Meyer Azogui (Cyrus Conseil) : le marché des CGPI a besoin de locomotives
Meyer Azogui, président de Cyrus Conseil, le plus important conseil en gestion de patrimoine indépendant (2,5 milliards d’euros d’encours), nous livre son point de vue sur le marché français de la gestion privée. Entre une réglementation toujours plus contraignante, des clients de plus en informés et la transparence des rémunérations, les défis pour les CGPI ne manquent pas. Mais il est convaincu que la profession dispose de tous les atouts pour sortir gagnante de la restructuration actuelle du marché, pourvu que de nouveaux acteurs regroupent leurs moyens autour de marques fortes.
Profession CGP : Entre une réglementation de plus en plus exigeante, l’arrivée des FinTechs ou encore des clients surinformés, les conseils en gestion de patrimoine sont à un carrefour décisif…
Meyer Azogui : Oui indéniablement, et la majorité de nos confrères en a totalement conscience. Depuis quelques années déjà, les évolutions réglementaires ont déclenché ce tournant. Certes, on partait de zéro, il y a encore vingt ans, mais aujourd’hui il me semble que nous allons parfois trop loin. Si la réglementation a permis d’assainir le marché et d’augmenter le niveau global de professionnalisation des acteurs, on observe toujours quelques offres farfelues qui emportent l’adhésion de conseillers ou de clients crédules, souvent en quête de rendements importants. De ce fait, le premier constat est que le métier de CGP est clairement devenu une profession à risque avec de nombreuses conséquences aussi bien pour les acteurs de ce marché que pour nos clients.
La réglementation a ses effets pervers, notamment sur la clientèle la moins fortunée. En effet, entre un coût d’exploitation de plus en plus important et un risque équivalent, les « petits » clients ne pourront plus être traités par de nombreux CGP qui vont se concentrer sur ceux à plus forts potentiels. Les détenteurs de patrimoines modestes devront probablement passer par des FinTechs qui sauront intégrer de l’intelligence artificielle en matière d’analyse et de conseils financiers.
Deuxième constat, les clients sont devenus surinformés, et tous les CGPI n’ont pas encore pleinement conscience de ce changement de paradigme. Même si les connaissances financières des Français restent faibles, les modes de consommation ont changé, y compris dans notre secteur d’activité. Grâce à la consultation d’Internet et des réseaux sociaux avant l’acte d’achat physique, les consommateurs disposent en moyenne de 75 % des informations. Avant de nous rencontrer, la majeure partie des épargnants se forge sa propre opinion, comme elle le ferait pour acheter une voiture ou un ordinateur.
Leur niveau d’exigence s’est également élevé. Par exemple, il est aujourd’hui difficile de faire admettre à un client qu’un rachat sur son contrat d’assurance-vie – pour lui permettre de retirer sa propre épargne – nécessite ne serait-ce qu’une semaine – un délai plutôt court quand on sait qu’en moyenne cela peut prendre parfois jusqu’à un mois, voire plus –, alors que dans le même temps il reçoit son livre commandé sur Amazon en seulement 24 heures. L’offre de service doit nécessairement s’élever dans notre industrie.
Un troisième tournant pour notre profession va intervenir dans les mois à venir, et tous ne l’ont pas encore totalement intégré. Il s’agit de la transparence des rémunérations. Intimement lié à la réglementation, il s’agit pourtant d’un enjeu à part entière. Justifier sa rémunération va être un véritable changement dans nos habitudes et va modifier la perception que les clients ont de nos services.
Au final, à mon sens, les CGP n’ont pas d’autre choix que de s’orienter vers une clientèle plus fortunée, tout en développant des moyens importants pour réinventer un parcours client et apporter une forte valeur ajoutée visible, laquelle permet de légitimer le prix de notre prestation. La notion de marque devrait également avoir de plus en plus d’importance pour faire accepter le coût payé par le client. On ne se pose pas la question du prix d’une cravate Hermès !
PCGP : Pensez-vous que l’étau réglementaire pourrait finir par se rétracter peu à peu ?
M. A. : Il y a malheureusement peu de risque pour que l’étreinte réglementaire se desserre. Nous devons nous y habituer et intégrer – encore – les normes à venir.
