L’Europe : une stratégie indispensable
Directeur général délégué de Primonial, Laurent Fléchet supervise aujourd’hui le développement du groupe en France et à l’international. La continuité d’une carrière dédiée à l’immobilier et jalonnée de succès, où les relations humaines et l’ouverture d’esprit jouent un rôle déterminant…
L’ouverture d’esprit : un fil conducteur dans le parcours de Laurent Fléchet, dont la curiosité pour les idées nouvelles et l’intérêt pour d’autres modes de pensée ou de fonctionnement ont souvent guidé les choix. C’est d’ailleurs pour se donner le plus d’ouvertures possible qu’il s’oriente, le bac en poche, vers la filière juridique. Jeune homme, il suit donc le parcours classique en fac de droit et obtient sa maîtrise mention « carrières judiciaires ». Puis il enchaîne avec le centre de formation professionnelle du notariat. Un diplôme qui lui permettra d’entrer très rapidement dans la vie active.
Diplômé notaire
Lyonnais d’origine, il décide d’effectuer son stage de deuxième année en Savoie, à Moutiers, au pied des pistes qu’il affectionne. Autant lier l’utile à l’agréable !
Il est accueilli dans une importante étude, très investie dans le domaine immobilier. « Cette expérience a certainement guidé ma carrière par la suite. J’ai travaillé auprès d’un notaire assez jeune, maître Saleur, qui m’a beaucoup appris sur le secteur immobilier, tout en m’enseignant la rigueur indispensable aux métiers juridiques », se souvient Laurent Fléchet. Il passe ainsi deux années particulièrement riches, entre les cours à la fac de Lyon, l’étude notariale et les pistes de ski qu’il dévale parfois l’après-midi.
Au terme de cette formation, le devoir l’attend : il doit désormais faire son service militaire. Mais avant de passer quelques mois sous les drapeaux, il signe pour une saison supplémentaire à la montagne, où il tient l’agence immobilière d’un client de l’étude notariale qui avait développé « Les Grandes Alpes » à Courchevel. La famille possède également une agence à Saint-Tropez et lui propose d’enchaîner pour la saison estivale. Un moment clé pour la suite de sa carrière… Laurent Fléchet décline fina-lement l’offre et part effectuer son service militaire à Berlin. « C’était juste après la chute du mur. Je me trouvais en contact avec les états-majors des différentes armées… Ce fut une expérience forcément captivante bien que parfois compliquée », retient-il.
La crise immobilière, un tremplin
De retour en France, il entre dans la vie active. Il intègre une banque d’affaires de la rue Lamennais, filiale du Gan : l’UIC-Sofal. Un établissement alors au premier plan dans le financement de projets immobiliers d’envergure. Il y travaille brièvement, au service contentieux.
Lorsqu’éclate la crise immobilière de 1992, il rejoint une cellule de crise créée pour traiter les dossiers placés sous l’égide du tribunal de commerce et destinée à trouver des solutions de conciliation entre banques, promoteurs et marchands de biens. « Nous avions des réunions longues, complexes, il fallait se mettre d’accord, se remémore-t-il. J’ai eu la chance de pouvoir traiter des dossiers de taille significative. Cette crise immobilière a été un tremplin pour beaucoup de jeunes cadres. Elle nous a permis d’accéder rapidement à des fonctions impliquant d’importantes responsabilités, auxquelles nous n’aurions pu prétendre sans cette conjoncture particulière. »
En 1996, Laurent Fléchet est approché par un chasseur de têtes américain pour intégrer un nouveau groupe : Archon Group, une filiale de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui vise à racheter les créances douteuses des banques immobilières. « J’ai été la quatrième personne recrutée dans cette nouvelle structure, raconte-t-il. Je rachetais des portefeuilles de créances, dont celui de l’UIC Sofal ! Ces années chez Archon Group demeurent une expérience unique, très enrichissante. Nous restions enfermés de sept heures à minuit ; il y avait là des avocats, des notaires, des experts de la data room… Et nous étions contrôlés à la sortie pour éviter toute fuite de document : il y avait une telle concurrence pour racheter ces portefeuilles ! »
L’aventure dure de 1996 à 2002. Laurent Fléchet est d’abord en charge du développement des créances non performantes, puis il dirige toute l’équipe immobilière du groupe. Il part même un an de l’autre côté de ses chères Alpes pour ouvrir Archon Italie, avec un bureau à Milan et un autre à Rome. « La société a connu une croissance fulgurante. En quatre, cinq ans, elle a recruté cinq cents salariés », explique-t-il.
