Patrick Rivière (La Française) : un maestro du développement international
Depuis mai dernier, Patrick Rivière est à la tête de La Française, le groupe qu’il a largement contribué à développer et à ouvrir à l’international. La suite logique d’une carrière marquée de choix affirmés et fidèlement assumés…
Il se voyait prof de maths ; il est aujourd’hui à la tête de l’une des principales sociétés de gestion françaises… Une histoire de choix et de rencontres, ponctuée d’heureux hasards. C’est à Saint-Etienne, le berceau familial, que Patrick Rivière effectue toute sa scolarité. Doué pour les mathématiques, il y suit la voie royale : filière scientifique, puis classes prépa, Maths sup, Maths spé. S’il aime les maths, la physique et la chimie ne l’emballent guère, au point qu’il préfère éviter les concours où figurent ces deux matières. « Il en restait assez peu ; seulement deux ou trois. C’est ainsi que j’ai intégré l’Institut de science financière et d’assurances (ISFA) à Lyon », se souvient-il.
Patrick Rivière entre à l’ISFA en 1980, avec l’idée de devenir actuaire. Il y découvre le droit, la comptabilité, l’économie ; des matières qu’il prend plaisir à étudier. Son diplôme en poche, il renâcle toutefois à se lancer dans une carrière financière. « Je suis issu d’un milieu assez marqué à gauche. J’avais des a priori sur ce secteur », admet-il. C’est donc vers la réassurance qu’il se tourne. Il avait d’ailleurs soutenu sa thèse sur ce sujet et déjà effectué un stage, qu’il avait apprécié au point de le faire prolonger. Le jeune diplômé négocie son embauche : elle prendra effet à son retour du service militaire.
Des marchés financiers à l’immobilier
Mais lorsqu’il revient à la vie civile en 1983, le poste prévu n’existe plus. Le secteur de la réassurance a connu entre-temps quelques turpitudes dont a souffert la société qui devait l’embaucher. « J’ai alors été convaincu par le directeur de l’ISFA de contacter Alain Wicker, qui travaillait chez Cholet-Dupont comme responsable obligataire. Et ce dernier m’a persuadé de venir le rejoindre », raconte Patrick Rivière.
Il commence donc sa carrière chez Cholet-Dupont comme responsable de l’informatique et de la recherche obligataire. Il y reste jusqu’en 1985, date à laquelle Alain Wicker crée la société de gestion Fimagest. Patrick Rivière le suit et devient l’un des premiers salariés de la nouvelle structure, en tant que gérant Fixed Income. Il est bientôt nommé responsable des gestions avant d’être promu, à sa grande surprise, directeur général adjoint, à la faveur d’une réorganisation interne. « J’étais en charge de toute la structure opérationnelle, précise Patrick Rivière. Cela m’a permis de compléter ma formation. Je savais que je ne voulais pas faire éternellement de la gestion. » Et l’ascension se poursuit : il devient bientôt directeur général de Fimagest, au côté d’Alain Wicker.
En 1995, l’actionnaire principal de Fimagest, Suez, fait part après quelques dé-boires dans l’immobilier de son souhait de se retirer de la société. Fimagest est alors assez visible sur la place de Paris et les acquéreurs se pressent au portillon. Deux acheteurs se dégagent : La Générale de Banque et Invesco. La première remporte le marché.
Rebondissement quelques mois plus tard, lorsque le nouvel actionnaire annonce son intention d’envoyer l’un des dirigeants de Fimagest à Bruxelles, afin d’y prendre la responsabilité de l’asset management de la société… Patrick Rivière saisit l’opportunité et part s’installer dans la capitale belge. Un véritable changement d’univers. La Société générale de Banque est alors une très grande banque belge, où le bilinguisme est de rigueur. Le jeune patron apprend le flamand et s’enthousiasme pour ses nouvelles fonctions. « J’ai beaucoup aimé travailler en Belgique et avec les Belges, confie Patrick Rivière, je bénéficiais d’une grande confiance du management de Générale de Banque. J’ai donc passé trois années vraiment agréables à Bruxelles. »
Faire des choix et s’y tenir
Le rachat de la banque par Fortis en 1998 met un terme à cette période. L’opération est assez rugueuse. Après un processus d’intégration compliqué, Patrick Rivière est nommé CEO de Fortis Investment Management en décembre, avec sept cents personnes sous sa responsabilité. Un poste très valorisant, qu’il décide pourtant de quitter quelques mois plus tard, en septembre 1999. « Fortis était un groupe extrêmement compliqué, trop politique à mon goût. J’avais envie d’un poste avec une logique de développement plus marquée », explique-t-il. Il rejoint alors l’américain Invesco – qu’il connaît bien depuis le rachat de Fimagest – et devient l’adjoint de Jean-Baptiste de Franssu, en charge du développement du groupe en Europe continentale.
Pour Patrick Rivière, l’expérience s’avère particulièrement formatrice. Pendant près de dix ans, il explore les arcanes de la vente et du marketing, qu’il pratique à haute dose. Il vit à l’international, saute d’un avion à l’autre quatre jours par semaine pour parcourir l’Europe et se rend toutes les six semaines à Atlanta… Un mode de vie aussi exaltant qu’éprouvant.
