Les histoires d’acquêts finissent mal… en général !
Par Pascal Pineau, responsable de formation à l’Aurep
L’acquêt est un concept savoureusement français, l’aliment de base de notre régime légal ; délicatement assaisonné de biens propres voire indivis, il régale par le partage qui s’opère en son sein. Un mets raffiné qui peut surprendre, en particulier qui ne se serait pas penché sur la recette. L’acquêt peut être cuisiné comme principe, il sait aussi se faire exception ! Pris à la carte, il devient pièce dans une salade composée : société d’acquêts en séparation de biens, un plat sur mesure. Suivez le chef pour le menu du jour, un extrait de « La trilogie de l’acquêt », à suivre prochainement dans la newsletter de l’Aurep…
La jurisprudence récente a abordé les acquêts dans des dimensions qui apparaissent moins régulièrement sous le feu de la rampe, voire qui étaient jusque-là ignorées. Honneur aux anciens, avec un retour sur l’ancien régime légal et dont il s’agit de prendre la mesure.
Ancien régime
Lors du divorce d’époux mariés sans contrat préalable en 1961, l’épouse veut exercer un droit de reprise sur les dons manuels consentis par ses parents. Il convient de rappeler que le régime légal était alors la communauté de meubles et acquêts.
Dès lors qu’« il ne résulte ni de l’arrêt ni des pièces de la procédure que [l’épouse] ait soutenu devant la cour d’appel que ses parents avaient entendu faire exclusivement bénéficier leur fille des donations d’argent qu’ils lui avaient consenties », le caractère mobilier des sommes données les a fait basculer dans la communauté quand la notion d’acquêt n’y aurait pas suffi (Cass. 1re civ., 13 déc. 2017, n° 16-27.830).
Seule échappatoire : les biens meubles reçus par succession ou libéralité par les époux pendant le mariage tombent en communauté « à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire » (C. civ., art. 1498). Une clause qui eût permis l’ouverture d’une discussion au titre des récompenses en l’absence d’emploi.
Mais revenons au régime légal actuel, tout en restant sur le terrain des donations. Notre intérêt se portera du côté du donateur plus que du donataire.
Feu vert du conjoint
Une femme fait donation à ses deux enfants de la nue-propriété d’un bien immobilier constituant un acquêt, et ce à concurrence de la moitié indivise pour chacun. Le mari est intervenu à l’acte pour donner son consentement, à charge de récompense à la liquidation de la communauté. Une banque, créancière du fils, a inscrit une hypothèque judiciaire définitive sur le bien, puis a assigné en licitation du bien indivis.
Par une analyse obscure, « s’agissant d’un acte de disposition portant sur un bien commun », la cour d’appel a conclu au « partage de l’indivision existant entre la communauté et les donataires », « la communauté ayant conservé la pleine propriété de la moitié du bien et l’usufruit de l’autre moitié ».
Ayant préalablement rappelé « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis », la Cour de cassation a considéré qu’« il ressortait de l’acte litigieux, dont les termes étaient clairs et dépourvus de toute ambiguïté, que la donation portait sur la nue-propriété de l’intégralité du bien immobilier, à charge de récompense pour l’époux lors de la liquidation de la communauté » (Cass. 1re civ., 7 févr. 2018, n° 17-10.366).
Un classique qui nécessite de bien identifier les rôles respectifs : seule l’épouse endosse le rôle du donateur, le mari donnant son accord à l’opération au titre des règles de la gestion conjointe qui visent expressément cette opération (C. civ., art. 1422) ; l’épilogue se tiendra à la liquidation du régime, le mari ayant alors droit à récompense.
Les magistrats sont aussi confrontés à un problème d’identification des produits retraite. Les affaires en la matière affluent actuellement. Pour des réponses qui manquent, à mon sens, de précision et de cohérence.
Ainsi font, au fond, pour Préfon, les juges
Face cette fois à un contrat Préfon-Retraite souscrit par le mari « ouvrant droit à une rente complémentaire indisponible à la date de la dissolution de la communauté » et « alimenté par des fonds communs » pour environ 23 000 €, les juges retiennent que « ce contrat, qui ne profite qu’à l’affilié, constitue un propre par nature » et ajoutent que, « les cotisations ayant été payées avec des deniers communs, l’époux doit récompense à la communauté ».
