Eric Le Baron, l’actuaire devenu un as du développement commercial
Eric Le Baron, directeur général de SwissLife Assurance et Patrimoine et directeur de la distribution, accompagne la croissance du groupe en France depuis près de vingt années. Durant sa carrière, il a su allier ses compétences en techniques assurantielles à sa volonté de développer des réseaux de distribution concentrés sur la clientèle privée.
Fils d’une mère professeur de mathématiques et d’un père directeur d’une usine industrielle, Eric Le Baron commence ses études par une formation en mathématiques et statistiques. Il opte pour le milieu de l’assurance par hasard et achève sa formation en 1989 par un diplôme d’actuaire obtenu à l’institut des actuaires. « Il s’agissait d’une profession encore très confidentielle à cette époque. »
Alors que nous sommes aux débuts de l’informatique, ce féru de sports de glisse apprend également à programmer dans le langage APL. « J’étais un des seuls statisticiens à connaître ce langage. Je suis alors entré chez UAP, au bureau des études actuarielles, également grâce à cette compétence. Initialement, j’avais choisi les mathématiques et les statistiques, les seuls domaines où je me sentais à l’aise. »
A l’origine de la création de Thema
Chez UAP, il intègre une équipe de six personnes à la moyenne d’âge de 60 ans. « Les calculs se faisaient encore à la main ! Nous étions basés à la tour Assur de La Défense, la seule chose moderne à l’époque, avec une vue imprenable sur tout Paris. J’ai été le premier d’une nouvelle vague de quelques jeunes à intégrer ce service. »
Il y reste quatre années. « Cette première expérience m’a plu, même si la direction générale vie était vieillissante. J’y ai rapidement pris des responsabilités, puisque j’ai été le responsable du bureau d’études produits pendant deux années. »
Il y rencontre Pierre Laversanne, alors directeur général d’UAP Vie. Ce dernier procède à de nombreux recrutements, le service grimpant jusqu’à vingt-cinq personnes. « Il a constitué un vivier d’où sortiraient les futurs cadres dirigeants de la compagnie. Il a beaucoup compté pour moi : il était un actuaire avec, à la fois, une vision affirmée de l’évolution des marchés et une volonté très orientée vers le développement. Il a impulsé la création de nouveaux marchés sur l’assurance-vie, tout en se heurtant à des réseaux puissants d’agents généraux et de salariés qui constituaient en quelque sort “un état dans l’état”. Il a alors décidé de créer un réseau alternatif, alors qu’à l’époque la marque UAP était très puissante. » De cette initiative est créée la marque Thema dont il a été chargé du développement.
Plusieurs initiatives sont alors menées. Avec la banque Worms, qui a été actionnaire minoritaire de la structure, Thema Assurance développe son tout premier contrat multisupport intégrant la gamme de gestion financière de la banque. « Cette offre était particulièrement adaptée à cette clientèle privée. Puis nous avons développé ce concept innovant à l’époque auprès d’autres banques privées, sociétés de gestion de portefeuille et sociétés de Bourse. »
Eric Le Baron assiste à la restructuration des mondes bancaire et de l’assurance avec de nombreux regroupements d’établissements, mais aussi l’arrivée des conseils en gestion de patrimoine indépendants. « L’entrée sur le marché de ces banquiers privés indépendants a disrupté notre industrie. Nous avons structuré une offre pour eux, avec un dispositif commercial adapté, sans pour autant avoir une vision précise de notre distribution. Allions-nous nous orienter vers les banques privées, les CGPI, la grande distribution, La Poste… ? Nous ne le savions pas. Nous nous sommes entièrement adaptés aux CGPI. Cela a permis l’arrivée sur le marché d’asset managers étrangers, comme Fidelity ou Invesco, ainsi que l’émergence des sociétés de gestion entrepreneuriales, comme Carmignac Gestion. Aujourd’hui, ce business model n’a pas trop évolué avec toujours des rétrocessions sur frais d’entrée et sur les frais de gestion des fonds. Cette époque correspond également aux débuts de la bancassurance ou du développement d’offres, comme celle de l’Afer. Le marché se construisait. Nous surfions également sur une courbe des taux inversée avec une partie longue à 8 % et une partie courte à 12-13 % ; un contexte financier incroyable qui a redistribué les cartes de la concurrence avec de nouveaux intervenants proposant des rendements supérieurs. »
Eric Le Baron constitue alors une équipe d’une dizaine de personnes, « la vraie start-up de l’assurance », avec notamment Olivier Samain et Yves Bruttin. Il reste chez Thema jusqu’en 1998, « année de tous les dangers » car UAP ne résiste pas au mouvement de concentration du marché. La fusion Axa-UAP s’opère : « un vrai choc de culture avec un “paquebot”, UAP, démantelée suite à sa privatisation et dirigée par un haut fonctionnaire. Thema n’était alors qu’une petite entité et qui avait comme concurrent en interne Axiva ; les deux structurés devant être fusionnées au sein d’Axa Courtage. »
Réveiller une belle endormie
Il quitte alors le nouvel ensemble dont il n’adhère pas à la culture et revient sur des fonctions plus techniques. Il rejoint la Société suisse d’assurance générale sur la vie humaine qui deviendra SwissLife France. « Il s’agissait d’une opportunité qui m’a fait faire un bond de dix ans en arrière. Cette compagnie était “riche”, mais vieillissante, avec une approche traditionnelle de l’assurance : un réseau salarié, une approche mono-produits, des méthodes de vente vétustes… Ils recherchaient un directeur technique. Le pari m’a séduit. J’ai accepté ce poste, tout en imposant de revenir rapidement sur des fonctions de développement. »
