L’OBO immobilier : une stratégie vertueuse
Par Stéphane Absolu, directeur associé Pyxis Conseil
Le moyen de générer des liquidités et l’utilisation du crédit comme outil d’enrichissement apparaissent comme deux effets de leviers créateurs de richesse pour les clients des experts patrimoniaux. Etudier une stratégie d’OBO immobilier peut être intéressant. Contours, incidences juridiques et fiscales à l’aune de l’abus de droit principalement fiscal de cette stratégie patrimoniale.
En cette période délicate, il peut être intéressant de mettre en perspective deux effets de leviers créateurs de richesse pour nos clients. D’un côté, un moyen de générer des liquidités et de l’autre l’utilisation du crédit comme outil d’enrichissement.
Concernant le crédit notons que le Haut conseil à la sécurité financière vient de revoir ses recommandations pour augmenter le taux d’endettement des ménages (de 33 à 35 %) et donner une marge de manœuvre plus souple aux établissements de crédits (le pourcentage de dossiers dérogeant aux règles passe de 15 à 20 %).
Dans ce contexte particulier, étudier une stratégie d’Owner Buy Out (OBO) immobilier – que je trouve parfois injustement réduite à l’appellation de vente à soi-même – peut être intéressant.
Une opération d’OBO sur un bien immobilier consiste, pour un propriétaire, à procéder à la cession d’un bien immobilier au profit d’une nouvelle société détenue par son groupe familial. Pour réaliser cette opération, la société s’endette auprès d’un établissement bancaire à hauteur du prix de cession (valeur de marché déterminée par un professionnel de l’immobilier) afin de financer l’acquisition du bien objet de la cession.
Identifier les objectifs de la stratégie
Les avantages d’un rachat de biens immobiliers à soi-même sont multiples : profiter de l’effet de levier du crédit, dégager des liquidités avec le prix de cession et envisager une diversification de son patrimoine ou un projet d’investissement particulier, maîtriser son acquisition (vous savez ce que vous achetez…), organiser la détention du bien, par exemple avec la création d’une SCI, encadrer la fiscalité de ses revenus du patrimoine et transmettre à ses enfants un patrimoine en nue-propriété ou en pleine propriété.
C’est dans la détermination des objectifs poursuivis par cette stratégie que chacun trouvera toute la consistance de l’opération permettant de faire échec à une éventuelle qualification d’abus de droit. Cette stratégie doit avoir un sens pour le patrimoine des clients, dans l’organisation, la transmission, ou encore la diversification…
Un mécanisme financier et juridique bien huilé
Le point de départ de l’analyse de cette stratégie repose souvent sur des revenus fonciers fortement fiscalisés. Cette pression fiscale semble encore plus importante aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de comparer une fiscalité sur les revenus du patrimoine à 30 % (prélèvement forfaitaire unique) et une fiscalité sur les revenus fonciers qui peut aller jusqu’à 45 % (tranche marginale d’imposition maximale) et les prélèvements sociaux (17,2 % à ce jour, avec possibilité de déduire une fraction de la CSG des revenus de l’année suivante).
La seconde analyse passe souvent par l’utilisation de l’effet de levier du crédit. Au travers de l’OBO, il s’agit de faire refinancer le bien et ainsi de générer une nouvelle dette. Les taux d’intérêt actuellement très bas cumulés avec une bonne ingénierie dans l’organisation de la dette bancaire permettront de répondre efficacement au cahier des charges de l’OBO immobilier. En termes de garantie, un large panel s’ouvre aux associés, garantie réelle sur le bien, compte courant bloqué ou encore nantissement total ou partiel du prix de vente de l’immeuble par les parents.
L’opération consiste donc à faire vendre un bien immobilier par des parents, au profit le plus souvent d’une société civile immobilière (SCI) constituée entre les parents et les enfants. La société ainsi constituée s’endette auprès d’un établissement bancaire et verse le prix de vente du bien immobilier aux parents. Cette stratégie permet ainsi aux parents de rendre liquide un patrimoine qui ne l’était pas, et de conserver le bien immobilier dans le patrimoine familial (cf. illustration ci-contre « OBO : acquisition par une société civile familiale d’un bien locatif par l’épouse »).
Dans le cadre d’une telle opération, l’ingénierie juridique prend également tout son sens, notamment lors de la rédaction des statuts de la SCI, afin de prévoir des clauses d’agrément de nouveaux associés pour assurer l’équilibre familial, le cas échéant des clauses de sortie conjointe, des chaînes de gérance, des pouvoirs élargis pour l’usufruitier en cas de démembrement de propriété… Autant de dispositions qui permettront d’organiser les statuts dans l’intérêt familial et de répondre aux objectifs des parents cessionnaires de l’immeuble.
