du patrimoine puis de proposer une organisation globale en adéquation avec les projets de vie du client valorise son savoir-faire. La facturation d’honoraires devient alors logique et normale pour le client. Le CGP se valorise en formalisant son conseil et améliore la marge dégagée par le client. Au-delà des honoraires, cette méthodologie de travail permet d’élargir son intervention auprès du client. Quelle soit immédiate, ou quelle s’inscrive dans le temps, cette méthodologie aboutit finalement à améliorer la relation client. En connaissant mieux son client, le CGP apporte un service plus adapté à son besoin. Il devient ainsi son interlocuteur privilégié pour tout ce qui concerne son patrimoine et peut donc l’accompagner à chaque événement de sa vie. Le CGP s’ouvre l’opportunité d’approfondir la relation commerciale. La relation client est ainsi renforcée garantissant une plus grande pérennité. Elle sera ainsi mieux valorisée au sein du portefeuille. 

A noter également, l’approche globale permet, dès la phase de découverte puis dans la phase de suivi, de remplir ses obligations réglementaires dans toutes ses dimensions. Les devoirs d’information et de conseil, la détermination du profil du risque sont réalisés dès l’origine de la relation et se poursuivent pendant la relation. Le CGP adapte ainsi l’organisation et l’exposition au risque du patrimoine suivant l’évolution de la situation et des objectifs du client. Finalement, cette approche possède l’avantage de simplifier l’intégration des obligations réglementaires dans la relation régulière avec votre client. Et un cabinet en conformité est un cabinet qui se valorise.

La sélection des produits et suivi de la gamme

Le constat est simple. Un cabinet de CGP mature compte plusieurs dizaines de fournisseurs qu’ils soient assureur, promoteur immobilier ou acteur financier. Cette diversité est coûteuse en temps et en argent mais est également porteuse de risques.

En effet, chaque fournisseur impose ses propres procédures. Le temps consacré à chaque opération augmente en parallèle du risque d’anomalie voire de non-conformité. Si in fine, l’opération est bien enregistrée, elle a généré un délai de traitement important et d’éventuelles demandes complémentaires auprès du client. Elle peut aboutir à une perception médiocre du service proposé. L’opération coûte cher en temps, image et risques portés. La dispersion fournisseurs ne permet pas non plus de tisser des liens de qualité avec les partenaires. Plus distant, le cabinet ne pourra pas obtenir le soutien d’un fournisseur en cas de demande spécifique. Outre le temps à convaincre le fournisseur, le risque est de ne pas pouvoir répondre à l’attente du client donc de ne pas le satisfaire. Cette dispersion limite aussi les perspectives de négociation tarifaire. Cette situation a donc une conséquence directe sur la rentabilité du cabinet.

Sur cette thématique, l’application de la réglementation, notamment MifiD II, conduit à une concentration de la production en imposant une connaissance complète de l’offre produit du cabinet dès son référencement et de la poursuivre durant sa vie. Véritable gouvernance, la concentration de l’offre produit limite le risque de non-conformité et recentre l’activité du cabinet de manière pertinente.

L’allocation d’actifs

Sur quoi dois-je investir pour gagner plus ? A été longtemps l’une des premières questions des clients à laquelle les CGP pensaient connaître les réponses et prouver leur savoir-faire. Or, les grandes règles qui régulaient les marchés financiers ont été bouleversées depuis 2001. Pour illustrer ce propos, il faut regarder l’évolution de toutes les classes d’actifs depuis neuf ans. Par l’intervention des banques centrales, toutes les classes d’actifs ont progressé. Cela a donc gommé l’apport de l’allocation d’actifs et de la sélection produit. Cette situation tire à sa fin et va rendre de nouveau primordiale cette mission.

Allouer l’actif fait bien partie des prérogatives du CGP puisqu’il a défini avec le client l’exposition aux risques et donc l’objectif de valorisation. La mise en place dans un portefeuille mais surtout son suivi, en revanche, il faut être honnête, sont complexes. Le CGP est-il réellement capables d’analyser et de sélectionner les meilleurs supports financiers ? Les CGP ne maîtrisent pas tous les mécanismes sophistiqués intégrés dans ces véhicules et leur sélection reste consommatrice de temps.