A l’aube de ses cinquante ans, il ne se voit pas poursuivre dix ans de plus ce rythme effréné. Il aspire désormais à intégrer une entreprise française, pour y porter un projet de développement international. Exactement ce que Xavier Lépine lui propose à l’UFG filiale du Crédit mutuel Nord Europe. Les deux hommes se connaissent bien. « Nous nous étions rencontrés en 1995, lorsque Fimagest avait racheté la société de gestion que Xavier Lépine avait créée. Je l’ai ensuite intégré chez Fortis ; j’avais donc été son numéro un. Cette fois, il me proposait de devenir son numéro deux… et j’ai accepté ! » Patrick Rivière entre à l’UFG en 2008, « quelques jours seulement avant que le monde ne s’effondre », raconte-t-il. Rejoindre une société spécialisée dans l’immobilier et l’alternatif au moment où le système bancaire et financier sombre dans une crise profonde relève d’un sacré sens du timing !
Emmener le groupe à l’international
A la tête de l’UFG, la complémentarité de Xavier Lépine et Patrick Rivière fonctionne à merveille, l’un président du directoire, l’autre directeur général du groupe. Et le duo conserve son fonctionnement à l’avènement de La Française. « La Française est née du rapprochement de l’UFG avec La Française des Placements en 2009, rappelle Patrick Rivière. Le nouveau groupe mixe la clientèle retail de l’UFG et la clientèle institutionnelle de La Française des Placements. »
Dès le départ, La Française privilégie une approche duale, avec pour piliers l’immobilier et les actifs financiers, en réponse à la crise qui sévit alors sur les marchés. Cette approche va accompagner tout le développement du groupe.
Développer, c’est justement le savoir-faire de Patrick Rivière, acquis et éprouvé dans ses fonctions précédentes. L’homme excelle dans l’art du développement de produits et de clientèle. Sous son impulsion, le groupe passe de 4 milliards d’encours en 2008 à 25 milliards d’encours immobiliers aujourd’hui, et un peu plus d’actifs financiers.
L’autre dominante forte de son expertise repose sur sa maîtrise de l’international. Un « travers » que ce Français marié à une Italienne cultive passionnément. Son objectif : emmener La Française à l’international. « Cela imposait de nombreuses contraintes en matière de langue et d’adaptation à des cultures différentes. Mais c’était très challenging ! », se souvient-il. Le groupe ouvre un premier bureau en Espagne dès 2010. Suivront Francfort, Genève, Hambourg, Londres, Luxembourg, Milan, Séoul, conférant au groupe une dimension mondiale. Aujourd’hui, plus de 28 % des encours sous gestion (hors Crédit mutuel) proviennent de l’international. Un vrai motif de fierté pour Patrick Rivière, qui a joué un rôle majeur dans ce succès.
Le groupe est particulièrement présent en Allemagne et y développe de longue date une forte activité immobilière. « L’Allemagne est un marché important pour nous, de part sa taille et les habitudes d’investissement de sa clientèle, qui sont très proches de celles de la clientèle française, confirme Patrick Rivière. C’est un pays très intéressant sur le plan commercial et sur celui des investissements, notamment immobiliers. C’est également le seul pays européen à avoir les moyens de sa relance. L’Allemagne a su gérer la crise sanitaire mieux que les autres et cet avantage sera sensible dans les mois et les années qui viennent. La réindustrialisation de l’Europe devrait par ailleurs bénéficier en priorité à l’Allemagne, qui avait moins désindustrialisé que ses voisins dans le passé. »
Sortir des actifs sans risque
Aujourd’hui encore, le groupe souhaite poursuivre sa logique de développement à l’international et sur le marché français. « La période offre des opportunités liées au niveau particulièrement bas des taux ainsi qu’au poids de l’assurance-vie dans l’Hexagone, indique Patrick Rivière. Les Français se sont reposés beaucoup trop longtemps sur les fonds euros ou le Livret A. Or ces solutions ne rendent pas service aux clients car elles freinent la prise de risque, pourtant nécessaire. Dans les pays qui n’en disposent pas, les clientèles ont réagi bien plus tôt à la baisse des taux. » Dans ce contexte, l’immobilier apporte une réponse intéressante pour déployer une partie de cette prise de risque, à partir de véhicules proposant un rendement courant relativement élevé.
