Quel est le meilleur régime matrimonial ?
Par maître Antoine de Ravel d’Esclapon, notaire
En se mariant, les époux sont nécessairement soumis à un régime matrimonial, autrement di , l’ensemble des règles organisant leurs patrimoines. En général, le conseil patrimonial (matrimonial même ici !) est assez basique : si vous êtes entrepreneur ou avec une différence de patrimoine, optez pour la séparation de biens. Point, fin du débat ? Pas si sûr !
Méconnu, le régime de la participation aux acquêts revêt pourtant bien des intérêts patrimoniaux et matrimoniaux par rapport aux régies de la communauté légale et à la séparation de bien. Explications.
Les limites des régimes usuels
En l’absence de contrat de mariage, sous la loi française, le régime est celui de la communauté réduite aux acquêts, mais les époux optent parfois pour, par un contrat de mariage, la séparation de biens.
Les limites de la communauté réduite aux acquêts
Ici le régime matrimonial s’organise, sous divers correctifs, autour de trois masses :
- la masse commune de Monsieur et Madame qui comporte tous les acquêts, ce qui est acquis pendant le mariage (salaire, traitement, revenu financier, revenu immobilier, bien acquis pendant le mariage…) ;
- la masse propre de Monsieur donc, a contrario, ce qui a été acquis avant le mariage et, d’autre part, ce qui a été reçu par donation ou succession (peu importe la date) ;
- et la masse propre de Madame reposant sur le même principe.
Le premier inconvénient est celui du droit de poursuite des créanciers de l’un ou l’autre des époux : il pourra saisir, notamment, tout ce qui relève de la masse commune. Madame et Monsieur acquièrent ensemble un bel appartement parisien pendant le mariage mais Madame est quasiment la seule à financer avec son salaire de cadre, Monsieur se lançant dans une entreprise. Les créanciers de Monsieur peuvent saisir l’appartement !
Un autre inconvénient est la lourdeur d’une gestion à deux : un des époux ne peut revendre un bien commun sans le consentement de l’autre.
Les limites de la séparation de biens pure et simple
Les fiancés peuvent se rendre chez un notaire pour signer un contrat de mariage. Dans 99 % des cas, le notaire proposera une séparation de biens pure et simple. Les deux inconvénients précités disparaissent.
Toutefois, la grave limite est celle de ne pas partager la richesse des acquêts. L’union du couple ne se manifeste pas dans le patrimoine et cela est d’autant plus injuste quand l’un des époux collabore à l’activité de l’autre sans être salarié ou associé ou, quand l’un des époux s’engage plus que l’autre dans la gestion des enfants. Par exemple, Monsieur et Madame ont trois enfants et Madame renonce à travailler pour s’occuper à plein-temps des enfants. Au jour de la dissolution du régime matrimonial, Madame réalisera avoir créé de la valeur en s’occupant de ses enfants, mais Monsieur bénéficiera seul de ses revenus professionnels capitalisés.
La dureté des principes, évidente pour des concubins, est toutefois atténuée par le mariage avec la contribution aux charges du mariage, si divorce avec la prestation compensatoire et si décès, les droits du conjoint survivant.
La solution de la participation aux acquêts
Dans certains cas, les régimes matrimoniaux précités sont adaptés. Pour des clients retraités avec une descendance uniquement commune, une solution communautariste est souvent pertinente (et ce jusqu’à rendre commun des biens qui ne l’étaient pas comme ceux acquis en concubinage avant le mariage). Toutefois, bien souvent, les époux veulent surmonter les limites évoquées et une solution existe, mais est peu pratiquée.
Une solution adéquate le plus souvent
L’idéal serait donc ceci :
- les époux disposent de patrimoines distincts avec autonomie de gestion et protection face aux créanciers de l’autre conjoint ;
- et les époux partagent la richesse créée ensemble, les acquêts.
Ce régime est la participation aux acquêts.