Dans le monde de l’institutionnel
Mais après six années de ce rythme soutenu, Laurent Fléchet souhaite faire une pause. Il s’accorde une année sabbatique et décide d’accompagner bénévolement un candidat à l’élection présidentielle de 2002. Une aventure loin du monde de l’immobilier, durant laquelle il se plaît à rencontrer des passionnés venus de familles politiques et d’horizons variés.
Au terme de la campagne, il cherche un nouveau poste. Il fait alors la rencontre d’une personnalité forte, qui comptera dans sa carrière et avec laquelle il conserve, aujourd’hui encore, de solides liens d’amitié et de confiance : Catherine de Boisanger, directrice des investissements chez A3C, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Laurent Fléchet fait des propositions pour structurer l’activité immobilière de cette société, mettre en place des process, des stratégies ligne à ligne… A3C est justement en train de se rapprocher de CDC Ixis Immo et de l’américain AEW Capital Management pour donner naissance à Ixis AEW Europe. L’objectif est de créer un asset manager d’envergure mondiale.
Tout va très vite : seulement deux mois après sa rencontre avec Catherine de Boisanger, Laurent Fléchet est en réunion à Boston avec Joseph F. Azrack, président d’AEW, et qui s’apprête à prendre la présidence de la nouvelle structure, et François Pochard qui en deviendra le directeur général.
Il fait aussi la connaissance de Ric Lewis, associé et directeur général d’AEW Capital Management, qui cofondera Tristan Capital Partners en 2009. « Une personnalité et un grand professionnel de la gestion de fonds, estime Laurent Fléchet. Il m’a beaucoup marqué à cette étape de ma carrière. »
Lancement des premiers OPCI
Laurent Fléchet intègre donc, en 2002, Ixis AEW Europe, en charge de la direction de la gestion de portefeuille, avant d’être promu au comité de direction. Il participe aussi aux groupes de discussion qui œuvrent auprès des pouvoirs publics pour la création des OPCI et travaille à la rédaction des ordonnances instaurant leur mise en place.
Au milieu des années 2000, on lui demande de s’intéresser à Ciloger, une société de gestion créée en 1984 sous l’égide de la CDC et agréée par l’AMF. Ciloger conçoit, gère et développe des produits d’épargne immobilière non cotés pour tous types d’investisseurs, institutionnels comme particuliers. En 2006, Laurent Fléchet est nommé président du directoire de cette filiale du groupe Caisse d’épargne et de la Banque postale.
Fort de son expertise en matière d’OPCI, il participe activement au lancement des premiers OPCI de Ciloger, ainsi qu’au développement des SCPI et à l’importante croissance de la société. « A l’époque, Ciloger comptait vingt collaborateurs et cinq cents millions d’euros d’actifs ; cinq ans plus tard, elle totalisait cinq milliards d’euros d’actifs, se félicite-t-il. Ce fut ma première vraie expérience de patron. Une expérience complexe, car il fallait gérer la croissance dans un marché immobilier secoué par la crise de 2008. Mais j’avais carte blanche, aussi bien de la part d’Alain Dinin, président de Nexity, que d’Olivier Mareuse, directeur des investissements du CNP Assurances, et de Patrick Werner, qui dirigeait alors la Banque postale et qui m’a vraiment soutenu auprès du groupe Caisse d’épargne. Ce fut, là encore, une belle aventure, variée et enrichissante. »
Capacité à anticiper le marché
Lorsqu’en 2011, Patrick Petitjean et André Camo lui proposent de rejoindre Primonial afin de prendre la tête de la société de gestion Primonial REIM qui s’apprête à voir le jour, Laurent Fléchet hésite. Le risque est réel pour celui qui a construit sa carrière au sein de grandes structures tournées vers le monde de l’institutionnel… « Je ne connaissais pas le retail. Mais André Camo et Patrick Petitjean m’ont convaincu, et je m’en réjouis tous les jours ! », commente Laurent Fléchet.
