Assurance-vie : la loi Sapin II fait réagir les CGPI
Adopté en deuxième lecture jeudi 29 septembre par les députés, l’article 21 bis de la loi Sapin II prévoit de bloquer toutes possibilités de rachat de l’assurance-vie par les épargnants en cas de menace de stabilité financière, tout en étendant les pouvoirs du HCSF. Les CGPI par le biais de leurs associations professionnelles crient au scandale. Le texte doit être de nouveau examiné au Sénat début novembre.
L’assurance-vie restera-t-elle encore longtemps le placement préféré des Français ? Même si son encours retrouve de très belles couleurs – à 1,6 milliard d’euros, à fin août 2016, après plusieurs mois de baisse –, ce support d’investissement de long terme souffre de rendements plafonnant à 2 % pour les fonds euros classiques. Lancé en juin dernier, examiné en deuxième lecture jeudi 29 septembre à l’Assemblée nationale, l’article 21 bis de la loi Sapin II vient bousculer compagnies d’assurance, épargnants – petits et grands –, mais aussi conseillers en gestion de patrimoine dans toutes leurs certitudes.
Un article sensé mieux protéger les épargnants
L’article 21 bis vise à adapter les pouvoirs dont dispose le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), présidé par le ministre des Finances et de l’Economie Michel Sapin, afin de lui permettre de remplir son mandat de « surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique ». Dans le contexte économique actuel toujours chahuté et incertain, avec des taux négatifs qui se profilent, l’objectif de la mesure souhaitée par la loi Sapin II relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique serait alors d’éviter que les assurés retirent leurs dépôts en cas de remontée soudaine des taux, au risque de mettre à mal la société d’assurance.
A la lecture du texte, on apprend alors que cet article 21 bis permet de « prendre différentes mesures conservatoires transversales destinées à prévenir des risques représentant une menace grave pour le bon fonctionnement du marché et la situation financière des organismes d’assurance ». C’est-à-dire que, par exemple, le HCSF pourra suspendre, retarder ou limiter les rachats.
Cette mesure très forte par le message qu’elle envoie « n’a évidemment pas vocation à être utilisée de manière courante » peut-on lire dans le texte, mais elle « doit permettre, dans des situations exceptionnelles de crise grave et avérée, de renforcer la protection des assurés et éviter que les assurés les plus modestes et les moins connaisseurs ne soient pénalisés par rapport à d’autres, qui pourraient réaliser des arbitrages plus rapides. »
L’article 21 bis précise également que « le Haut conseil de stabilité financière devra tenir compte des intérêts des assurés, des adhérents et des bénéficiaires des contrats d’assurance dans l’exercice des nouveaux pouvoirs que lui confie la loi. »
C’est-à-dire que l’article 21 bis met fin au principe de libre fixation des taux de rendement du fonds euros par les assureurs. Mais ce n’est pas tout, comme le souligne Thaline Melkonian, responsable ingénierie patrimoniale de Degroof Petercam, « si le projet de loi est voté en l’état, le HCSF pourrait, dans le domaine de l’assurance-vie, limiter temporairement l’exercice de certaines opérations, telles que l’acceptation de primes ou versements ; suspendre ou restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs ; suspendre, retarder ou limiter, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat ou la faculté d’arbitrages pour une durée limitée ».
La loi Sapin II, un hold-up d’Etat ?
On peut s’interroger toutefois sur la nécessité de donner ces pouvoirs de blocage au Haut conseil de stabilité financière, alors que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose déjà de cette même faculté quand la solidité financière d’une société d’assurance est compromise…
Et les associations professionnelles représentant les conseillers en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) et leurs porte-paroles ne cachent pas leurs inquiétudes… Voire même ne mâchent plus leurs mots concernant l’article 21 bis. Comme Jean-Pierre Rondeau, le président de la Compagnie des CGPI, qui avoue son écœurement : « C’est un hold-up d’Etat ! Un véritable scandale ! Cela fait plusieurs années que j’appelle mes confrères au boycott des produits d’Etat, comme les produits nouvelle génération (eurocroissance et vie-génération). Je suis écœuré pour les clients. Bloquer les réserves, les piquer en fait, c’est quand même contraire à l’esprit de l’assurance-vie ! ». Et Jean-Pierre Rondeau de souligner l’effort de pédagogie que va devoir déployer le CGPI pour expliquer ce nouvel état de fait et la panique que cette mesure pourrait entraîner chez les épargnants actuels et futurs : « Pour les réserves, que l’on mette éventuellement jusqu’à six mois à un an pour débloquer l’argent, cela ne me gêne pas, puisqu’il restera a priori les avances qui ne sont pas concernées par Sapin II. Ces avances ont pour avantage de ne pas obliger les compagnies à vendre les actifs et notamment les obligations, ce qui est la crainte des pouvoirs publics en cas de retraits de masse. Bien sûr, il faudrait que la compagnie ait une certaine surface (moyens de trésorerie), d’où l’intérêt de confier ses fonds à des établissements de taille significative. .Nous ne sommes pas encore à la fin du monde, même si on a trouvé un document qui montre que le FMI a fait des simulations de baisse des taux jusqu’à - 9 % ! Si cela devait arriver, la situation serait alors bien plus grave que ce que l’on dit ! Il ne faudrait pas engendrer de panique individuelle sur l’assurance-vie… »
Et Jean-Pierre Rondeau de commenter qu'« une telle décision serait quasi universelle car l’allumette serait un évènement systémique bien plus grave que Lehman Brothers, d’autant que les Etats n’ont plus les moyens de venir au secours. La situation économique mondiale est historiquement très grave. Mais les peurs qui sont agitées sont-elles totalement innocentes ? Comme les plus de 100 000 € saisis dans les banques ou les avoirs des clients venant au secours des établissements après les actionnaires et les obligataires, ces mesures sur l’assurance-vie, etc. ? Leurs conseils : avoir plusieurs comptes, des comptes ou contrats à l’étranger, acheter des biens dits réels (atypiques le plus souvent). Or, la situation serait bien pire, comme les mesures qu’ils agitent. Je crois beaucoup plus à un quasi ISF payé par tous, après petite franchise, sur l’ensemble du patrimoine, une année 10 %, avec un échelonnement de paiement pour le seul immobilier. Finance fiction ? C’est un des autres scénarios imaginés par Madame Lagarde et le FMI. Personne n’y échapperait, pas même avec plusieurs comptes ou contrats, restés en France ou ouverts à l’étranger.»
