Neutraliser l’avantage en cas de divorce
Par Pascal Pineau, dirigeant de Atelier Formation Pascal Pineau
Les époux ont très régulièrement recours aux régimes matrimoniaux afin de protéger le survivant d’entre eux. Les communautés conventionnelles ont souvent un périmètre plus large – jusqu’à la communauté universelle –, associé de surcroît à des attributions favorables – du préciput à l’attribution intégrale. Toutes choses admirables au service d’un objectif louable. Mais voilà, nombre de mariages se terminent par un divorce. Et le contrat doit envisager la chose…
Les préoccupations sont en effet bien différentes alors, chacun cherchant à préserver ses intérêts personnels ou, tout du moins, à trouver une forme d’équité, en général assez éloignée cependant de la générosité réservée à l’hypothèse d’un décès. D’évidence, la dissolution ne passe pas par les mêmes équilibres. Et le contrat, « convention de mariage et entre associés » (en ce sens, C. civ., art. 1516 pour le préciput) ne peut raisonnablement faire l’impasse sur l’épineuse question.
Soyons sérieux !
A titre de propos liminaires, mais non sans signaler l’importance pratique de la chose pour les différents acteurs, rappelons l’aspect engageant du contrat de mariage. Pour chacun des époux d’abord, et quoi de plus naturel que de commencer par les principaux concernés. Pour celui qui les accompagne dans cette démarche ensuite, à savoir le notaire.
A un mari regrettant d’avoir apporté des biens à une société d’acquêts et prétextant que « la satisfaction de l’intérêt familial n’est pas remplie » pour remettre en cause la modification de régime opérée, la Cour de cassation a répondu que « le changement de régime matrimonial ayant produit effet s’impose à chacun des époux, de sorte que, à défaut d’invoquer un vice du consentement ou une fraude, aucun d’eux ne peut être admis à le contester » (Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-10.027). Elle a aussi rappelé que « le notaire chargé de rédiger le contrat choisi par des futurs époux est tenu, non pas de les informer de façon abstraite des conséquences des différents régimes matrimoniaux, mais de les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations » (Cass. 1re civ., 3 octobre 2018, n° 16-19.619).
Le service après-vente doit être assumé pour assurer la cohérence entre aménagements et gros œuvre : lorsque « le notaire ne démontre pas avoir fourni l’information requise », sa responsabilité professionnelle peut être engagée (Cass. 1re civ., 26 février 2020, n° 18-25.115, à propos de la création d’une société civile pour abriter l’immobilier professionnel de l’un des époux en participation aux acquêts).
Le mauvais sort des avantages
Pour ceux qui auraient nourri le moindre doute, la chose doit être claire désormais : la rédaction du contrat est un moment décisif, qui doit envisager bien des hypothèses, dont évidemment celle du divorce.
Dans ce dernier cas, quel serait le sort des avantages matrimoniaux ? Deux catégories se distinguent : « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage » (C. civ., art. 265, al. 1er), et notamment les extensions de communauté. En revanche, il « emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux (...), sauf volonté contraire de l’époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l’avantage ou la disposition maintenus » (C. civ., art. 265, al. 2).
L’avantage est – presque – partout !
L’avantage matrimonial dont il s’agit pourrait ne concerner qu’un nombre de situations relativement limité, puisque sont concernés « les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle » (C. civ., art. 1527, al. 1er).
Ce serait néanmoins faire erreur que prendre la formule au sens strict. Certaines parentés ont permis au juge de considérer que l’avantage allait bien au-delà. En effet, le spectre des régimes visés est extrêmement large…
Quand la séparation est concernée…
Nous l’avons évoqué en creux dans nos propos liminaires et la Cour de cassation l’a, sans surprise, confirmé : lorsqu’un époux a fait apport à une société d’acquêts d’un bien personnel, l’opération s’analyse comme « un avantage matrimonial à prendre en compte lors des opérations de liquidation en présence d’enfants nés d’une première union » (Cass. 1re civ., 29 novembre 2017, n° 16-29.056, à propos de l’action en retranchement).
L’introduction de la communauté en séparation de biens constitue en elle-même un avantage matrimonial qui ouvre de surcroît la porte à d’autres (préciput et attribution intégrale pour ne citer qu’eux). Un régime hybride lui aussi, bien que bâti sur une logique différente, à savoir la participation aux acquêts, a donné aux magistrats l’occasion de se prononcer sur la nature des clauses insérées dans le contrat de mariage.
… et la participation mise en danger !
Alors qu’une clause prévoyait, en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès d’un époux, que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation », la Cour de cassation a opté pour une même qualification, dès lors qu’elle considère que « les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial » (Cass. 1re civ., 18 décembre 2019, n° 18-26.337).