« L’épidémie de Covid-19 a exacerbé le dilemme de l’investisseur : début 2020, il pouvait espérer une remontée des taux, aujourd’hui, il est confronté à un univers de taux universellement et durablement bas, plus dégradés encore qu’ils ne l’étaient avant la première vague de Covid-19, constate Patrick Rivière. Entre-temps les marchés actions ne donnent pas l’impression d’avoir encaissé la dépression économique. Et l’index envoie un mauvais reflet de la réalité. Si l’on juge l’indice comme une prise de risque, l’investisseur est aujourd’hui dans une situation plus inconfortable qu’avant la pandémie. »
Dans cette période mouvementée, sans être totalement épargné par la crise, l’immobilier apparaît une fois de plus comme une valeur refuge, un bon compromis rendement/risque. Sur cette classe d’actifs, La Française investit en Europe à partir de ses trois centres d’investissement basés à Paris, Francfort et Londres. « Jusqu’à présent, nous avons ciblé l’Europe du Nord, y compris avec des investissements en Angleterre où les marchés immobiliers ont déjà impacté les effets du Brexit et où les rendements restent supérieurs à ceux >>> de Paris pour l’immobilier prime. Et nous poursuivrons dans cette logique à court terme. » Si La Française privilégie la proximité géographique en matière d’immobilier, les actifs financiers sont quant à eux sélectionnés dans le monde entier. Avec un intérêt particulier pour les actifs de haut rendement obligataires et les actions tournées vers les problématiques environnementales. « Des solutions qui vont ressortir positivement pour les investisseurs, estime Patrick Rivière. La première vague de Covid-19 a mis en évidence la résilience de ces valeurs. » La Française n’a d’ailleurs pas attendu l’épidémie de coronavirus pour se positionner sur ces valeurs, et elle entend bien poursuivre en ce sens, notamment s’agissant de l’impact carbone.
Loin d’être reléguée au second plan, la problématique environnementale est indissociable, aux yeux des épargnants, des enjeux sanitaires qui ont surgi avec la pandémie.
Poursuivre le développement malgré la crise
Suite au départ de Xavier Lépine en mai dernier, Patrick Rivière occupe désormais les fonctions de président du directoire du groupe La Française. Le signe d’une volonté de l’actionnaire de continuité dans le management du groupe. Le signe aussi d’une confiance réaffirmée pour affronter la crise actuelle. « La Française a été très réactive dès le mois de mars, souligne Patrick Rivière. Grâce à nos bureaux en Asie et en Italie, nous avons vu venir la crise et su anticiper la menace sanitaire. Notre système informatique nous a permis, sans difficulté, de mettre toute la société en télétravail. Nous n’avons donc pas déploré de souffrance technique. Il a bien sûr fallu déployer beaucoup d’efforts de communication. Aujourd’hui, 40 % à 50 % des collaborateurs sont de retour sur site, les autres restent en télétravail, qui s’installe comme un véritable usage. Mais la situation demeure complexe et constitue un challenge pour le groupe. La crise sanitaire impacte les équipes, les connexions avec la clientèle… Tout passe aujourd’hui par les ondes. Or l’enjeu n’est pas seulement de maintenir l’encours, il faut également poursuivre le développement et cela nécessite plus d’énergie, de conviction, la mise à niveau des moyens de communication. Face à une situation amenée à s’éterniser, nous devons gérer ces problématiques dans la durée, pérenniser des méthodes, développer des moyens techniques irréprochables pour effectuer les réunions à distance dans tous les types de formats… »
La collecte de La Française a jusqu’à présent très bien résisté à la crise. En juin 2020, elle était même en hausse sur les SCPI comparée à la même période en 2019. Une forte dynamique liée au positionnement du groupe, qui avait misé principalement sur l’immobilier de bureaux dans le Grand Paris, et plus largement en Europe du Nord, avec des locataires de grande taille, et qui compte peu de commerces dans son portefeuille… La souscription depuis longtemps dématérialisée a par ailleurs permis aux clients et partenaires de continuer à souscrire malgré le confinement. Bien sûr, des questions se posent, indéniablement, sur l’immobilier de bureaux, mais le potentiel essor du télétravail et la remise en cause de l’open space ne vont pas révolutionner le secteur en quelques mois. « Les transformations s’étaleront dans le temps, juge Patrick Rivière. Nous serons en mesure de gérer ces changements d’habitude sur les actifs déjà en portefeuille. La crise impacte aussi la demande locative et la solidité des locataires. Elle est heureusement advenue à un moment où les taux d’occupation étaient très élevés et l’offre peu abondante dans les zones les plus intéressantes. Le marché a donc la capacité d’absorber ce coup de mou. Mais le contexte actuel va obliger propriétaires et locataires à revoir leurs relations pour plus de flexibilité. Cela fait partie des priorités dans une société comme la nôtre. Les actifs immobiliers n’avaient pas entériné la forte baisse des taux longs. Ils peuvent donc encaisser la baisse de la rentabilité locative. Au regard des autres classes d’actifs, l’immobilier restera attractif. »
Quinze années chez Fimagest, dix chez Invesco et déjà douze à La Française… Patrick Rivière est un fidèle, qui fait des choix et qui s’y tient. Plus que jamais, l’heure est à l’action et le nouveau président du groupe La Française s’y emploie avec la constance qui le caractérise. Les défis ont toujours motivé cet homme d’engagement, qui se réjouit d’avoir trouvé avec La Française un lieu où il peut pleinement s’exprimer. Et lorsqu’il veut se ressourcer, c’est dans sa maison, en Italie, qu’il s’évade, « le plus souvent possible, avec des amis ». Il y cultive ses oliviers. Une autre façon de se réaliser, « à l’international » toujours…
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