Changement de régime matrimonial : évolutions législatives
Par Jean-Pascal Richaud et Stéphane Pilleyre de Fac JD et Associés
Le changement de régime matrimonial vient d’être profondément modifié par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice votée le 23 janvier 2019. La loi de finances également apporte également une modification mais d’une bien moindre importance. Qu’en est-il désormais ?
L’article 1397 du code civil modifie les règles relatives au changement ou aux aménagements des régimes matrimoniaux.
Rappel des règles jusqu’à présent en vigueur
Pour résumer, de manière non exhaustive
Les époux qui souhaitent changer ou modifier leur régime matrimonial, doivent s’adresser à un notaire puis, ensuite et dans certains cas, faire homologuer le nouveau régime matrimonial par un juge (le juge aux affaires familiales – noté JAF –, et ce par l’intermédiaire d’un avocat). Ils doivent, par ailleurs, informer leur(s) enfant(s) majeur(s), ainsi que leurs créanciers des modifications effectuées. Entre époux, le nouveau régime matrimonial prend effet à la date de l’acte notarié ou à la date du jugement. Ce changement de régime matrimonial fera, également, l’objet d’une publication aux fins d’information des créanciers des époux (JAL), puis des tiers, via une mention en marge de leur acte de mariage.
Les conditions pour changer ou modifier son régime matrimonial
Des conditions doivent être remplies pour pouvoir modifier ou changer entièrement de régime matrimonial :
1. Un accord de volonté des deux époux en ce sens, constaté aux termes de la convention notariée, - obligatoirement - et sous le bénéfice des conseils du notaire rédacteur ;
2. Le changement de régime matrimonial doit être conforme à l’intérêt de la famille ;
3. Enfin, le régime matrimonial ante changement ou modification doit avoir été précédemment appliqué durant 2 ans.
La procédure
Les époux s’adressent d’abord à un notaire puis, dans certains cas, à un avocat quand ils doivent faire homologuer le nouveau régime matrimonial par le JAF (cf. supra.)
Rôle du notaire
Le notaire établit la nouvelle convention matrimoniale sous forme authentique. Les oppositions des enfants majeurs des époux et des créanciers doivent être transmises au notaire qui a reçu l’acte portant modification du régime matrimonial.
Rôle du juge
La nouvelle convention doit être homologuée par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance (TGI) du lieu de résidence de la famille :
• Si l’un ou l’autre des époux a un enfant mineur ;
• Ou si certaines personnes s’y opposent : (enfant(s) majeur(s), créancier(s), personne(s) qui avaient été partie(s) dans le contrat initial modifié - C. proc. civ., art. 1300 -).
L’assistance d’un avocat est obligatoire pour faire homologuer par le juge la nouvelle convention matrimoniale. L’avocat présente alors une requête au tribunal au nom des époux, à laquelle est jointe une copie de l’acte notarié.
Pour homologuer le nouveau régime, le juge doit apprécier :
• Si le changement est conforme à l’intérêt de la famille en procédant à « une appréciation d’ensemble » (Cass. 1re civ., 6/1/1976,) ;
Modification de l’acte de mariage
Peu importe que le changement ou la modification du régime matrimonial par acte notarié soit intervenu avec ou sans homologation du juge, l’acte de mariage doit être annoté.
La mention marginale de l’acte de mariage des époux doit faire apparaître le changement de régime matrimonial (C. proc. civ., art. 1302) aux fins d’information des tiers.
Le notaire fera mention de ce changement ou de cet aménagement matrimonial sur la minute ou original du contrat de mariage modifié.
Obligation d’information
Information des enfants majeurs des époux
Les enfants majeurs de chaque époux doivent être personnellement informés de la modification envisagée. Une fois informés, ils peuvent s’opposer à la modification du régime matrimonial dans un délai de 3 mois. Ce délai commence à courir à partir de la délivrance de l’information par les parents (procédure réglementée).
L’opposition des enfants majeurs doit être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (RAR) ou par acte d’huissier adressé au notaire ayant établi l’acte contenant modification ou du changement de régime matrimonial.
L’absence d’opposition dans les 3 mois, par l’envoi d’une lettre RAR, équivaut à une acceptation tacite des enfants majeurs.
Information des créanciers
Le ou les créanciers des époux sont informés de la modification envisagée par la publication d’un avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales. Cette information est publiée dans l’arrondissement ou le département du domicile des époux. Le créancier peut s’opposer à la modification dans les 3 mois suivant la publication.
On notera, pour information seulement, que la convention notariée portant le changement ou la modification du régime matrimonial peut être remise en cause (pour vices du consentement, nullité pour absence de liquidation – si elle était nécessaire – cf. infra., action paulienne d’un ou des créanciers, fraude), mutatis mutandis pour le jugement (appel, pourvoir en cassation, action en révision) et n’oublions pas l’impact d’une éventuelle procédure collective à l’égard de l’un ou des deux époux (C. comm. art. L 632-2, 632-1).
Présentation des nouvelles règles civiles issues de la loi de 2019
(La loi n’étant pas à ce jour publiée, sa date d’application demeure incertaine).
