Durabilité : quels impacts pour les intermédiaires d’assurance ?

Par : edicom

Par Morgane Hanvic, avocat associé, cabinet Lexance Avocats AARPI

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Depuis le 2 août 2022, la distribution d’assurance-vie en France doit intégrer des critères de durabilité. Entre nécessité de tenir compte de ces nouvelles obligations et tendance à dériver vers des pratiques dites de « greenwashing », un juste équilibre difficile à trouver. Les distributeurs vont devoir s’adapter à ces nouvelles obligations.

Plusieurs règlements européens imposent l’intégration des critères de durabilité dans la distribution d’assurance-vie, ce qui impacte les intermédiaires d’assurance. Il existe trois principaux critères européens de durabilité : les facteurs, les risques et les préférences.

Le règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019, dit règlement SFDR, modifié par le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020, dit règlement taxinomie, définit les facteurs de durabilité comme les « questions environnementales, sociales et de personnel, le respect des droits de l’Homme et la lutte contre la corruption et les actes de corruption ».

Les risques en matière de durabilité correspondent, quant à eux, à « un événement ou une situation dans le domaine environnemental, social ou de la gouvernance qui, s’il survient, pourrait avoir une incidence négative importante, réelle ou potentielle, sur la valeur de l’investissement ».

Enfin, les préférences en matière de durabilité sont définies par le règlement délégué (UE) 2017/2359, tel que modifié par le règlement délégué (UE) 2021/1257 du 21 avril 2021, comme « le choix d’un client, ou d’un client potentiel, d’intégrer ou non un ou plusieurs des produits financiers suivants dans son investissement, et dans quelle mesure :

a. Un produit investi dans des investissements durables sur le plan environnemental au sens du règlement Taxonomie dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;

b. Un produit investi dans des investissements durables au sens du règlement Disclosure dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;

c. Un produit prenant en compte les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité au sens du règlement Disclosure, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui démontrent cette prise en compte étant déterminés par le client ou le client potentiel. »

Le règlement délégué (UE) 2021/1257 du 21 avril 2021, applicable depuis le 2 août 2022, a donc introduit la notion de préférences en matière de durabilité, ce qui met à la charge des intermédiaires distributeurs plusieurs obligations.

Cela engendre notamment deux séries d’impacts : des impacts dans le processus de surveillance et de gouvernance des produits de la directive sur la distribution d’assurance (DDA), ainsi que des impacts sur les règles de conduite et de conseil des intermédiaires distributeurs(1).

 

L’évaluation de l’adéquation

Tout d’abord, s’agissant des règles de conduite et de conseil, les intermédiaires distributeurs doivent intégrer ces nouveaux critères pour procéder à l’évaluation de l’adéquation. En effet, les intermédiaires d’assurance qui fournissent des conseils sur les produits d’investissement fondés sur l’assurance doivent recommander à leurs clients ou clients potentiels des produits qui correspondent à leur situation et leur objectif.

Désormais les intermédiaires vont devoir intégrer, dans leur questionnaire de connaissance client, des questions pour connaître leurs préférences individuelles en matière de durabilité (règlement délégué (UE) 2021/1257 de la Commission du 21 avril 2021). Selon les textes européens, le conseiller n’est pas toujours forcé de recueillir les objectifs d’investissement de son client et partant ses préférences en matière de durabilité (c’est le cas de la vente sans conseil nécessitant uniquement un test de cohérence – interdite en France).

Mais dans la mesure où le législateur français a fait le choix d’être plus exigeant que le législateur européen, puisque l’article L. 522-5 du Code des assurances prévoit que le conseil en matière d’assurance-vie nécessite, quel que soit le niveau de conseil, qu’il soit fondé sur la situation financière et les objectifs d’investissement du client, cela semble impliquer pour les distributeurs de contrats d’assurance-vie d’interroger leurs clients sur leurs préférences en matière de durabilité, quel que soit le niveau de conseil dispensé et quand bien même ils ne se livreraient pas un service de recommandation personnalisée. Ces questions semblent donc à intégrer aux questionnaires, quel que soit le niveau de conseil.

