Vers des évolutions juridico-financières
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Xavier Lépine, le président du directoire de la Française, nous livre son point de vue sur les évolutions de l’économie mondiale et ses conséquences sur l’épargne, ainsi que sur la digitalisation de l’intermédiation financière.
Profession CGP : Quel regard portez-vous sur l’évolution de notre univers économique ?
Xavier Lépine : La technologie nous entraîne dans un monde d’hyper-progrès sans croissance. C’est l’état naturel du capitalisme : produire plus pour moins cher. Marx avait raison quand il disait « l’industrialisation porte en soi les germes de la destruction du capitalisme ». Au final, avec une dette colossale, l’absence de croissance et d’inflation, les taux vont continuer à rester bas pour rendre supportable la dette accumulée. Or avoir des taux négatifs, c’est considérer que le futur est plus certain que le présent. On change de paradigme, nous perdons tous nos repères car le taux d’intérêt était le benchmark absolu. On ne sait plus pricer les autres actifs cotés, d’où une volatilité exacerbée. L’accélération des crises est normale. A l’origine d’une crise repose toujours un surendettement : celui-ci est révélé, puis on repasse le bébé… Avec la mondialisation, l’hypothèque est devenue rechargeable, la bulle obligataire énorme. Soit on assiste à une sortie de crise à la japonaise, soit ça explose, et là il convient d’imaginer les solutions à mettre en place.
PCGP : Quelles sont les conséquences sur le marché de l’épargne ?
X. L. : Je crois que l’épargnant épargnera davantage afin de combler la moindre rentabilité de ses placements. Son objectif étant de conserver son pouvoir d’achat, il privilégie les produits de rente en sacrifiant la liquidité via de l’immobilier de bureau, des fonds de prêt à l’économie ou des produits structurés à risque limité. S’il souhaite conserver sa liquidité, nous mettons en avant notre gestion actions couvertes, des fonds actions à dividende, de la performance absolue ou des solutions de minimum variance afin de ne pas trop perdre dans un monde d’incertitudes. Par ailleurs, je ne crois plus à la France des propriétaires comme voulu dans les années Soixante. Les revenus n’augmentent plus et les taux d’intérêt ne peuvent plus baisser. L’accès à la propriété est difficile dans les milieux urbains denses…
Parallèlement, les mentalités évoluent : nous passons d’une civilisation de l’usage plutôt que de la propriété. On pourrait assister à l’émergence de baux emphytéotiques ou à la séparation de la propriété dans le temps ou dans l’espace, avec la propriété d’un bien sur une durée déterminée, par exemple cinquante ans qui correspond à l’espérance de vie lors de l’acquisition du premier bien immobilier, et faire du foncier une rente délivrant de 1 à 1,5 %. Des formules de location-accession avec l’achat à terme vont également se généraliser. Il s’agit de décaler dans le temps et dans l’espace la propriété de l’usage, avec le développement de nouveaux modèles économiques. Ce type d’ingénierie financière va se développer et, pourquoi pas, se substituer au contrat en euros, car ils répondront aux besoins des personnes. A moyen terme, l’épargnant va devoir réfléchir selon ses besoins à terme : financement d’une place en résidence senior, soins, services à la personne…
De plus en plus va se développer une épargne visant à satisfaire ces besoins liés à l’allongement de la durée de la vie, car on n’hérite plus au même âge et les retraites seront forcément plus faibles. Des évolutions des techniques juridico-financières apportées par les marchés et l’assurance vont être amenées dans les quinze années à venir. Le financier est là pour intermédier le temps, les risques et les acteurs. Tout cela va se réinventer, mais cela va prendre du temps.
PCGP : Parallèlement, l’univers de l’épargne se digitalise…
X. L. : C’est, à la fois, destructeur et créateur d’emplois. La disruption dans le monde de l’épargne est réelle et s’accompagne d’une pression réglementaire sur le distributeur en voulant lui retirer ses commissions. Or quand on achète une voiture, on rémunère bien le concessionnaire sans lui demander combien il touche ? Attention à ne pas jeter l’eau du bain avec le bébé. Cela appauvrirait le choix de l’épargnant, ce qui n’est pas l’objectif visé.
En France, cela serait une bien mauvaise nouvelle, tant la banque de réseau est déjà peu en architecture ouverte. Les gens n’ont pas une bonne image de leur banque, d’autant plus que le personnel en agence n’est généralement pas beaucoup plus informé aujourd’hui que son client. Alors oui, les robo-advisors vont attirer un certain public, d’autant plus qu’ils vont s’améliorer d’une bonne dose d’intelligence artificielle s’ils sont bien paramétrés. Néanmoins, la satisfaction client ne se mesure pas qu’en numéraire, mais aussi par le service.
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