L'inquiétude semble être de mise, c’est bien aussi ce que craint David Charlet, le président de l’Association nationale des conseils financiers (Anacofi) depuis 2004, avec ces changements de paradigme. « L’article 21 bis ne va pas aider à rasséréner tout le monde, lance le vice-président de la Fédération européenne des conseils et intermédiaires financiers depuis 2015. Suite à cela, l’assurance-vie n’est plus totalement garantie, avec des taux nets de frais qui vont parfois être négatifs. Même la liquidité devient maintenant moins certaines. Cela change tout le discours. Je comprends la potentialité de blocage, une bonne mesure technique, mais pour le consommateur-investisseur, cela ne vaudra mieux pas que cela se passe. Ce pouvoir de blocage est un fusil de chasse à un coup et il envoie un message loin d’être positif ! Toute l’assurance-vie est concernée : par cette mesure, on veut nous amener à proposer d’autres produits, comme l’eurocroissance. On avait compris, sauf qu’il fallait expliquer ce fonds euros. On nous incite à passer la barrière… Et puis est-ce que cela va crédibiliser d’autres supports ? J’en suis moins sûr, même si je suis prêt à parier que les épargnants vont se diriger vers d’autres supports plus liquides. Mais il n’y a plus de rendement pour personne ! »
La loi Sapin II rappelle aux CGPI leur devoir de conseil
Et David Charlet de craindre l’effet pervers de la mesure, non seulement pour le souscripteur du contrat d’assurance-vie mais aussi pour son conseil en gestion de patrimoine : « on peut craindre que le consommateur-épargnant retire un peu par anticipation, avec l’effet court terme pour le CGP et l’assureur de subir une baisse de collecte. Ce même conseiller aura aussi à faire face à l’explication de texte. D’ici la fin de l’année, le CGPI devra revoir la situation patrimoniale de son client. Sinon, il s’expose au défaut de conseil. Ce sera une charge de travail supplémentaire, alors qu’il ne sera pas payé ! » Lui-même prévoit d’adresser un courrier personnalisé à tous ses clients.
Prêcher pour une vraie protection des épargnants et des compagnies d’assurance
Du côté d’Herez, la société de conseil en gestion de patrimoine préconise plutôt l’adage : « Mieux vaut prévenir que guérir. Que ce soit concernant l’entrave faite à la liberté des détenteurs de contrats d’assurance-vie de disposer de leur épargne ou même le fait qu’un organisme impose aux assureurs les taux de rémunération de contrats qui leur appartiennent, le projet de loi Sapin II peut paraître difficile à comprendre, voire tout simplement inacceptable, admettent les analystes d’Herez. Si une telle réaction est compréhensible, il est pourtant peut-être aujourd’hui nécessaire de recoller à la réalité économique et de mettre en place une vraie protection des épargnants, ainsi que des compagnies d’assurances. La politique de taux bas (ou négatifs) doit mécaniquement engendrer une baisse marquée du rendement des fonds euros. Face à cette érosion et afin de pouvoir proposer une meilleure rémunération que celle qui devrait normalement être offerte et également meilleure que celle de ses concurrentes, une compagnie d’assurance va alors puiser dans ses réserves pour booster artificiellement ses taux. A terme, cette course à la création de taux élevés en période de taux bas contribue à la fragilisation des comptes de l’ensemble des compagnies d’assurance. La loi Sapin II veut donc remédier à cela et sécuriser le secteur en obligeant au versement de rendements conformes à la réalité. A l’inverse, une remontée des taux obligataires engendrerait un désinvestissement massif des fonds euros de la part des épargnants, qui se reporteraient vers des obligations plus lucratives, mettant là aussi les compagnies en danger. »
Pour y remédier, Herez préconise aux épargnants de « détenir plusieurs contrats de très bonne qualité et d’ouvrir au moins un contrat d’assurance-vie au Luxembourg ».
Et si l’article 21 bis de la loi Sapin II est finalement adopté après lecture du Sénat, c’est finalement tout le charme de l’assurance-vie classique avec son capital garanti qui pourrait être menacé… Un nouveau chamboulle-tout dans un paysage que l’on croyait serein.
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