Le 13 avril 2022, l’EIOPA (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, ndlr) a lancé une consultation sur le sujet, qui a pris fin le 13 mai. Au terme des éléments exposés dans celle-ci, cette autorité semble considérer que la collecte des préférences en matière de durabilité peut intervenir à la suite de l’évaluation traditionnelle du profil de risque (expertise financière, objectifs d’investissement…). Ces informations doivent être mises à jour régulièrement, en même temps que la mise à jour des autres éléments relatifs au profil de risque.

Ils ont ainsi l’obligation de recueillir auprès des clients l’ensemble des informations nécessaires pour s’assurer que la recommandation personnalisée adressée correspond à la fois à leurs objectifs financiers et à leurs éventuelles préférences en matière de durabilité.

Ils doivent « expliquer en quoi, parmi différents contrats ou différentes options d’investissement au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options sont plus adéquats à ses exigences et besoins, et en particulier plus adaptés à sa tolérance aux risques et à sa capacité à subir des pertes » (article L. 525-2, II du Code des assurances).

Les intermédiaires doivent également expliquer la distinction entre les produits d’investissement fondés sur l’assurance qui satisfont aux critères de durabilité du règlement taxinomie et du règlement SFDR ou qui prennent en compte les principaux impacts négatifs sur les facteurs de durabilité, et les autres produits d’investissement basés sur l’assurance sans ces caractéristiques spécifiques(2). Une définition des préférences en matière de durabilité devra donc être incluse en amont des questionnaires d’adéquation.

L’intermédiaire a également l’obligation d’inclure dans la déclaration d’adéquation des informations montrant en quoi la recommandation formulée est adaptée au client, et notamment en quoi elle correspond aux objectifs d’investissement du client en indiquant si ces objectifs sont atteints en tenant compte de ses préférences en matière de durabilité. Ceci sera matérialisé pour le test d’adéquation.

Bien sûr, la durabilité ne devra pas devenir l’unique critère et les intermédiaires distributeurs doivent garder à l’esprit que le produit préconisé, outre de répondre aux préférences du client en matière de durabilité, devra aussi être adapté à sa situation et ses objectifs.

 

Prévenir la vente abusive et l’écoblanchiment

Comme l’indique le règlement délégué (UE) 2021/1257, l’intégration de facteurs de durabilité dans le processus de conseil ne doit pas déboucher sur des pratiques de vente abusive ou sur la présentation trompeuse de produits d’investissement fondés sur l’assurance comme étant conformes aux préférences des clients en matière de durabilité alors qu’ils ne le sont pas.

Par conséquent, les intermédiaires distributeurs ont l’obligation de s’abstenir de recommander à un client des produits d’investissement fondés sur l’assurance comme correspondant à ses préférences en matière de durabilité si ce n’est pas le cas. Toutefois, ils conservent la possibilité de recommander des produits d’investissement fondés sur l’assurance qui ne sont pas éligibles au titre de préférences individuelles en matière de durabilité, mais ne doivent pas les présenter comme correspondant à de telles préférences. Ils doivent alors expliquer au client les motifs de cette absence de recommandation et en conserver un enregistrement. Si aucun produit ne correspond aux préférences de durabilité du client, celui-ci doit être invité à modifier ses préférences en matière de durabilité.

Lorsque le produit d’investissement fondé sur l’assurance ne correspond pas aux préférences du client en matière de durabilité et qu’il décide néanmoins d’y souscrire, l’intermédiaire doit conserver un enregistrement de la décision du client et des motifs de cette dernière. Lorsque le client n’exprime aucune préférence en matière de durabilité, la décision doit être enregistrée et l’intermédiaire peut procéder à une recommandation soit durable, soit non durable.

Nul doute que les autorités seront dans les prochains temps attentives à ces pratiques. En cas de contentieux sur ces pratiques, la question se posera néanmoins de savoir si l’intermédiaire, qui s’est fié aux informations fournies par le producteur, avait réellement la possibilité de vérifier que le produit intégrait effectivement des facteurs de durabilité.

 

Impacts sur le processus de surveillance et de gouvernances des produits

L’intégration des critères de durabilité dans la distribution d’assurance-vie impacte également le processus de surveillance et de gouvernance des produits de la DDA.