Plus ennuyeux pour les praticiens, elle en a déduit que, en cette qualité, ils « sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce » en référence à l’article 265 du Code civil.
Malvenue en pratique, la solution a fait réagir : « le ministère de la Justice serait favorable à une clarification de ce texte dans le but de favoriser la prévisibilité juridique et de renforcer le principe de liberté des conventions matrimoniales » (Rép. Malhuret, JO Sénat 28 mai 2020, p. 2446, n° 14362). Espérons que l’attente ne sera pas trop longue et le résultat à la hauteur. Cet aspect n’est pas sans rappeler celui de la clause dite « alsacienne », clause de reprise des apports en cas de divorce, finalement apparue à l’article 265 du Code civil. Souhaitons au passage un dénouement identique pour la participation aux acquêts.
Reprise admise
Imaginée par la pratique à partir de la clause de reprise des apports en cas de décès (C. civ., art. 1525, al. 2), la clause a été au cœur d’un débat animé. Il a été fait reproche à cette dernière, au regard du principe d’immutabilité applicable aux régimes matrimoniaux, d’organiser une alternative en matière de liquidation du régime, avec comme exemple le plus courant, une communauté universelle avec attribution intégrale en cas de décès et une communauté légale – partagée 50/50 – en cas de divorce.
La loi du 23 juin 2006 a ajouté un troisième aliéna au fameux article 265 du Code civil, lequel explique que, « si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu’ils auront apportés à la communauté ».
Presque aussi intéressant, la jurisprudence a opportunément considéré que la clause « ne confère aux époux aucun avantage matrimonial » (Cass. 1re civ., 17 novembre 2010, n° 09-68.292), sauvant ceux qui l’avaient utilisée avant même que sa validité ne soit établie par la loi.
Conséquence en cascade
Cette même jurisprudence a, voilà de longues années déjà, tiré les conséquences en cas d’application de cette même clause : « du fait de la reprise en nature (…), l’immeuble qui en est l’objet a échappé à la communauté universelle ayant existé entre les époux », et il faut considérer que « cette communauté se trouve ainsi créancière d’une récompense, en raison des travaux et impenses dont elle a assumé la charge, sur l’immeuble demeuré propre à l’épouse » (Cass. 1re civ., 16 juin 1992, n° 91-10.321).
Le bien change de camp, la communauté s’avère avoir travaillé à valoriser un bien qui lui échappe, il s’agit de ne retenir que le classement final, avec la cause de la dissolution comme arbitre.
L’autre porte de sortie
La clause de reprise des apports, dans la mesure où elle a longtemps fait débat, a été précédée dans les contrats de mariage par une clause s’appuyant sur le système des récompenses, clause n’ayant pas directement fait l’objet d’une prise de position des juges. Avant 2007 notamment, une partie de la pratique notariale a ainsi préféré prévoir que la mise en communauté donnait lieu, en cas de divorce, à récompense. Une récompense à la charge de la communauté et au profit de l’époux apporteur.
La solution était moins sujette à polémique – bien que discutée cependant. Aussi et surtout, il s’agissait d’un travail en valeur et non en nature, avec les limites de l’exercice : les apports eux-mêmes demeuraient en principe dans l’indivision post-communautaire, dans l’attente du partage et avec l’aléa inhérent à ce dernier.
Cependant, le montant dû suivait en général la valeur du ou des biens apportés, par référence au profit subsistant (C. civ., art. 1469). La neutralité économique, à défaut d’un retour à l’expéditeur.
Tout sauf naturelle !
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la mise en communauté ne donnait pas lieu à récompense : « l’apport était stipulé au contrat de mariage, de sorte qu’aucun mouvement de valeur entre la masse propre de l’époux et la masse commune ne s’était réalisé au cours de l’application du régime matrimonial » (Cass. 1re civ., 3 octobre 2019, n° 18-20.430).
Cette solution, fort logique, souffre-t-elle dérogation ? Rappelons tout d’abord que les règles de calcul des récompenses ne sont pas d’ordre public (Cass. 1re civ., 4 janvier 1995, n° 91-15.189). Il est admis que le contrat de mariage puisse ainsi annuler une récompense. La solution est régulièrement utilisée pour faire place nette en présence d’une communauté universelle avec attribution intégrale, et ceci afin d’éviter autant que faire se peut l’ouverture d’une succession au premier décès.
Modifier jusqu’à créer ?
La logique soutenant la clause qui nous intéresse est quelque peu différente, puisqu’il s’agit plutôt de rattacher au régime des récompenses une opération qui n’en relève pas, du moins pas naturellement – alors même que nombre de notaires ont cru nécessaire de faire figurer en parallèle une dispense de récompense… en cas de décès tout du moins.