Changement ou modification à tout moment
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice supprime une première condition relative aux deux années d’application du régime matrimonial pour en changer ou l’aménager.
Il est possible d’aménager ou modifier son régime matrimonial à tout moment par acte notarié contenant la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire.
Information du représentant d’enfant mineur sous tutelle ou d’enfant majeur faisant l’objet d’une mesure de protection juridique
Le second alinéa de l’article 1397 du code civil imposant l’information du ou des enfants majeurs et leur droit de s’opposer au changement ou à la modification dans un délai de 3 mois a été complété.
Désormais, cette obligation d’information est étendue au représentant d’un enfant mineur sous tutelle ou d’un enfant majeur faisant l’objet d’une mesure de protection juridique. Le représentant agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles.
Une fois informé, le représentant dispose du droit de s’opposer au changement ou à la modification du régime matrimonial.
En présence d’enfant mineur, plus d’homologation systématique, mais une saisine du juge des tutelles possible par le notaire
Jusqu’alors, lorsque l’un ou l’autre des époux a des enfants mineurs, l’acte notarié était obligatoirement soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux. Désormais, sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 du code civil (procédure d’alerte ?).
Le notaire pourra donc saisir le juge des tutelles s’il considère que le changement ou la modification du régime matrimonial compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou peut porter un préjudice grave à celui-ci.
Présentation des nouvelles règles fiscales issues de la loi de finances pour 2019.
Fin de l’exonération, mais laquelle ?
L’article 122 de la loi de finances pour 2019 abroge l’article 1133 bis du CGI qui disposait jusqu’à présent : « Les actes portant changement de régime matrimonial, en vue de l’adoption d’un régime communautaire, ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor. »
Il s’agissait d’une exonération uniquement pour le passage d’un régime séparatiste à un régime communautaire.
Mais de quelle exonération s’agit-il ? Et bien, il s’agit d’une exonération qui porte sur le droit fixe de 125 €. Difficile de qualifier cette modification comme majeure, elle ne devrait pas augmenter substantiellement les frais consécutifs au passage d’un régime séparatiste vers un régime communautaire, initié pour des raisons patrimoniales et civiles pertinentes et appréciées en amont de l’acte portant changement ou modification du régime matrimonial (sauf en cas de mutation immobilière, et l’exigibilité de la TDP - taxe de publicité foncière - + la CSI de 0,10 %).
Maintien des coûts de liquidation
L’article 1397 nouveau du code civil impose toujours : « la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire ». La liquidation du régime matrimonial est d’une grande importance car elle implique des coûts non négligeables tant en termes d’émoluments que de taxation (cf. supra.).
Comment savoir si la liquidation est nécessaire ou pas ? Sachant que si elle est nécessaire et qu’elle n’est pas faite, la convention peut être annulée ! Au fait, action ouverte à qui ?
Il ressort d’une circulaire (29 mai 2007, page 61), mais également de plusieurs réponses ministérielles (RM Dord JOAN 02/06/2009 n°46563 ; RM Calvet JOAN 11/11/2008 n°28463), que : « cette nécessité est appréciée au regard du changement éventuel dans la composition et l’organisation des patrimoines des époux. Ainsi, en cas de passage d’un régime communautaire à un régime séparatiste, la liquidation est nécessaire. »
N.B. La liquidation « nécessaire » à peine de nullité, peut augmenter le coût de l’acte envisagé par les époux !
Pour conclure, pour l’instant…, sur cette question
Nous saluons l’assouplissement des conditions du changement ou de modification du régime matrimonial par le législateur (qui a entendu, puis écouté les praticiens).
Néanmoins, tout conseiller patrimonial averti conservera à l’esprit les conséquences patrimoniales et civiles :
• D’un éventuel divorce ultérieur (impact d’une clause de mise en communauté, impact d’une clause écartant les éventuelles récompenses, C. civ. art. 265 al. 3 !) ;
• De l’impact successoral de la modification ou de l’aménagement matrimonial lors du décès du premier époux et ensuite… relativement au sort du survivant (impact d’un avantage matrimonial diminuant la première succession et augmentant la seconde),
• De la présence d’un ou de plusieurs enfants non communs (impacts liquidatifs liés à la protection légale de l’enfant d’un 1er lit, insérée dans l’article 1527 du Code civil et appelée « action en retranchement » qui n’est qu’une action en réduction pour protection de la réserve héréditaire du ou desdits enfants non communs et qui a donné lieu, en 2016 et 2018, à deux arrêts de la Cour de cassation forts instructifs pour les praticiens).
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- les fondamentaux du droit patrimonial de la famille (par Jean-Pascal Richaud) : Régimes matrimoniaux – Modes de détention des actifs – Donation set successions, les 14 et 15 mars ;
- les fondamentaux de la fiscalité patrimoniale (par Jacques Duhem) : Méthodologie, Impôt sur le revenu, revenus catégoriels, défiscalisation, IFI, les 27 et 28 mai ;
- la mise en œuvre du conseil patrimonial (par Stéphane Pilleyre) : audit patrimonial gestion de l’assurance-vie préconisations les 27 et 28 juin.
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