Les intermédiaires distributeurs sont tenus de s’assurer que les dispositifs de distribution des produits garantissent la prise en compte des éventuels objectifs des clients en matière de durabilité.

Ils ont également l’obligation d’informer le concepteur lorsqu’un produit n’est pas en adéquation avec les éventuels objectifs en matière de durabilité des clients du marché cible.

 

Une mise en œuvre difficile

La mise en œuvre de ces nouvelles obligations s’avère difficile et le marché ne semble pas prêt, non seulement à intégrer ces réglementations complexes, mais aussi à proposer des produits en adéquation avec la taxinomie et SFDR qui permettent de se conformer aux préférences d’un client pour qui la durabilité sera un critère fondamental. Peu de produits répondent actuellement à ces critères et les producteurs vont donc devoir multiplier leur offre éligible. L’ESMA (Autorité européenne des marchés financiers, ndlr) et l’IEOPA semblent en outre avoir des analyses différentes sur certains points de la réglementation, ce qui montre que la mise en œuvre de ces règlements est complexe.

Sur le volet produits financiers, l’AMF a annoncé au mois de juillet dernier le report de la prise en compte des préférences ESG des investisseurs du 2 août 2022 au 1er janvier 2023. Ce report devait être entériné par voie d’arrêté et ne concerne que les CIF. Mais si les conseillers en investissement financier ont obtenu un répit, ce n’est donc pas le cas des intermédiaires d’assurance, et les questions restent nombreuses s’agissant de l’interprétation des textes et leur mise en œuvre.

Peu de producteurs ont déjà intégré ces nouvelles contraintes, les documentations ne sont donc pas à jour et, à l’heure où nous écrivons cet article, il n’existe pas de recommandations ou lignes directrices s’agissant de la rédaction des questionnaires.

Des éclaircissements de l’Autorité de régulation du secteur assurance seraient donc les bienvenus sur le sujet.

Le 20 juillet 2022, l’IEOPA a publié des orientations pour l’intégration des préférences du client en matière de développement durable dans l’évaluation de l’adéquation au titre de la directive sur la distribution d’assurances. Ces orientations basées sur le règlement délégué (UE) 2021/1257 de la Commission visent à faciliter la mise en œuvre du règlement délégué par les autorités nationales compétentes ainsi que par les entreprises d’assurance et les intermédiaires d’assurance fournissant des conseils sur les produits d’investissement fondés sur l’assurance.

L’Autorité fournit des conseils sur :

- comment aider les clients à mieux comprendre le concept de « préférences en matière de développement durable » et leurs choix d’investissement ;

- comment collecter des informations sur les préférences des clients en matière de développement durable ;

- comment faire correspondre les préférences des clients avec les produits, sur la base des informations sur les produits en vertu du règlement sur la divulgation des informations financières durables (SFDR) ;

- quelles dispositions sont nécessaires pour garantir l’adéquation d’un produit d’investissement fondé sur l’assurance ;

- et la formation et les compétences en matière de finance durable attendues des intermédiaires d’assurance et des entreprises d’assurance qui fournissent des conseils sur les produits d’investissement fondés sur l’assurance.

Dans un communiqué l’IEOPA indique néanmoins être consciente de la complexité sous-jacente du cadre réglementaire et précise proposer des diagrammes et des organigrammes pour faciliter la compréhension.

Les travaux sur des lignes directrices sur le thème des préférences en matière de durabilité ont été pour l’heure suspendus par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles dans l’attente d’obtenir plus de retours d’expérience sur la mise en œuvre des nouvelles obligations.

Pour le moment, on peut donc supposer qu’il y aura une certaine tolérance vis-à-vis des intermédiaires pour la mise en œuvre de ces nouvelles obligations. Mais il conviendra de suivre de près les positions de place en la matière.

 

1. Guide de la finance durable – Secteur assurance – PwC.

2. Guidance on the integration of sustainability preferences in the suitability assessment under the Insurance Distribution Directive (IDD) – EIOPA.

  • Mise à jour le : 07/11/2022

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