Biens divers et produits atypiques : prudence pour les CIF
Par Morgane Hanvic, avocat associé, cabinet Lexance Avocats AARPI, [email protected]
Vins, forêts, parkings, diamants, manuscrits… Les produits atypiques ont le vent en poupe, pour des clients en recherche de diversification ou parce que le produit suscite l’attrait ou la sympathie. Leur préconisation n’est, toutefois, pas sans risque pour les conseillers en investissement financier (CIF). Dès lors, quelques précautions s’imposent.
Les alertes se multiplient. L’offre en biens divers s’accroît et le grand public s’y intéresse. Régulièrement, l’AMF en appelle à la vigilance des investisseurs qui sont sollicités pour des biens toujours plus originaux. Dans un communiqué du 3 décembre 2020, l’AMF émettait une alerte concernant des investissements portant sur des containers et rappelait que ce n’est pas parce qu’elle n’avait pas émis d’alerte que l’opérateur était autorisé à opérer(1).
Cet engouement suscite aussi des arnaques avec de faux placements. Très récemment, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 13 décembre dernier, le Parquet de Paris, l’AMF, l’ACPR et la DGCCRF indiquaient coopérer contre la prolifération d’offres fictives d’investissement via les réseaux sociaux(2) (exemple : faux investissement dans des places de parking).
Ainsi les contours de cette offre de produits sont difficiles à distinguer et la régulation de ce marché compliquée. L’intermédiaire CIF qui va conseiller une souscription en biens divers doit aussi avoir conscience que des mauvais produits existent et que des vérifications s’imposent.
Rappelons le cadre réglementaire qui entoure la préconisation d’un tel produit :
Le conseil pour la réalisation d’une opération d’investissement en biens divers fait partie des activités autorisées pour le conseiller en investissement financier (CIF), listées à l’article L. 541-1 du Code monétaire et financier :
« I.-Les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes :
1° Le conseil en investissement mentionné au 5 de l’article L. 321-1 ;
2° (Abrogé)
3° Le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement mentionnés à l’article L. 321-1 ;
4° Le conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers définis à l’article L. 551-1 ».
Plusieurs personnes peuvent être qualifiées d’intermédiaire en biens divers et non seulement les CIF : celui qui conseille la souscription (qui sera CIF logiquement), celui qui propose le produit ou en fait la promotion mais encore celui qui le gère ou recueille des fonds.
Ceci ressort des dispositions de l’article L. 551-1 du CMF qui donne une définition large de l’intermédiation en biens divers en indiquant :
« I. – Est un intermédiaire en biens divers :
1° Toute personne qui, directement ou indirectement, par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage, propose à titre habituel à un ou plusieurs clients ou clients potentiels de souscrire des rentes viagères ou d’acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n’en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat leur offre une faculté de reprise ou d’échange et la revalorisation du capital investi ;
2° Toute personne qui recueille des fonds à cette fin ;
3° Toute personne chargée de la gestion desdits biens.
En 2014, le champ des assujettis s’est élargi avec la loi Hamon, avec un II inséré au même article (« les biens divers II ») :
II. – Est également un intermédiaire en biens divers toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire ».
En sont en revanche exclues les opérations portant sur :
« 1° Des opérations de banque ;
2° Des instruments financiers et parts sociales ;
3° Des opérations régies par le code des assurances, le Code de la mutualité et le code de la Sécurité sociale ;
4° L’acquisition de droits sur des logements et locaux à usage commercial ou professionnel ou des terrains destinés à la construction de ces logements ou locaux » (article L. 551-1 VI CMF).
Quelles vérifications pour le CIF qui conseille un investissement en biens divers ?
Au-delà des diligences propres à l’activité de CIF et aux vérifications de l’adéquation du produit, le conseiller devra au préalable réaliser des diligences de vérification. Préalablement à toute communication à caractère promotionnel ou à tout démarchage portant sur une opération sur biens divers, un dossier a dû être déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers par le promoteur-concepteur. Ce dossier comporte un document destiné à donner toute information utile au public sur l’opération proposée, sur la personne qui en a pris l’initiative et sur le gestionnaire. Une fiche de renseignements doit également être fournie par les intervenants à une opération en biens divers, diverses questions étant posées par l’Autorité concernant le projet et la personne de l’intermédiaire, son expérience. Un extrait de casier judiciaire doit aussi être fourni (annexe I de l’instruction AMF - DOC-2017-06). Le dossier doit être envoyé par mail à [email protected]. L’Autorité des marchés financiers dispose d’un délai de deux mois, à compter du dépôt d’un dossier complet, pour formuler ses observations.
