Pascale Baussant, l’ambassadrice de la finance durable
Photos : © Laura Briault-Baussant Conseil
Depuis près de dix ans, Pascale Baussant ne compte pas son temps et son énergie pour défendre le développement d’une finance plus responsable. De ses actions menées au sein de son cabinet, Baussant Conseil, jusqu’à la présidence du collectif 1 % pour la Planète France, en passant par la commission durabilité de la CNCGP ou la publication de différents ouvrages, elle se veut au service de tous, au-delà de l’écosystème du marché des CGP, avec la conviction que le changement passe par la pédagogie et la diffusion des bonnes pratiques.
Profession CGP : Il y a une dizaine d’années, vous vous êtes engagée en faveur d’une finance plus durable, tant au sein de votre cabinet qu’à l’extérieur. Pour quelles raisons ?
Pascale Baussant : Il n’y a pas eu de déclic particulier, peut-être l’arrivée de la quarantaine qui m’a incitée à introduire davantage de sens et de cohérence dans l’exercice de mon métier, alors que je m’intéressais à ces sujets et que mon cabinet avait atteint sa vitesse de croisière. Ma volonté a toujours été d’avoir une cohérence entre la préconisation de solutions d’investissement les plus responsables possibles et la démarche que nous mettions en place au sein du cabinet en y associant mes collaborateurs. J’y reste toujours très attachée. D’ailleurs, quand nous sélectionnons un fonds, nous nous intéressons toujours à la politique menée par la société de gestion en interne.
Au sein de votre cabinet qu’avez-vous mis en place ?
Dans une TPE comme la nôtre, c’est le dirigeant qui doit être le moteur de la politique de développement durable. Mon approche a toujours été collaborative en embarquant l’ensemble de mes salariés. A nos débuts, nous tenions une réunion trimestrielle dédiée à ce sujet ; désormais, elle se tient au moins une fois par an.
Nous avons mis en place différentes mesures, simples, mais visibles et lisibles, comme l’utilisation de papier recyclé, la fin des bouteilles en plastique, puis nous sommes montés en puissance progressivement jusqu’à la décision d’adhérer au 1 % pour la Planète en 2018. Jusqu’alors, nous donnions 0,5 % de notre chiffre d’affaires à une association. C’est désormais le double, et ce n’est pas neutre pour une petite société comme la nôtre. Chaque année, nous évoluons. Récemment, nous avons changé notre chaudière au gaz pour une pompe à chaleur par exemple. Nous sommes aussi devenus soutiens de l’initiative Adopte une ruche… Nous progressons régulièrement, avec de nouvelles idées pour pousser, chaque jour, le curseur un peu plus loin.
Si nous consacrons de l’argent au développement durable, nous y donnons également de notre temps. Depuis de nombreuses années et désormais via le 1 % pour la Planète, nous soutenons l’association Veni Verdi dont l’objectif est de végétaliser des toits et des espaces bétonnés dans des écoles de Paris en les transformant en jardins potagers. L’initiative se veut également sociale, puisque les heures de colle de collégiens sont transformées en heures de jardinage. Nous allons régulièrement sur le terrain avec les membres de l’association : cela crée du lien avec les collaborateurs et donne un supplément d’âme à notre initiative. Une autre partie de notre budget mécénat est également allouée à d’autres associations selon les appels à projets sélectionnés.
Vous avez d’ailleurs été élue à la présidence du 1 % pour la Planète l’an passé…
Oui, pour un mandat, bénévole, de trois ans et après avoir été administratrice pendant trois ans. Nous avons d’ailleurs été le premier cabinet en gestion de patrimoine à adhérer à cette initiative de mécénat environnemental et nous sommes une quinzaine désormais. Pour nous, cela a été un signal fort de montrer que la finance peut s’engager en dehors de son écosystème. Depuis notre adhésion, nous avons aussi eu le plaisir de voir que des sociétés de gestion ont fait adhérer certains de leurs fonds, lesquels reversent alors 1 % de leurs frais de gestion à des associations. Il s’agit, par exemple, du fonds Mandarine Global Transition géré par Mandarine Gestion ou encore Sycomore Europe Eco Solutions géré par Sycomore Asset Management. Vu la taille des fonds, l’impact est significatif et c’est un signe de cohérence avec la thématique d’investissement. Je précise, en outre, que cela ne se fait pas au détriment de la performance délivrée à l’investisseur.
En tant que présidente du 1 % pour la Planète, mon objectif est que le mécénat environnemental se développe, alors qu’il est le parent pauvre en France avec moins de 10 % du mécénat qui y est alloué. Or, les défis sont immenses et les causes multiples : préservation des océans, des forêts, développement d’une agriculture responsable, protection de la biodiversité… Chacun peut identifier la cause qui lui correspond le mieux.
Quel a été l’impact de la mise en place de cette politique durable pour vos collaborateurs ?
C’est difficilement mesurable, mais j’ai l’intuition qu’ils ont la fierté d’œuvrer dans une TPE responsable à l’heure où le Greenwashing nous entoure. Ils œuvrent dans un cabinet où la démarche est sincère et visible. Outre cette approche environnementale, j’ai toujours adopté un management par la confiance en responsabilisant mes équipes, sans donner d’objectifs commerciaux, par exemple, ce qui est extrêmement rare dans notre domaine, ou encore en veillant à respecter un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cela a sans doute contribué à les fidéliser.
Et vis-à-vis de vos clients ?
Certains de nos clients sont venus nous chercher pour cette raison, mais ce n’est pas le cas de toutes les recommandations que nous avons reçues. Dans tous les cas, nous affichons clairement que la finance durable est au cœur de notre pratique.