La structure est alors dirigée par Jean-Antoine Chabannes. Un homme qui a compté dans la carrière d’Eric Le Baron. « Il avait un mode de management à l’ancienne, une vraie personnalité. Il a construit le groupe tel qu’il est aujourd’hui. Il a bâti la croissance externe du groupe durant les années 1990 en ayant eu le génie d’acheter de petites compagnies dont personne ne voulait pour accroître les capacités de distribution. Il a ensuite restructuré le groupe au début des années 2000, sous une même marque depuis 2005 et lancé notre croissance organique. »
Une marque et une offre uniques, pour une distribution multiple
Eric Le Baron reste directeur technique jusqu’en 2003, puis comme prévu, il prend en charge le développement de Swiss Life. Il crée alors la direction de la distribution qui regroupe l’ensemble des réseaux. « Il s’agit d’un modèle unique : l’intégration de l’ensemble est poussée à son maximum. Quel que soit le réseau, sa taille, sa culture, il est traité de la même manière. Cela signifie que chaque client a accès au même produit et au même prix. Il s’agit d’une volonté managériale forte que nous avons dû imposer à chacun. Aujourd’hui, nous bénéficions d’une marque puissante et cohérente, au client de choisir son intermédiaire. Cela évite la concurrence interne, les confusions vis-à-vis de l’extérieur et permet de réduire les coûts car nous ne dupliquons pas quatre fois une même offre de valeur. Cela bénéficie à tous : nous alignons sur le réseau le plus exigeant. L’accroissement de notre valeur ajoutée profite à tous, quel que soit l’intermédiaire ou le client. »
Après Pierre Laversanne et Jean-Antoine Chabannes, c’est Jacques Richier qui a, durant cette période, été important dans la carrière d’Eric Le Baron. Arrivé au sein du groupe en avril 2001 en qualité de directeur général (il devient en 2003 président-directeur général de Swiss Life France, puis quitte le groupe en 2008 pour Allianz où il est désormais président-directeur général d’Allianz France et membre du comité exécutif international), c’est lui qui lui confie ses nouvelles responsabilités. « Il a été l’homme de la transformation du groupe. Si Jean-Antoine Chabannes a été celui de la croissance externe, Jacques a été celui qui a imposé la marque, son positionnement et l’approche multidistribution. Ensuite, l’arrivée de Charles Relecom [président-directeur général de Swiss Life France depuis 2008, nldr] a renforcé cette stratégie autour du thème Assureur gestion privée. »
L’ensemble délivre alors une croissance organique supérieure à son marché. Le groupe croît rapidement : en 2000, il réalisait 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, dont moins de 500 millions en assurance-vie ; quinze ans plus tard ces chiffres s’élèvent à respectivement 4,5 et 2,5 Md€. « Cette forte croissance est le résultat de notre stratégie sur l’assurance-vie, mais aussi sur le marché de la santé qui n’intéressait pas beaucoup au début des années 2000. Nous nous sommes appuyés sur l’ensemble des canaux de distribution, notamment ceux en croissance comme CGPI, mais aussi sur des clientèles en croissance supérieure à celle du marché : la clientèle patrimoniale, les TNS et les TPE. Aussi, nous n’avons bien résisté aux soubresauts des marchés financiers. Nous avons mené cette stratégie sans y déroger pendant quinze ans. »
Des liens étroits avec les CGPI
Désormais, Eric Le Baron se concentre sur les nouveaux défis à venir qui annoncent une nouvelle révolution pour les marchés de l’assurance. « Si les années 1990 ont été celles de l’arrivée de nouveaux entrants, celles à venir vont être celles d’une nouvelle évolution de notre secteur. En tant qu’assureur, les fonds en euro sont une problématique car le point bas des rendements n’a pas encore été atteint. Les acteurs n’ayant pas su construire une offre alternative devraient souffrir. Il est nécessaire de construire de nouvelles solutions, des offres alternatives, sans quoi on peut rapidement disparaître. Dans ce contexte les CGPI ont toutes les qualités pour s’en sortir, bien que la réglementation soit de plus en plus pesante, ils ont toujours une longueur d’avance et ont l’avantage d’être plus mobiles dans leurs stratégies. Les politiques et les autorités de tutelle sont d’ailleurs en contradiction : l’épargnant doit à la fois prendre plus de risque pour financer l’économie, mais parallèlement on bride la prise de risque via des dispositifs réglementaires poussés à l’extrême. »
D’ailleurs, les CGPI ont accompagné Eric Le Baron durant son parcours, de la création de Thema à aujourd’hui. Et s’il doit n’en citer qu’un, ce serait Jean-Luc Delsol. « Je connais Jean-Luc Delsol depuis Thema. Sa personnalité et sa vision du métier m’ont marquée. Si je suis un peu juge et partie, puisque Swiss Life est actionnaire de la Financière du Capitole, je dois reconnaître qu’il m’a beaucoup appris de ce qu’est un CGPI, de ses problématiques. C’est une personne qui symbolise bien le professionnalisme des CGPI et avec qui j’ai une relation de confiance mutuelle. »
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