L’intermédiaire (comprendre ici le concepteur) qui entend commercialiser un tel bien doit donc compléter un dossier et établir un modèle de document d’information et de contrat type qui sont visés par l’AMF en vue de l’obtention d’un numéro d’enregistrement. Une contribution d’un montant de 8 000 euros (articles L. 621-5-3 et D. 621-27 du Code monétaire et financier) doit être acquittée auprès de l’Autorité des marchés financiers au plus tard trente jours après le jour où les communications à caractère promotionnel ou le démarchage ont été autorisés par l’AMF.
Cela implique donc pour les CIF qui conseillent un investissement sur un bien divers qu’ils se sont assurés au préalable que le produit comporte un numéro d’enregistrement auprès de l’AMF. A défaut, cela signifierait que la procédure n’aurait pas été respectée et que son commercialisateur serait passible d’une sanction, et partant que le produit ne serait pas autorisé. L’AMF rappelle l’existence de sanctions pénales prévues par le code monétaire et financier en cas de manquement à cette réglementation, outre les risques de mise en cause de responsabilité pour le conseiller. Le monteur de l’opération dans le cadre du dossier qu’il a déposé auprès de l’AMF aura, par ailleurs, défini « une cible » d’investisseurs pour qui l’investissement sera adapté. Le conseiller devra donc logiquement vérifier la cohérence entre le profil investisseur de son client et la cible définie et justifier toute distorsion. L’article L. 551-1 III prévoit en outre que :
« Les communications à caractère promotionnel portant sur les propositions mentionnées aux I et II adressées à des clients ou des clients potentiels :
1° Sont clairement identifiables en tant que telles ;
2° Présentent un contenu exact, clair et non trompeur ;
3° Permettent raisonnablement de comprendre les risques afférents au placement ».
Ainsi, il est raisonnable de considérer que le CIF se sera au préalable, avant toute préconisation, penché sur les communications publicitaires pour s’assurer qu’elles sont cohérentes avec le fonctionnement du produit mais aussi complètes. Des publicités trop avantageuses, ne mettant pas en évidence les risques, devront nécessairement inciter à la prudence mais aussi à des diligences de mises en garde complémentaires pour le conseiller afin de bien mettre en évidence les risques pour le client. Ceci implique également logiquement que le conseiller préconise un produit dont il comprend le fonctionnement. De manière générale un dispositif avec des zones d’ombre ou dont on ne comprend pas clairement le fonctionnement devra être écarté.
Qu’en est-il des listes ?
L’AMF met à la disposition du grand public mais aussi par conséquent des CIF des listes que cette autorité établit. Une liste blanche(3) répertoriant les produits ayant fait l’objet d’une décision d’enregistrement délivrées par l’AMF en application de l’article L. 551-3 du Code monétaire et financier sur des placements en biens divers. Une liste noire(4) recensant les sites Internet ou acteurs proposant des investissements en biens divers qui ne se sont pas vus attribuer de numéro d’enregistrement.
La loi Pacte a étendu le champ d’action judiciaire de l’Autorité des marchés financiers aux sites proposant des placements financiers de biens divers non autorisés. L’AMF a fait usage pour la première fois de cette faculté fin 2020. Ainsi, à la demande du régulateur, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné, le 26 octobre 2020, la fermeture de six adresses Internet relatives à trois sites proposant illégalement des investissements en biens divers.
L’Autorité des marchés financiers inscrit les sites ou acteurs non autorisés à proposer des investissements dans des biens divers sur ses listes noires, à l’issue d’une procédure contradictoire. En 2020, l’AMF a ajouté soixante-huit adresses de sites sur ses listes, en particulier dans le domaine des cheptels, du vin, du champagne ou du whisky, et plus récemment dans les conteneurs (ou containers). Mais la tâche semble immense.
La réalité ?
