H2O et ses dirigeants sanctionnés : quelles conséquences pour les CGP ?
Par Morgane Hanvic, avocat associé au cabinet Lexance Avocats AARPI, et Ghizlane Benjelloun Touimi, avocate collaboratrice au cabinet Lexance Avocats AARPI
Dans sa décision du 30 décembre 2022, la Commission des sanctions de l’AMF a condamné la société de gestion H2O AM LLP et deux de ses dirigeants à de lourdes sanctions pécuniaires pour plusieurs manquements commis dans le cadre de la gestion de fonds français à l’occasion d’investissements dans des instruments financiers.
Dans sa décision n° 12 du 30 décembre 2022, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a condamné la société H2O AM LLP à une sanction pécuniaire de 75 millions d’euros. Son directeur général, Bruno Crastes, a été condamné à 15 millions d’euros, et le directeur des investissements, Vincent Chailley, à 3 millions d’euros.
Outre l’application au directeur général de la sanction maximale qui peut être prononcée à l’encontre d’une personne physique, il lui a été fait interdiction d’exercer pendant une durée de cinq ans l’activité de gérant, directement ou par délégation, ou de dirigeant de placements collectifs, de sociétés de gestion de placements collectifs et de sociétés de gestion d’un autre Etat membre de l’Union européenne ayant une succursale ou fournissant des services en France qui gèrent un ou plusieurs OPCVM ou fonds d’investissement alternatifs.
Revenons sur les faits de cette affaire…
Rappel des faits
Entre le 1er juin 2016 et le 16 janvier 2020, la société H2O a effectué plusieurs opérations portant sur des titres émis par des entités appartenant au groupe Tennor pour le compte de sept OPCVM de droit français (les fonds Adagio, Allegro, Moderato, Multibonds, Multiequities, Multistrategies et Vivace).
Ces opérations consistaient en des investissements financiers dans des instruments financiers émis par le groupe Tennor, soit directement, soit dans le cadre d’opérations de Buy & Sell-Back, dont l’objet était, pour les fonds H2O, un achat immédiat de titres Tennor, couplé à une vente à terme de titres, à une date et à un prix convenus d’avance.
En 2019, le Financial Times a publié un article mettant en cause l’investissement des fonds H2O dans les titres Tennor et s’interrogeant, en particulier, sur l’impact de ces investissements sur la liquidité de ces OPCVM, ce qui a provoqué d’importantes demandes de rachat.
Une deuxième vague de rachat a eu lieu en 2020, avec la crise du Coronavirus.
En août 2020, H2O a dû suspendre les souscriptions et les rachats des parts des fonds H2O, notamment « pour des raisons d’incertitudes de valorisation liées à leurs expositions significatives en “titres privés” ».
Cela a conduit la société H2O, en septembre 2020, à créer des fonds de cantonnement, dits Side Pockets, dans lesquels étaient cantonnés tous les actifs non liquides. Il était donc notamment reproché à H20 d’avoir investi plus de 2 milliards d’euros dans des actifs du groupe Tennor peu liquides, voire non liquides.
Les motifs de la décision
La commission des sanctions a retenu l’ensemble des griefs notifiés à H2O. Pour justifier ces sanctions records, elle a pris en compte la gravité des manquements, l’implication des dirigeants dans la commission de ceux-ci, ainsi que le préjudice subi par les investisseurs résultant du blocage de leur épargne. Dans sa décision, la commission distingue le cas des acquisitions directes de titres de celui des investissements réalisés dans le cadre d’opérations de Buy & Sell-Back. Tout d’abord, s’agissant des acquisitions directes de titres, elle retient que la société H2O a investi pour le compte de certains des OPCVM dans des titres financiers émis par des sociétés du groupe Tennor, alors que ceux-ci n’étaient pas éligibles à l’actif des fonds.