Mouvement entre patrimoines, il y a bien. Mais c’est avant que le départ ne soit donné. Rédhibitoire ? La liberté contractuelle semble autoriser la chose en contrepoint d’une mise en communauté, aucune disposition d’ordre public ne s’y opposant. De la sorte, l’apport deviendrait en quelque sorte « onéreux » en cas de divorce.
Une décision mérite ici le détour pour comprendre à quel point les juges sont accueillants en la matière… y compris en dehors du contrat de mariage.
Récompense : une référence pouvant échapper au système
A ainsi été considérée comme « valable la clause insérée dans l’acte de donation d’un bien propre de [l’épouse] à son fils (...), par laquelle [le mari] a déclaré intervenir à l’acte pour faire donation à son fils des récompenses qui seraient dues à la communauté au titre du financement de la construction d’un bâtiment sur le terrain propre de la donatrice » (Cass. 1re civ., 6 février 2007, n° 04-13.282, publié au bulletin).
L’explication donnée pour valider l’arrêt d’appel : « l’acte litigieux ne peut s’analyser comme un abandon de droit portant atteinte au principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux tel qu’il est défini par l’article 1396 du Code civil, mais comme la donation d’une créance dont le montant ne pourra être liquidé qu’au décès de l’un ou l’autre des donateurs ». Si ce n’est une récompense, c’est donc sa sœur, une créance. Tour de passe-passe, en jouant sur les mots ? Chacun se fera son idée. Toujours est-il que la chose est admise. Reste à déterminer – non sans quelque crainte – la qualification de la clause.
Tout l’inverse d’un avantage !
S’agirait-il d’un avantage matrimonial, prenant effet à la dissolution et en conséquence révoqué presque à coup sûr ? La solution est douteuse. L’histoire évoquée supra de sa proche parente, la clause de reprise des apports, nous renseigne suffisamment en la matière : la stipulation « ne confère aux époux aucun avantage matrimonial ». Voilà qui va comme un gant à la clause de récompense. A défaut, pour elle, d’onction de la loi.
Elle neutralise un avantage matrimonial, la mise en communauté, et ne peut elle-même avoir la nature d’avantage matrimonial. La cohérence est ainsi pleine et entière, et la distinction suivant l’origine de la dissolution, voulue par les époux et inscrite dans le contrat de mariage, est respectée.
Pour terminer, évoquons une autre dimension à la clause, qui celle-là dépasse l’aspect purement financier.
Travailler le mode de règlement
Si le compte de récompenses présente un solde en faveur de l’époux, « celui-ci a le choix ou d’en exiger le paiement ou de prélever des biens communs jusqu’à due concurrence » (C. civ., art. 1470, al. 2), étant précisé que « les prélèvements s’exercent d’abord sur l’argent comptant, ensuite sur les meubles, et subsidiairement sur les immeubles de la communauté. L’époux qui opère le prélèvement a le droit de choisir les meubles et les immeubles qu’il prélèvera. Il ne saurait cependant préjudicier par son choix aux droits que peut avoir son conjoint de demander le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle de certains biens » (C. civ., art. 1471).
Sans qu’il soit utile d’entrer dans les détails de ce qui a pu être prévu en la matière, il est aisé de comprendre que la qualité peut ici s’ajouter à la quantité, faisant tendre la clause de récompense… vers une reprise des apports. C’est bien d’ailleurs la raison pour laquelle la pratique laissera de côté la première pour lui préférer la seconde lorsqu’il faudra rapatrier le bien lui-même. Dans les autres cas, la clause de récompense en cas de divorce pourrait conserver un réel intérêt.
Trop proche pour être désavouée ?
Il ne s’agit pas de concrétiser un avantage matrimonial lors du divorce, mais tout au contraire d’en contrebalancer un, la mise en communauté, le tout afin de revenir, au moins financièrement, à la situation ex ante, et ne laisser prospérer l’avantage que dans l’hypothèse d’un décès. Dans cette mesure, la clause prévoyant cette récompense, et cette clause précisément, ne semble pas davantage contestable que la clause de reprise des apports utilisée dans les mêmes contexte et esprit.
Attention néanmoins à ne pas généraliser : au regard de l’interprétation que fait actuellement la Cour de cassation de l’article 265 du Code civil, d’autres clauses s’appuyant sur l’altération du régime des récompenses pourraient succomber en cas de divorce malgré la volonté des époux, constatée dans le contrat de mariage, de les maintenir précisément en cette circonstance. Il suffirait que, déconnectées cette fois d’une autre clause dont elles viseraient à assurer la neutralité, elles soient considérées comme des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution.
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