Chaque époux dispose d’une masse personnelle. Lors de la liquidation du régime matrimonial (décès, divorce ou changement de régime matrimonial), la valeur des acquêts de chacun est calculée, puis celui qui s’est le plus enrichi va verser à l’autre une indemnité pour rétablir l’équilibre. Au final, chaque époux se sera enrichi exactement comme s’il avait été en communauté réduite aux acquêts.
Techniquement, le Code civil distingue donc le patrimoine des époux originaire (au moment du mariage ou du changement de régime matrimonial) et le patrimoine final (à la dissolution du régime matrimonial) : ainsi, la valeur des acquêts respectifs se calcule aisément. Des correctifs sont intégrés, par exemple, les biens reçus par succession pendant le mariage apparaissent tant au patrimoine final qu’au patrimoine originaire. De sorte, ces biens ne seront valorisés comme acquêts.
Une solution à pratiquer
Ce régime matrimonial est très peu proposé. La toute première raison est qu’il est jugé le « régime matrimonial des docteurs en Droit » ou encore « haut de gamme », « pour les experts »… car il supposerait un prix Nobel de Droit pour le comprendre.
Par contre, la vérité est plutôt amère : les quelques modèles de contrats de mariage pratiqués comportent souvent des erreurs et des insuffisances.
Prenons l’exemple d’un des époux qui donne un bien relevant de sa masse propre (par exemple, un bien qu’il aurait lui-même reçu par donation ou par succession). Au regard, du régime de la communauté, puisqu’il dispose de son patrimoine propre, cela n’interfère en rien dans la liquidation de la masse commune.
Or en général, les contrats de mariage de participation aux acquêts renvoient au Code Civil lequel dispose ceci : « Article 1573 du Code Civil : Aux biens existants on réunit fictivement les biens qui ne figurent pas dans le patrimoine originaire et dont l’époux a disposé par donation entre vifs sans le consentement de son conjoint, ainsi que ceux qu’il aurait aliénés frauduleusement. L’aliénation à charge de rente viagère ou à fonds perdu est présumée faite en fraude des droits du conjoint, si celui-ci n’y a consenti ».
La solution est injuste ! Le bien donné ne se trouvera donc pas dans le patrimoine originaire mais, par cette maladroite fiction, se trouvera dans le patrimoine final.
La donation va ainsi être considérée comme un acquêt ! Dans le cadre d’un divorce, par exemple, le donateur devra supporter une indemnisation du conjoint à hauteur de la moitié de la valeur de la donation ce qui n’aurait jamais été le cas dans le régime légal.
Le contrat de mariage doit donc déroger sur ce point : « Est ajoutée au patrimoine final, pour le calcul de la créance de participation, la valeur de tout bien aliéné par donation entre vifs par l’époux sauf deux cas : si le conjoint y avait consenti, ou si, par dérogation à l’article 1573 du Code civil, le bien aurait été un bien propre sous le régime de la communauté réduite aux acquêts ». Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de maladresses rédactionnelles du Code civil qui se retrouvent dans les contrats de mariage.
Au-delà du Code civil, les autres points faibles sont, en général, la non-prise en compte de la particularité de l’entreprise, actif difficilement réalisable rapidement contrairement à un actif financier ou même immobilier. Le divorce ne doit pas amener à la disparition de l’entreprise, l’époux-entrepreneur devant vendre dans les pires conditions pour acquitter sa créance de participation !
Bien entendu, le conseil doit être global et, notamment, intégrer :
- la descendance propre et commune de chaque époux ;
- la fiscalité actuelle et future ;
- l’aspect international ;
- les classes d’actifs à envisager dans le régime matrimonial ;
- les règles de preuve ;
- l’intérêt d’une société civile pour organiser, en particulier, des règles de gouvernance propres ;
- les situations de handicap ;
- les attributions préférentielles pour permettre à un époux d’être préféré à un tiers sur le patrimoine notamment indivis ;
- et les transmissions à recevoir par chaque époux…
L’accompagnement, en général, et le conseiller patrimonial, en particulier, n’aiment pas la précipitation pour un conseil de qualité pérenne. La relation passionnante est celle construite pour durer, comme les couples que nous accompagnons !
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