Néanmoins, bien aidées par l’exemple de la RDR d’outre-Manche (Retail Distribution Review), nos autorités de tutelle ont pris conscience que la réglementation desservait les petits épargnants. Peut-être est-ce pour cette raison qu’un pôle spécialisé sur les FinTechs a été créé de manière bienveillante… Cette démarche est de bon augure, car elle permet d’entrevoir une coconstruction intelligente de ce nouveau modèle d’intermédiation qui bénéficierait également aux acteurs que nous sommes.
PCGP : Justement, comment intégrez-vous l’impact des FinTechs dans votre réflexion sur le marché de l’épargne français ?
M. A. : Pour notre activité, les FinTechs sont de deux natures : les robo-advisors, qui se limitent à la gestion financière, et les nouveaux distributeurs pour assurer de la gestion de patrimoine. Si les premiers existent, les seconds ne sont pas encore totalement créés.
Personnellement, je pense que les robo-advisors sont davantage des partenaires que des concurrents (notamment les modèles en BtoB) et les CGP devront se doter de ces outils. Néanmoins, l’offre actuelle n’a rien de révolutionnaire et n’a pas encore démontré sa pertinence. Toujours est-il que les CGP ne sont pas des allocataires d’actifs. Même si certains ont de bonnes intuitions, ils n’ont souvent ni toutes les compétences, ni tous les outils techniques ou les moyens humains. Gérant et CGP sont deux professions différentes, à chacun de faire son choix.
Parallèlement, les FinTechs ont un formidable rôle pédagogique à jouer dans l’expérience client. Elles lui permettent de se réapproprier son épargne, de réaliser sa découverte avec une démarche à la fois avancée et simplifiée. Cette approche pédagogique rend plus simple et plus ludique un acte complexe. Pour autant, je ne crains pas l’émergence des FinTechs pour les CGP ayant opté pour la clientèle haut de gamme. La gestion de patrimoine reste un métier qui ne s’improvise pas : il nécessite une somme de connaissances techniques et surtout humaines, afin d’apporter des solutions aux besoins exprimés et non-exprimés de nos clients. Qui mieux qu’un CGP peut accompagner une famille recomposée pour préparer une transmission dans la sérénité, un entrepreneur dans ses réflexions sur l’interaction entre son patrimoine professionnel et son patrimoine privé, un parent soucieux de la protection future d’un enfant handicapé ou, tout simplement, pour aider nos clients à donner un sens à leur réussite…
Au contraire, la Tech va rendre la profession encore plus humaine grâce au temps qu’elle va libérer au CGP pour lui permettre de renforcer sa proximité et sa complicité avec son client et mieux le comprendre pour anticiper ses besoins.
PCGP : La potentielle arrivée d’acteurs, comme Google, Amazon, Facebook ou encore Orange Banque, vous inquiète-t-elle ?
M. A. : Si je dirigeais une banque, oui cela m’inquiéterait, notamment pour la gestion des paiements. En revanche, ce sont davantage les agrégateurs, comme Bankin ou Linxo, qui pourraient impacter notre profession, surtout sur une clientèle de gamme moyenne. Avec des outils prédictifs et d’analyse de budgets, ces opérateurs vont bientôt réaliser des propositions d’investissement à leurs clients.
Néanmoins, les évolutions du marché ne nous épargneront pas. Il convient d’être modeste tout en restant à l’affût des évolutions de notre environnement. Pour preuve, la réussite spectaculaire du compte Nickel, qui s’appuie sur des bureaux de tabacs pour ouvrir des comptes bancaires ! A l’origine peu de monde y croyait, aujourd’hui, plus de 500 000 comptes ont été ouverts…
PCGP : Pour accéder à ses moyens techniques et humains et faire face à la réglementation, le regroupement des CGP va devenir une évidence.
M. A. : Tout à fait. Ces phénomènes – réglementation, FinTech, transparence… – ne font qu’accélérer le processus de concentration du marché. On observe que le nombre de cabinets n’augmente pas, et que de plus en plus de conseillers en gestion de patrimoine souhaitent rejoindre une structure alors même que leur courbe d’expérience a augmenté. Par cette démarche, ils cherchent à s’adosser à une marque, pouvoir bénéficier de compétences nouvelles ou encore trouver une solution pour traiter leurs clients plus importants. Chez les fournisseurs, même des acteurs historiques ont commencé à segmenter leurs courtiers car il leur est devenu trop risqué et coûteux de suivre les plus petits cabinets.