Il est d’abord nommé directeur général délégué du groupe Primonial en charge de l’immobilier, avant de prendre la tête de Primonial REIM en octobre 2013, en qualité de président du directoire.
Et à l’instar de ses expériences passées, cette nouvelle aventure est une réussite. En une petite dizaine d’années, Primonial REIM passe de 300 millions à 23 milliards d’euros d’encours sous gestion. Un succès rare, notamment dû à la capacité de l’équipe de comprendre les besoins du client et d’anticiper le marché. « J’ai rencontré chez Primonial REIM des personnalités différentes et particulièrement riches, souligne Laurent Fléchet. J’ai ainsi pu m’appuyer très fortement sur Grégory Frapet et Stéphanie Lacroix. Je suis particulièrement fier de nos choix stratégiques et de notre anticipation des marchés, dont nous avons senti très tôt la compression suite à la crise de 2008. Certains nous disaient que nous achetions trop cher nos bureaux, or nous avons créé beaucoup de valeur. Je suis fier aussi de notre engagement précoce sur l’immobilier alternatif, comme dans le secteur de la santé que nous avons investi dès 2014. Grâce à ces choix stratégiques, nous sommes aujourd’hui le premier Asset Manager d’Europe dans ce domaine. Et nous pouvons tous mesurer dans le contexte actuel l’intérêt de cette très belle diversification. »
Ambitions européennes
En 2017, à l’arrivée de Bridgepoint comme actionnaire majoritaire, le groupe Primonial affiche de nouvelles ambitions et sa volonté d’atteindre une dimension plus européenne. Une stratégie en phase avec les convictions profondes de Laurent Fléchet, européen convaincu, et qui doit permettre à la société de gestion de disposer de nouveaux relais de croissance.
Passant à Grégory Frapet les rênes de Primonial REIM (dont il devient alors président du conseil de surveillance), il se consacre désormais au développement du groupe en Europe.
Après un premier pied en Belgique, Primonial rachète une société en Allemagne, dont les encours sont doublés en deux ans. En 2018, Laurent Fléchet prend la direction de la plate-forme immobilière paneuropéenne créée au Luxembourg, Primonial Luxembourg Real Estate.
Preuve de l’envergure de cette stratégie européenne, sur les 45 milliards d’euros gérés ou conseillés par le groupe Primonial, 25 milliards sont des actifs immobiliers répartis dans tous les pays de la zone euro, avec une équipe de près de quatre cents personnes basées en France, au Luxembourg, en Allemagne, mais aussi en Italie.
Volontairement, Primonial fait le choix de ne pas fonctionner sur un modèle centralisé. Les sociétés de gestion restent autonomes dans chaque pays, pour une meilleure adhérence aux marchés locaux.
Cela se traduit, entre autres, par la nomination d’un dirigeant originaire du pays dans chacune des filiales à l’étranger. Et c’est Laurent Fléchet qui fait le lien entre tous, avec à la clé pas mal de déplacements… Cette stratégie implique d’intégrer des cultures et des langues différentes. « L’approche, le cadre réglementaire varient beaucoup d’un pays à l’autre, et la communication est très importante. Il faut partager, faire comprendre sa vision… Face à des personnes non anglophones, les mots ont d’autant plus d’importance. Leur sens n’est pas le même d’un pays à l’autre. Un “oui” ici peut vouloir dire “oui mais” ailleurs. En Allemagne, la façon de travailler n’est pas la même qu’en France. Et elle est encore différente en Italie. Il faut faire l’effort d’aller vers ces différences. Dans cet exercice, l’écoute des autres est essentielle et nous rend humble », témoigne Laurent Fléchet.