En réalité, on constate que la liste blanche établie par l’AMF ne recense qu’un nombre infime d’opérateurs (huit au total, le dernier en date ayant été inscrit tout récemment, en juin 2021 !) face à la multitude d’offres sur le marché et que la liste noire ne recense pas pour autant tous les acteurs à bannir. On voit la difficulté à réguler un tel marché. Et ce ne sera pas sans poser de difficulté en cas de mise en cause de responsabilité. Aussi, la consultation de ces listes par le conseiller en investissements financiers semble requise, mais ne constitue pas pour autant un « laissez-passer ».
Tous les produits atypiques ne sont pas des biens divers ?
Au fil des évolutions législatives, avec la loi Hamon, en 2014, puis la loi Sapin 2, en 2016, le régime de l’intermédiation en biens divers s’est élargi et harmonisé. Au fil des décisions rendues par la commission des sanctions de l’AMF, mais aussi des décisions de juridictions judiciaires, le panel de produits entrant dans le champ de l’intermédiation en biens divers semble plus large et inclure les produits atypiques. Ainsi dans une décision de la commission des sanctions rendue le 18 décembre 2020 à l’encontre d’un CIF, l’AMF a qualifié de biens divers deux produits : l’un, qui consistait en l’acquisition d’arbres déjà plantés ou à planter en Malaisie, car il portait sur l’acquisition de droits sur des biens mobiliers ou immobiliers, sans que les investisseurs n’en assurent eux-mêmes la gestion ; l’autre, qui consistait en l’acquisition de fûts de vinaigre balsamique stockés dans les Alpes, car il portait sur l’acquisition de droits sur des biens pour lesquels la possibilité d’un rendement financier direct est mise en avant.
La commission a relevé que ces produits avaient été commercialisés en France sans avoir fait l’objet selon les cas d’un enregistrement, pourtant obligatoire. La commission a rappelé que le fait pour un conseiller en investissements financiers (CIF) de recommander un investissement dans des produits financiers sans s’être assuré au préalable que leur commercialisation était autorisée en France constitue un comportement nécessairement contraire à l’intérêt des clients (SAN-2020-13 - Décision de la Commission des sanctions du 18 décembre 2020). Pour autant, une incertitude demeure quant à certains produits atypiques et l’AMF indique que tous ces produits ne sont pas assujettis à son contrôle.
L’AMF désigne les placements atypiques, également appelés placements « alternatifs » ou « plaisir », comme des investissements mettant en avant la possibilité d’un rendement financier, qui peuvent prendre des formes très diverses. Elle cite comme exemple les produits viticoles, les containers, les pierres et métaux précieux tels que l’or et les diamants, les terres rares, les énergies renouvelables. Mais elle précise que seulement certaines propositions d’investissement dans des placements atypiques sont soumises à un enregistrement auprès de l’AMF : les propositions d’investissement en « biens divers ». Elle cite comme exemple le cas d’une société qui propose d’investir dans un bien identifiable (par exemple : une bouteille de vin, trois arbres, un lingot d’or) en contrepartie de la perspective d’un certain rendement et précise que les offres qui ne sont pas enregistrées sont illégales.
Les produits atypiques n’entrent donc pas tous dans le champ des biens divers et ne sont pas tous assujettis au contrôle préalable de l’AMF. D’où la difficulté pour les CIF de s’y retrouver. Ceci ne manquera pas de soulever des débats au regard de la prolifération de ces propositions d’investissement et du risque grandissant de contentieux. Les conseillers en investissement financier doivent, de plus fort, redoubler de vigilance et archiver avec soin les diligences réalisées en amont de leur préconisation.
1. https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/communiques/communiques-de-lamf/lamf-appelle-les-epargnants-la-plus-grande-vigilance-face-des-propositions-dinvestissement-dans-des.
2. https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/communiques/communiques-de-lamf/escroqueries-financieres-le-parquet-de-paris-lamf-lacpr-et-la-dgccrf-cooperent-activement-dans-la.
3. https://geco.amf-france.org/Bio/BIO/BIO_PDFS/LISTE_PRODUITS_BIENS_DIVERS/produits_biens_divers.pdf.
4. https://www.amf-france.org/sites/default/files/private/2021-12/liste-noire-biens-divers-10-novembre-2021.pdf.
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