Plus largement, notre univers est en pleine ébullition avec des retraits du marché français de certains acteurs étrangers (Barclays, Banque Leonardo, Legal&General…) ; des fusions comme récemment Martin Maurel et Rothschild ou encore une élévation dans le seuil d’accès chez certaines banques privées. Parallèlement, les banques réduisent également leur architecture ouverte.
Les cartes se redistribuent car, pour les établissements bancaires, le risque est devenu le premier indicateur de pilotage, elles le gèrent en priorité, ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité de service délivrée aux clients. Puis cette activité leur impose de mobiliser des fonds propres importants.
Dans ce contexte, je regrette que les CGPI ne prennent pas des parts de marché, alors que nous avons un boulevard devant nous grâce à notre indépendance, notre expertise et notre disponibilité pour nos clients. Mais l’indépendance capitalistique n’est plus suffisante pour faire la différence, il convient d’avoir les moyens de son indépendance pour toujours trouver une solution pérenne et sécurisée à ses clients, qu’elle soit juridique, fiscale ou produit.
Nous souffrons d’un cruel déficit de notoriété alors que notre proposition de valeur est très élevée. Il manque d’acteurs puissants chez les CGPI. Alors oui, déployer des sociétés de conseil en gestion de patrimoine plus fortes avec une marque est primordial et profitera à l’ensemble de la profession, sans accroître la concurrence entre CGPI.
Chez Cyrus, nous souhaitons proposer aux CGPI qui souhaitent s’adosser à une marque et bénéficier de moyens importants, de nous rejoindre pour exercer leur expertise et participer à la poursuite d’une très belle aventure entrepreneuriale démarrée en 1989. Pour l’instant, nous n’avons réalisé qu’une opération de croissance externe, l’intégration du cabinet Alain Langlet basé à Caen, et c’est une formidable réussite. Céline Lemonnier, sa dirigeante, a été déchargée des contraintes administratives, tout en bénéficiant d’appuis importants, et elle a pu ainsi consacrer son talent au développement d’une clientèle d’entrepreneurs, avec un succès remarquable, tout en dirigeant le bureau de Caen. Elle est par ailleurs une des vingt associés de Cyrus holding, l’organe de contrôle du groupe. Cela prouve que notre modèle entrepreneurial dans un projet global permet de réussir.
PCGP : La baisse des taux a également fait changer de paradigme votre univers de produits à proposer aux clients.
M. A. : Si auparavant nous raisonnions sur la base du couple rendement-risque, nous sommes désormais passés au triptyque rendement-risque-liquidité. Accepter de réduire la disponibilité des solutions d’investissement pour certains actifs est aujourd’hui devenu une solution pour accroître son rendement.
Cela nécessite de consacrer plus de temps pour mettre en place une architecture patrimoniale globale et nous oblige à repenser nos analyses en termes de structuration des différents postes qui composent un patrimoine. Ainsi l’allocation d’actifs n’est plus l’apanage des placements financiers, mais doit également concerner les actifs immobiliers, le Private Equity, sans oublier un actif souvent négligé, le passif.
PCGP : Pour votre profession, que souhaiteriez-vous que notre futur président prenne comme mesure lors du prochain quinquennat ?
M. A. : Avant tout de la stabilité pour recréer le lien de confiance avec l’Etat, malheureusement érodé depuis plusieurs décennies, et pour nous permettre de construire des stratégies patrimoniales sur du long terme. Et, bien évidemment, revenir à une fiscalité moins confiscatoire qui taxe les mêmes revenus jusqu’à deux à trois fois…
Ces deux mesures permettraient aux épargnants français d’orienter leur épargne non productive et peu rémunératrice vers l’économie réelle. Elles les aideraient également à se constituer la réserve de capital indispensable pour assurer une retraite et un quatrième âge paisibles au vu de la durée de vie qui s’allonge inexorablement. Ce serait, en somme, un véritable cercle vertueux pour prendre le relais d’un Etat de moins en moins providence.
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