La fermeture des frontières dans une Europe en pleine crise sanitaire et sa difficulté à parler d’une seule voix le désappointent. « Le repli sur soi n’est jamais bon, martèle-t-il. Il faut rester plus global. La zone euro est une force. Dans nos métiers, si nous devions investir notre collecte uniquement en France, ce serait compliqué. Il y aurait rapidement des conflits d’intérêts, des difficultés pour trouver les bons actifs. Il faut une diversification des risques, et cela passe par une diversification géographique. Les marchés ne vont pas partout à la même vitesse ; la crise économique de demain ne sera pas la même dans tous les pays… Etre positionnés sur plusieurs territoires est fondamental pour un développement maîtrisé et sécurisé. Et la zone euro préserve aussi du risque de change. »
Des actifs résilients en temps de crise
Le choix d’investir sur la santé et le résidentiel constitue une autre force du groupe en cette période complexe. Ces secteurs ont fait preuve de leur résilience dès le début de la crise sanitaire. Aujourd’hui, les investisseurs institutionnels montrent leur appétence pour ces actifs. « La demande que nous constatons permettra de renforcer encore ces activités, estime Laurent Fléchet. Je suis convaincu que ces domaines ne peuvent être appréhendés qu’au niveau paneuropéen. »
La crise pourrait-elle, en revanche, marquer un tournant pour l’immobilier de bureaux avec l’expérience plutôt concluante du télétravail généralisé ? « Même si le télétravail a bien fonctionné, il n’est pas si facile à gérer dans le temps, constate Laurent Fléchet. Nous nous sommes tous rendu compte, avec l’avancée du confinement que c’était de plus en plus compliqué. La motivation s’est étiolée, le besoin de convivialité est devenu plus prégnant. Et j’ai été très frappé de voir que beaucoup auraient aimé revenir au bureau dès le lundi 11 mai. Le bureau reste un lieu d’échanges incontournable, un lieu d’émergence et de maturation des idées, un espace de création de valeur. Etre en visioconférence avec des équipes étrangères n’est pas non plus si facile ! En réalité, il faut pouvoir combiner les deux formules. C’est un peu le même constat que pour le e-commerce, qui vient en complément du commerce physique : il faut un bon dosage. Mais il y aura certainement une réorganisation du travail au bureau, avec un développement plus important de coworkers à côté du domicile. Chez Primonial, nous voulons tenir compte de ces évolutions et tirer le meilleur des différentes formes d’usage, mais nous souhaitons maintenir les bureaux dans notre activité. »
Un parc de bureaux situé à 90 % dans le Grand Paris et qui offre justement une réponse appropriée à l’évolution des attentes des Français et aux changements des pratiques liées au travail qui se dessinent. Les hubs qui émergeront en différents points de la région parisienne permettront de travailler, consommer et vivre mieux, dans une zone géographique beaucoup plus restreinte et agréable.
La crise ne devrait pas changer l’ambition très forte du projet, et l’incroyable opportunité qu’il représente pour les investisseurs et les habitants de l’Ile-de-France. « Le Grand Paris est rentré dans les normes pour nous, Français, remarque Laurent Fléchet. Mais vu de l’étranger, les observateurs se rendent mieux compte de l’enjeu et de l’extraordinaire potentiel de ce projet. Je suis très confiant sur ce sujet. »
L’humain au cœur des succès
Le groupe poursuit aujourd’hui son expansion, en France et dans le monde, et peut se targuer d’opérations emblématiques, comme l’achat, en juillet 2019, du Lumière, le plus grand immeuble tertiaire privé de Paris, d’une surface de 136 000 m2, acquis 1,06 million d’euros pour le compte de son activité Clubs Deals immobiliers institutionnels. Une opération réalisée en joint-venture avec Samsung SRA qui signait là sa première participation conjointe hors de Corée…
Encore un joli succès pour le groupe Primonial et une fierté pour tous les acteurs qui œuvrent en interne. « C’est le travail d’équipe qui permet ces réussites, estime Laurent Fléchet pour qui les relations humaines sont décidément capitales. Les succès partagés avec les collaborateurs sont d’ailleurs ceux qui m’ont le plus marqué. La relation avec les équipes enrichit l’activité professionnelle, lui donne plus de consistance. A cet égard, l’expérience la plus complexe que j’ai eue à vivre est certainement le décès de Patrick Petitjean en 2013. Les collaborateurs étaient bouleversés, exprimaient aussi leur inquiétude concernant l’avenir de la société, la manière dont elle allait être gérée… Il y a eu beaucoup d’affectif au sein des équipes pour traverser cette épreuve. »
Chacun, équipe et société, a su la surmonter pour poursuivre l’aventure. Une aventure qui rime aujourd’hui, plus que jamais, avec ouverture. Et l’horizon ne cesse de s’élargir… Laurent Fléchet a de quoi se réjouir !
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