Pascal Pineau (Métisse Finance) : « un lien direct entre structuration des cabinets et qualité des clients »
En tant qu’organisme de formation, Métisse Finance accompagne depuis douze ans les CGP, mais aussi les experts-comptables dans leur développement et dans leurs prises de décision stratégique et leur positionnement vis-à-vis de leurs clients. C’est avec ce regard averti que son dirigeant, Pascal Pineau, nous apporte son point de vue sur l’évolution du marché.
Profession CGP : Comment a évolué la profession de CGP depuis que vous l’accompagnez ?
Pascal Pineau : Il y a douze ans, dix-sept ans même si on compte les années précédant la création de Métisse Finance, que Claude Lajugée et moi épaulons les CGP dans leur développement. Et on peut dire que la profession a bien évolué ! Par exemple, on ne pouvait pas parler de profilage de client pour mieux le connaître et mieux le servir ; on nous aurait alors accusés de sorcellerie ! Or, c’est désormais la réglementation qui l’impose. De même, la segmentation de client était inenvisageable pour les CGP ; or, il ne s’agit pas de dire qu’il y a des petits et des gros clients, mais c’est d’une question d’attribution des ressources. D’autres sujets étaient aussi quasiment inabordables avec la profession, comme la facturation d’honoraires, la mise en place de suivi des clients par abonnement… Aujourd’hui, ces notions sont communes à tous les CGP qui se sont bien professionnalisés depuis, notamment depuis qu’il existe moins de résistance vis-à-vis des outils digitaux. En revanche, j’ai un grand regret : il existe encore trop peu de conseillers par cabinet. La majorité des structures reste unipersonnelle, avec à leur tête des « indépendantistes ». Tous les risques reposent donc sur les dirigeants, et rares sont ceux ayant prévu un plan de continuation des activités en cas de pépin ou d’accident de type Covid-19… De ce constat, on observe deux dimensions de CGP : ceux qui exercent plutôt comme profession libérale et ceux qui sont plutôt des dirigeants d’entreprises. Et lorsque les cabinets se structurent, on peut observer une vraie démarche d’entrepreneur, avec des liens interprofessionnels et une qualité de client qui augmentent. En effet, il existe un lien direct entre la structuration des cabinets et la qualité des clients.
Le CGP n’est-il donc pas l’« artisan du patrimoine » de ses clients ?
Il se doit de franchir quelques étapes dans l’industrialisation et d’automatisation de ses process. A partir de là, il peut faire de l’orfèvrerie pour ses clients. Les CGP ont une forte charge affective vis-à-vis de leurs clients, ce qui est louable, mais freine leur développement. Même un artisan peut être plus grossiste sur une partie de son métier. A lui de se consacrer au conseil, créateur de valeur pour toutes les parties, et d’industrialiser le reste au maximum.
La nouvelle génération de CGP semble bien différente des premiers installés…
Tout à fait. Les nouveaux entrants arrivent formés, alors que les premiers étaient expérimentés. Ils choisissent d’être CGP et se lancent rarement seuls. Ils sont très soucieux de leur image sur les réseaux sociaux, ont une approche ISR, sont des entrepreneurs avec un business plan, une stratégie de départ et d’accélération, et une cible de clients identifiés. Ils apportent une vraie bouffée d’air à la profession avec leur regard neuf, très digitalisé mais toujours centré sur l’humain. Les deux générations font un excellent travail, mais avec des prismes différents, pour finalement se nourrir entre elles.
Les CGP ont su absorber un vrai choc réglementaire ces dernières années…
Je leur tire mon chapeau : ils ont été résilients et performants ; ils ont subi un vrai rattrapage qui s’est accéléré en 2018, le tout avec un sentiment d’injustice, voire de persécution par rapport à leurs concurrents banquiers. Ils ont bien réagi et sont globalement restés dans les clous. Ils ont compris qu’être au point au niveau réglementaire leur permettait de mieux valoriser leur cabinet et d’écarter une vraie menace pour la pérennité de leur activité. On peut regretter que cette réglementation ne soit pas toujours très cohérente ; le problème étant que ceux qui contrôlent les CGP, souvent, ne commencent qu’à comprendre le métier…
Quel regard portez-vous sur la consolidation du secteur ?
Elle est logique et dans l’air du temps. La question est de savoir comment vont être gérés les clients du CGP cédant ? L’approche sera différente et on peut imaginer que l’acquéreur revende ensuite une partie de ses clients pour des questions de rentabilité. La réglementation coûte cher, les salaires sont élevés et la fidélisation a un coût. Tout dépend de la stratégie mise en œuvre : volonté de mailler l’ensemble du territoire, créer une société de gestion à terme, consolider un segment de clientèle, peser sur les fournisseurs… Les prix parfois pratiqués sont « délirants » et peuvent correspondre à des stratégies de blocage de la concurrence.