Au sein de l’univers des CGP, vous avez également pris la présidence de la commission durabilité de la CNCGP, en septembre dernier. Quelles sont vos missions ?
Je suis ravie que Julien Seraqui ait souhaité mettre l’accent sur ces sujets et m’ait confié la présidence de cette commission qui n’existait pas auparavant et que j’anime avec le soutien d’une dizaine d’autres CGP. Nous allons prochainement finaliser notre premier gros chantier avec la publication d’un guide RSE d’une quarantaine de pages à destination des petites structures, qui sera publié en juin prochain à l’occasion de notre congrès. L’objectif est de diffuser les bonnes pratiques et idées à nos confrères dont l’intérêt pour ces sujets est variable. Mais, mis bout à bout, si les milliers adhérents de la CNCGP mettent en place des mesures simples, comme l’utilisation d’une police de caractères économe en encre, l’impact sera réel.
Outre cet ouvrage, notre approche se veut transversale, puisqu’elle touche aussi bien la formation, l’événementiel (nous avons conseillé à la commission formation et à nos partenaires de réaliser des événements dans des lieux proches des gares ou encore en proposant des menus à base de produits locaux), la politique RSE de la CNCGP qui compte une vingtaine de salariés, l’application de la réglementation qui vient d’évoluer…
Justement, la réglementation évolue rapidement sur le sujet et il existe aussi différents labels. Comment accompagnez-vous vos confrères sur ces sujets ?
Tout à fait, les choses évoluent sous la pression des évolutions réglementaires et je pense que nous ne sommes qu’au début de ce mouvement. Certes, la réglementation repose sur différentes strates et est complexe, mais c’est un passage obligé pour faire avancer les choses.
Pour les conseillers en gestion de patrimoine, l’enjeu est de bien comprendre le sujet et, pour le maîtriser, il est indispensable de se former pour bien appréhender le sujet dans sa globalité : connaître les labels, prendre en compte les préférences ESG des clients, faire le tri entre les offres, construire une allocation durable, répondre aux interrogations des clients… Et cela vient rajouter une couche supplémentaire à toutes les autres missions et devoirs du CGP ! J’attache beaucoup d’importance à la formation et au partage des connaissances. J’ai d’ailleurs écrit trois livres sur la thématique des solutions pour le climat et j’ai appris beaucoup en rédigeant chacun d’entre eux. Et dans les prochains mois, j’aurai aussi l’honneur de former les étudiants de l’Aurep sur ce sujet.
A la CNCGP, outre le guide précédemment évoqué, nous allons insister sur la formation. C’est dans le domaine de l’allocation d’actifs et des conseils donnés à nos clients que notre profession a le plus d’impact. Or, nous avons tendance à sous-estimer ce pouvoir.
Par ailleurs, nous venons de recevoir la mise à disposition du nouveau questionnaire de profil de risque intégrant la prise en considération des préférences en termes de durabilité des clients, construit avec les équipes de Quantalys. J’ai déjà hâte de découvrir les statistiques qui vont en ressortir et qui nous éclaireront sur les appétences des clients autour des sujets environnementaux et sociaux. J’ai l’intuition que nous allons être surpris par les résultats qui seront dévoilés, alors que le marché n’invitait pas ou peu les clients à s’exprimer sur ces sujets.
Vous êtes également membre du comité du label ISR qui finalise sa refonte…
Tout à fait, un nouveau référentiel va être publié, d’ici cet été, avec des propositions en ce mois d’avril. Alors que le précédent a été décerné à plus de mille cent fonds, le nouveau label sera plus exigeant, notamment en termes d’exclusions, ce qui renforcera sa crédibilité auprès des épargnants.
Comment avez-vous vu évoluer l’offre et les pratiques des sociétés de gestion ces dix dernières années ?
Même s’il reste encore des progrès à réaliser, on ne peut pas dire que les choses n’ont pas bougé dans le bon sens, alors que nous évoluons dans un univers plutôt conservateur. Tous ces efforts doivent être salués. L’offre est désormais accessible, grâce notamment à la contrainte réglementaire, même si on pourrait aller plus loin. On peut désormais proposer à nos clients des fonds labellisés ISR, Greenfin ou Finansol, avec une bonne diversité quelle que soit la classe d’actifs (actions, obligations, immobilier, Private Equity…). Aujourd’hui, la difficulté est davantage de faire le tri, ce qui est plutôt un bon problème. Pour cela, chez Baussant Conseil, nous utilisons différents critères : la cohérence de l’offre avec la politique menée en interne par le fournisseur, les moyens mis en œuvre par la société de gestion avec la présence ou non d’analystes extra-financiers, l’engagement de la société dans les instances, sa politique de vote…
Construire une allocation d’actifs durable ne suppose-t-il pas d’avoir un biais croissance dans les portefeuilles ?
Tout à fait, mais cela peut être contrebalancé par la diversification du patrimoine, notamment via des fonds immobiliers ou d’infrastructures, eux aussi engagés dans la finance durable et qui viennent réduire la volatilité des portefeuilles.
Un mot pour conclure sur l’actuelle consolidation du marché des CGP ?
Chaque semaine, des opérations de croissance externe sont en effet annoncées. Baussant Conseil s’est construit sur un modèle artisanal, au sens noble du terme, qui nécessite d’être bien organisé et de travailler en interprofessionnalité, et qui repose sur la proximité avec nos clients sur le long terme. D’ailleurs, nos clients font appel à nous pour ne plus être considérés comme des numéros. Les acteurs de la consolidation du marché sont la partie émergée de l’iceberg et les cabinets de petite et moyenne taille conservent toute leur légitimité. Le risque pour ces grosses structures serait de basculer dans une industrialisation excessive de leur approche.
Vos réactions