Elle retient trois raisons. La première est le défaut de liquidité de ces instruments financiers qui a compromis la capacité des OPCVM à honorer les demandes de rachat des porteurs. Elle relève également que la société H2O n’avait pas pris en compte de façon appropriée ce risque de liquidité au moment des investissements. La deuxième raison repose sur le fait que ces titres financiers n’entraient pas dans le cadre de la politique d’investissement fixée par les prospectus des fonds, faute pour eux d’être notés par une agence de notation ou d’être émis par un émetteur noté par une agence de notation. La troisième est que la société H2O ne disposait pas d’informations suffisantes pour valoriser ces instruments financiers de façon fiable. En outre, la commission ajoute que certains OPCVM détenaient plus de 10 % de titres de créance émis par un même émetteur, de sorte que
H2O n’aurait pas respecté le « ratio d’emprise » applicable à ces OPCVM. Ensuite, s’agissant des investissements réalisés dans le cadre d’opérations de Buy & Sell-Back, là encore la commission a considéré que la société H2O avait réalisé ces opérations ayant pour sous-jacents des titres financiers émis par des sociétés du groupe Tennor, alors qu’elles n’étaient pas éligibles à l’actif des OPCVM à plusieurs titres.
Elle estime d’abord que H2O n’avait pas pris en compte de façon appropriée les risques qui empêchaient les fonds de dénouer ces opérations à leur valeur de marché, à leur initiative et à tout moment. Elle considère ensuite que certaines de ces opérations n’étaient pas prises en compte pour le calcul de l’exposition maximale de 5 % au risque de contrepartie sur un même cocontractant.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que la commission des sanctions a prononcé une sanction de 75 millions d’euros à l’encontre de la société H2O, de 15 millions d’euros contre son directeur général de l’époque et de 3 millions d’euros contre le directeur des investissements.
Les recours
Considérant cette sanction comme disproportionnée, la société H2O a décidé de former un recours devant le Conseil d’Etat. Elle estime qu’aucune erreur intentionnelle n’a été commise, et conteste le fait que l’AMF ait examiné la liquidité des titres, non pas à la date d’acquisition de ces titres, mais à une date ultérieure. Ainsi, le Conseil d’Etat pourra soit valider la décision de la commission des sanctions, soit la réformer, notamment en réduisant le montant des sanctions infligées, comme cela a été le cas en 2017.
Ce n’est, en effet, pas la première fois que le Conseil d’Etat est saisi d’une décision de la commission des sanctions. Ainsi en 2017, il a diminué la sanction infligée à la société Natixis IM, passant de 35 millions à 20 millions d’euros.
Si la société H2O envisage de former un recours devant le Conseil d’Etat, elle n’est pas la seule à vouloir intenter une action en justice. En effet, le Collectif porteurs H2O prévoit d’agir en justice contre la société H2O afin d’obtenir « le remboursement de l’épargne bloquée ». Les investisseurs avaient la possibilité d’adhérer à cette association jusqu’au 28 février, mais une tolérance existe au cas par cas pour des inscriptions tardives.
Il convient de préciser que ce collectif a déjà engagé une demande d’expertise fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile, notamment à l’encontre de la société H2O, afin d’obtenir la communication de pièces permettant « de retracer l’ensemble des opérations et donc de déterminer précisément l’étendue des fautes commises par H2O AM (et les entités chargées de contrôler la conformité de la gestion des fonds H2O et des Side-Pockets à la réglementation), ainsi que le montant des pertes subies par les fonds H2O et les Side-Pockets dans le cadre des investissements concentrés sur le groupe Tennor(1) ».
Le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette demande par une ordonnance du 8 juin 2022 et a nommé un expert judiciaire qui devrait rendre son rapport prochainement. Affaire à suivre donc…
Les conséquences
La décision de la commission des sanctions a pour effet de reconnaître la responsabilité de la société H2O. Celle des CGP devrait donc être écartée dans la mesure où ils n’ont pas commis de faute. En effet, ils n’avaient pas connaissance des procédés utilisés par H2O qui devrait être seule responsable des préjudices causés aux investisseurs. C’est d’ailleurs ce que rappelle le Collectif porteurs H2O. Ce collectif, qui représente les investisseurs, n’envisage pas, à ce stade, d’agir contre les conseillers en gestion de patrimoine. Il considère, en effet, que les CGP « ont eux-mêmes été trompés dans cette affaire » et que « les investissements non conformes à la réglementation faits pendant plus de sept ans sur les titres Tennor sont de la seule responsabilité de la société de gestion, qui n’a pas communiqué de façon transparente à ce sujet dans ses rapports mensuels(2) ».
1. « Succès de la demande de référé probatoire 145 », une actualité du 23 juillet 2022 sur le site collectifporteursh2o.com.
2. Selon une réponse dans l’onglet « Questions/Réponses » du site collectifporteursh2o.com.
Vos réactions