La facturation du conseil est un sujet récurrent sur le marché. Que constatez-vous en la matière ?
Tous les cabinets se posent la question de facturer ; en particulier en cas d’éventuelle remise en cause du modèle économique de la profession. Depuis quatre ans, 75 % des demandes de formation ou d’accompagnement que nous recevons concernent la facturation du conseil. Si le montant des honoraires ne remplacera jamais les rétrocessions sur encours, il faut mettre le pied à l’étrier. C’est un marqueur de la valeur du conseiller et vient récompenser les investissements du CGP dans sa formation continue.
Croyez-vous en une remise en cause du modèle ?
Tout peut arriver et les CGP ont raison de faire attention à leur modèle économique. S’il ne faut pas en avoir peur, on ne peut l’éluder. Au regard du fonctionnement du régulateur, il suffit d’un ou deux scandales pour que la question remonte violemment à la surface. Si une suppression pure et simple des rétros, comme en Angleterre, me semble improbable, un plafonnement des rémunérations n’est pas à écarter car il n’est pas forcément plus compliqué pour un CGP de gérer 500 000 euros que 5 millions d’euros. C’est même plutôt plus aisé.
Comment observez-vous la démarche des CGP qui créent ou se rapprochent d’une société de gestion de portefeuille ?
Cela permet d’améliorer la rentabilité du cabinet. Néanmoins, créer une société de gestion suppose des coûts importants salariaux et pour l’installation de la société. Il faut tenir ses engagements vis-à-vis de l’AMF en termes de moyens mis en œuvre et d’encours sous gestion. Sans parler du risque de conflit d’intérêts… Seul, cela me paraît compliqué ; à plusieurs cabinets, cela semble préférable, d’autant plus qu’il ne s’agit pas du cœur du métier du CGP. Une alternative est la création de fonds dédiés qui sont une bonne formule dès lors qu’ils sont bien gérés car ils permettent de résoudre bon nombre de problèmes d’exécution. A mon humble avis, les CGP ont bien d’autres missions à développer avant de créer une société de gestion… Beaucoup de CGP n’ont pas vu – ou ne veulent pas voir car la profession se porte plutôt bien – tout un champ d’activités qui entrent pourtant dans leur cœur de métier. Je pense ici à la prévoyance, notamment au risque décès, d’invalidité, par exemple, mais aussi à la revue de l’ensemble des contrats du quotidien de leurs clients (assurances diverses, carte bleue, sûretés, clauses des contrats civils…). Cet audit des coûts – les contrats souscrits sont-ils toujours pertinents et au juste prix ? – permet au client de se dégager une capacité d’investissement supplémentaire ! De même, il existe beaucoup de choses à faire au niveau de la politique salariale de l’entreprise, autour du crédit et du conseil sur les garanties associées, du patrimoine transgénérationnel, notamment pour favoriser la survie des entreprises au décès de leur dirigeant… Ce type de prestation est rapidement rentable et correspond à une approche patrimoniale à 360°. Cela permet également au conseiller en gestion de patrimoine de quitter son ADN de conseil en placements financiers.
L’autre enjeu majeur de la profession est la mise en œuvre de l’interprofessionnalité, avec des experts-comptables, notaires, courtiers, avocats et même d’autres confrères. L’intelligence collective est possible et souhaitée par le client, la valeur se répartissant entre chaque intervenant et le produit n’étant qu’une conséquence de l’ingénierie déployée. Chacun en ressort gagnant. Or, aujourd’hui on ne constate que trop peu d’interprofessionnalité, mais essentiellement de l’apport d’affaires.
Ne pas aller sur le terrain de la prévoyance représente-t-il un défaut de conseil du CGP ?
Il faut ici se rapporter au document d’entrée en relation : si le CGP se présente comme un acteur global, alors il doit aborder ce point. Dans tous les cas, il est indispensable d’aborder ces aléas avec le client et si cette prestation n’est pas fournie par le CGP, il se doit d’alerter son client ou présenter un partenaire compétent sur le sujet.
Comment les CGP ont-ils pris en main le sujet de l’ISR ?
On sent une volonté d’accompagner les choix des clients sur ce sujet. Il est aujourd’hui bien de se positionner sur l’investissement socialement responsable, même si cela va rapidement devenir un standard.
Vos réactions