La réglementation sur la gouvernance produit impose une analyse suivie dans le temps des supports financiers sélectionnés. Sachant qu’un portefeuille comporte en moyenne une centaine de supports, il va être difficile d’être en conformité avec cette obligation. Et on ne parle pas de l’obligation de justification et de reporting sur chaque opération d’arbitrage réalisée. De plus, quand le CGP décide d’implémenter l’allocation d’actifs dans un portefeuille, il prend aussi une part de responsabilité sur la performance réalisée. Chronophage pour les cabinets, le périmètre d’intervention dans cette mission doit être revu. Le CGP doit concentrer son intervention de l’allocation d’actifs, de l’allocation des risques et de son évolution en fonction des objectifs et des éléments exogènes. Il devient alors nécessaire de confier cette mission à des professionnels de la gestion financière. Le rôle de sélection et le contrôle de l’action du gérant financier devient de sa responsabilité ; la performance et le reporting étant celle du gérant financier.

L’offre de gestion pilotée, de gestion conseillée, de gestion sous mandat s’est fortement développée ces dernières années. Un travail de sélection des acteurs est à faire. Mais la délégation permet de proposer au client une réactivité plus importante. Elle dégage du temps préalablement dévolu à la sélection et au suivi. Ce temps doit être ainsi consacré à la conquête de nouveaux clients et à l’amélioration de la relation avec les clients existants.

Elle a donc un impact immédiat sur la rentabilité du cabinet et de sa valorisation. 

Les outils techniques

La question de l’optimisation de la rentabilité du cabinet pousse à envisager un équipement digital et informatique. Effectivement ces outils sont indispensables mais doivent s’inscrire dans une stratégie globale.

En réalisant un travail au préalable à travers les axes cités, le choix des outils mis en place répondra parfaitement aux besoins internes et apportera sa complète contribution à l’optimisation de la rentabilité du cabinet. En pratique, une revue de chaque processus en cabinet est utile pour exploiter au maximum les possibilités des outils disponibles sur le marché. L’outil doit permettre d’intégrer la segmentation de la clientèle et de dématérialiser une partie de la relation notamment dans le suivi. L’obstacle de la dématérialisation est le plus souvent dans nos têtes car les plus grands utilisateurs de tablettes sont aujourd’hui … les personnes de plus de 60 ans. On critique parfois les coûts engendrés par ces outils, comme celui de la signature électronique, mais en réalité, faire signer une mise à jour de documents réglementaires coûte en temps bien plus que 2,5 euros...

Sans prendre parti pour un outil particulier, son implémentation dans un cabinet doit être guidée par une optimisation des missions à faible valeur ajoutée. Il doit être simple, éviter toute redondance de saisie et être le plus global possible. Son objectif est de dégager du temps pour le consacrer à la relation client.  

Conclusion

Ces réflexions représentent des axes de travail possibles. Elles peuvent aboutir à faire évoluer la méthodologie de travail au sein du cabinet. Elle est tout simplement guidée par une démarche que tout chef d’entreprise doit s’imposer, quel que soit son domaine d’activité. Sans cette démarche, l’activité se dévalorise.

S’interroger, s’adapter et voir les nouvelles opportunités à éclore, ce n’est qu’à cette condition que les CGP pourront accueillir et non subir les changements à venir. S’il exige de réelles compétences techniques, ce métier reste fondé sur la relation humaine. Nous partageons donc la conviction que c’est en valorisant la relation client, sous tous ses aspects, qu’un cabinet verra sa valeur croître.

A l’heure du digital, n’oublions pas notre principal avantage concurrentiel : la relation-client et concentrons-nous sur ce qui nous rend unique, sur ce qui nous valorise.

 

  • Mise à jour le : 26/09/2018

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