Un savant équilibre entre intérêt de l’opération et risques fiscaux
En premier lieu, il faudra distinguer le cas de l’OBO portant sur un immeuble dont le propriétaire se réserve la jouissance, assorti de l’imputation d’un éventuel déficit foncier qui fait courir un risque d’abus de droit important. Ainsi le Conseil d’Etat (CE du 8 février 2019) a pu considérer que l’administration fiscale était en droit de refuser la déduction des charges en cause sur le fondement de l’abus de droit.
Cette hypothèse est à distinguer du cas de l’OBO portant sur un immeuble loué à un tiers. Le risque d’abus de droit ne peut être totalement écarté, mais ne doit pas non plus être surestimé, et peut être contourné en prenant des précautions simples et efficaces.
Il existe deux types d’abus de droit, l’abus de droit par fraude à la loi et l’abus de droit par fictivité de l’opération. En pratique, on pourra considérer que l’abus de droit par fraude à la loi sera caractérisé lorsque l’opération avait pour but principal ou exclusif d’éluder l’impôt en détournant la volonté du législateur. Ainsi l’abus de droit pourra être écarté lorsque des motifs déterminants autres que fiscaux diligentent l’opération.
Dans le cas d’une stratégie d’OBO, des intérêts de structuration du patrimoine (une société civile immobilière pour gérer l’immeuble plutôt qu’une indivision), des intérêts économiques (dégager des liquidités pour mener des projets personnels ou professionnels) ou encore des intérêts de transmission (transmettre les parts de la SCI aux enfants ou petits-enfants) peuvent facilement être mis en avant.
Enfin l’abus de droit par fictivité qui impliquerait soit une fictivité de la vente, soit une fictivité de la société. Dans le cadre d’un OBO, la vente aura bien lieu, il convient d’être vigilant sur la valeur du bien vendu qui devra être déterminé le plus justement possible sur la valeur du marché. Quant à la fictivité de la société, la tenue d’une comptabilité et la tenue d’assemblées générales notamment, permettront d’en assurer le formalisme juridique et comptable nécessaire.
En tout état de cause, un audit patrimonial précis permettra de déterminer non seulement les objectifs réels de l’opération d’OBO, mais également de déterminer le cadre pour éviter tout risque d’abus de droit.
Cas pratique
M. Bonidée, âgé de 55 ans, est père de trois enfants, il est propriétaire de deux appartements à Nantes valorisés 1 200 000 €. Ces appartements génèrent chaque année des loyers pour 60 000 € et des charges pour 8 000 €. M. Bonidée perçoit, par ailleurs, des revenus de son activité et sa tranche d’imposition est fixé à 41 % à laquelle il faut ajouter pour les revenus fonciers les prélèvements sociaux à 17,2 %. En cas de succession, M. Bonidée n’a encore réalisé aucune donation au profit de ses trois enfants, et compte tenu de son patrimoine global, la tranche marginale d’imposition au titre des droits de succession est fixée à 30 %. Les deux appartements génèrent donc des droits de succession pour chaque enfant de 120 000 €, soit pour les trois enfants 360 000 €.
Objectifs
M. Bonidée souhaite organiser sa transmission et faciliter la gestion et la détention de ces deux appartements entre ses trois enfants.
Première étape : création d’une SCI familiale
Deuxième étape : cession du second appartement de Nantes
Troisième étape : donation-partage des parts de la SCI en nue-propriété et M. Bonidée se réserve l’usufruit
Economiquement, les loyers perçus (60 000 €) sont affectés au remboursement de la dette (36 000 €) et au paiement des charges diverses (8 000 €). Chaque année, il va donc rester un solde de 16 000 € avant impôt.
Fiscalement, la SCI Bonidée assujettie à l’impôt sur les sociétés va imputer sur les loyers perçus les intérêts de l’emprunt, les charges de l’immeuble, mais également les frais d’acquisition pour la première année et les amortissements. Le faible résultat permet une imposition au taux réduit d’impôt sur les sociétés de 15 %, et les loyers permettent de payer l’ensemble des charges.
Enfin, si M. Bonidée souhaite percevoir des revenus à la carte il pourra décider de procéder à une distribution de dividende qui sera alors imposée au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (cf. tableau « Flux fiscaux »).
Synthèse comparative dans vingt ans
En conclusion, nous comparerons la situation dans vingt ans, au terme du remboursement de l’emprunt, entre la conservation du bien dans le patrimoine de M. Bonidée et la stratégie d’OBO proposée.
Ainsi, le prix de cession perçu par M. Bonidée serait placé sur un contrat d’assurance-vie avec un intérêt annuel de 2 %. Par ailleurs, les deux appartements sont revalorisés de 1 % par an, soit une valeur de 1 460 000 € dans vingt ans.
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