Ayant noté que « la question de la récompense était dans le débat », la cour d’appel en a exactement déduit que « les droits nés du contrat de retraite complémentaire ne pouvant qu’être attribués, après la dissolution de la communauté, au souscripteur ou au bénéficiaire désigné, il devait en être tenu compte dans les opérations de partage » (Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 17-13.392, inédit).
Mais on peut se demander si le véritable débat a eu lieu.
La vérité est ailleurs ?
Pour l’avocat du mari, « il ressort des écritures des parties que le litige portait uniquement sur l’intégration du contrat Préfon-Retraite dans l’actif de la communauté » ; en faisant entrer la récompense dans la danse, « la cour d’appel a modifié l’objet du litige ».
Il ajoute que « les cotisations dues par un époux au titre d’un contrat de retraite complémentaire (…) constituent des dettes définitives de la communauté n’ouvrant pas droit à récompense ». La Cour de cassation reste de marbre et valide implicitement une « récompense égale à la dépense faite en valeur nominale ».
L’épouse aurait peut-être pu prétendre à une récompense calculée au profit subsistant, pour l’acquisition d’un droit figurant dans le patrimoine emprunteur. La solution aurait davantage encore ramené le contrat dans les opérations de partage.
Quand certains aménagements réduisent ou font disparaître la communauté, d’autres, tels la société d’acquêts en séparation de biens, instillent cette dernière dans des régimes qui ne la connaissent pas.
Introduire l’acquêt en séparation…
Des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts ont adopté ensuite la séparation de biens avec société d’acquêts, cette dernière se composant des biens professionnels des époux, et notamment de l’activité d’auto-école ; le contrat comportait une clause d’attribution intégrale des acquêts au conjoint survivant.
Au décès du mari, un désaccord oppose épouse et enfant commun, d’une part, aux deux enfants issus de sa première union, d’autre part. La Cour de cassation valide l’arrêt d’appel en constatant que la société d’acquêts est « composée pour l’essentiel du fonds de commerce d’auto-école dans lequel ils exerçaient tous deux leur activité professionnelle » et que « ce fonds de commerce a été créé par [le défunt] le 3 mai 1982, soit avant son mariage ».
Il est ainsi démontré que « le mari avait fait apport à la société d’acquêts d’un bien personnel, ce qui constituait un avantage matrimonial à prendre en compte lors des opérations de liquidation en présence d’enfants nés d’une première union » (Cass. 1re civ., 29 nov. 2017, n° 16-29.056).
On ne laisse pas l’acquêt dans un coin !
Cette position ne lève pas un débat doctrinal : un avantage matrimonial exposé à une action en retranchement en présence d’enfant(s) non commun(s), d’accord, mais quelle référence retenir pour déterminer si l’avantage est ou non excessif ? Séparation de biens pure et simple ou communauté légale ?
A mon sens, ce maximum doit être le même pour tous les époux, la forme exacte choisie en matière de protection du conjoint devant rester anecdotique. Une préférence, donc, pour une référence partagée par tous, la communauté légale – assortie, rappelons-le, de la plus importante des quotités disponibles spéciales entre époux, soit ici, en présence de trois enfants, un quart en propriété et trois-quarts en usufruit. Terminons cet article par un clin d’œil à ceux qui osent…
Große filou !
Une cour d’appel a affirmé que l’ex-épouse pourrait prélever sur l’actif de communauté la somme lui restant due par son ex-mari à titre de prestation compensatoire (environ 15 000 €). La chose convenait évidemment très bien à ce dernier mais la Cour de cassation n’y a point consenti, car cette proposition, détail savoureux, « fait supporter par la communauté le paiement de la prestation compensatoire (…), dette personnelle de [l’ex-époux] » (Cass. 1re civ., 15 nov. 2017, n° 16-16.443).
Qui ne tente rien n’a rien ! C’était osé et c’est presque passé. Evidemment, la prestation compensatoire ne constituant pas une dette de communauté, l’acquêt n’en avait cure.
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