Atouts et limites de la SCI
Par Delphine Pasquier, directrice de l’ingénierie patrimoniale financière et immobilière de Bred Banque Privée
La société civile immobilière présente de nombreux atouts pour organiser la gestion et la détention d’un patrimoine immobilier, qu’il soit familial ou non. Elle peut cependant présenter certaines contraintes qui, si elles ne sont pas parfaitement appréhendées, peuvent se révéler piégeuses.
La SCI est un formidable outil de gestion d’un patrimoine immobilier. De la simple gestion de la maison de famille à la création d’une véritable foncière, ses champs d’application s’avèrent vastes et variés. Relevant des articles 1845 et suivants du Code civil, les SCI, destinées à organiser et structurer un patrimoine immobilier, ont développé certaines spécificités propres, notamment grâce à la très grande liberté statutaire dont elles bénéficient.
L’objet de la société peut porter sur des biens patrimoniaux ou professionnels, tant que l’activité reste civile. Une SCI patrimoniale pourra avoir été constituée pour la détention d’un bien immobilier de jouissance (résidence principale ou secondaire) ou un patrimoine immobilier de rapport. Si, le plus souvent, la SCI est constituée entre personnes de la même famille, c’est également un outil fréquemment utilisé pour développer un patrimoine immobilier de rapport en commun, que celui-ci soit purement locatif ou professionnel affecté à une exploitation commune.
Selon la situation, les règles de gestion et les précautions à prendre vont différer, mais toutes auront vocation à sortir des règles contraignantes de l’indivision. La définition et la répartition des pouvoirs relèvent des statuts qui laissent d’immenses possibilités organisationnelles, permettant de répondre à toutes les problématiques rencontrées : gestion d’un patrimoine d’un mineur, associé sous un régime de protection…
La SCI familiale
Les règles de gestion adoptées dans le cadre d’une SCI permettent de répondre aux problématiques spécifiques liées à l’intégration d’un ou plusieurs enfants mineurs, voire d’un majeur placé sous un régime de protection. Constituer une SCI avec un enfant mineur ou un majeur sous tutelle est possible, à condition que le mineur soit représenté ou d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles le cas échéant.
Une fois constituée, la SCI pourra intervenir en conformité avec son objet social, y compris pour souscrire un emprunt, sans avoir à recourir à l’intervention d’un juge des tutelles(1), sauf refinancement d’un actif préexistant qui conduirait à accroître le risque sans création de valeur, tel que le refinancement d’un compte courant d’associé par exemple.
Toutefois, chaque associé ayant une responsabilité indéfinie sur son propre patrimoine au paiement des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, certaines précautions devront être prises.
Parmi celles-ci, une clause limitant la responsabilité des enfants mineurs ou majeurs incapables à leurs apports peut être insérée dans les statuts. Toutefois, une telle clause n’est valable que dans les rapports avec les associés, elle est donc inopposable aux tiers. Pour pallier cette difficulté, la souscription d’un emprunt devrait être envisagée uniquement dans le cadre de l’acquisition d’un bien immobilier de rapport.
Des leviers de protection complémentaires peuvent être actionnés, tels que la mise en place d’une assurance-décès du capital emprunté à 100 % sur la tête des associés majeurs, le cautionnement des associés majeurs à hauteur de la quote-part d’engagement détenue par les mineurs ou encore le fait que la banque pourra elle-même s’engager à exercer tout recours uniquement contre les associés majeurs.
La SCI entre tiers
La SCI est également un vecteur d’investissement en commun particulièrement intéressant lorsque les investisseurs sont liés par des intérêts en commun forts, sans qu’eux-mêmes ne soient de la même famille. Tel est notamment le cas en présence de couples/famille recomposés ou simples investisseurs associés. L’absence de liens de famille entre les différents associés rend plus probable les difficultés de gestion, voire les risques de conflits à plus long terme. La SCI permet de prévoir en amont des règles propres à pallier ces difficultés.
La cogérance offre la faculté à la fois d’équilibrer les pouvoirs des investisseurs, tout en garantissant la liberté d’action dans une certaine mesure par chacun d’eux. Si une différence d’âge notable existe entre eux, cette cogérance évite le risque de vacance propre à un décès non préparé. Il pourra également être prévu une clause de cessation automatique des fonctions du gérant en cas d’ouverture d’une mesure de protection sur sa tête, voire de désignation d’un gérant supplétif.
La clause d’agrément porte classiquement sur les cessions de parts à titre onéreux, mais peut être particulièrement utile en cas de transmission par décès (elle peut alors être couplée à la mise en place d’une assurance décès, voire d’un droit de préemption), mais aussi en matière de droit de donation.
Si la transmission par décès au profit des enfants est couramment admise sans agrément, le défaut de clause d’agrément général ouvre également le droit à la transmission au profit d’un conjoint survivant qui ne serait pas le même que celui en place au jour de la création de la société. L’impact serait d’autant plus préjudiciable selon les droits dont il hériterait et les pouvoirs qui en découleraient (en présence d’enfant(s) non commun, le conjoint hérite d’un quart de la succession en pleine propriété, en présence d’enfants communs ou d’une donation au dernier vivant, il peut disposer de droits en usufruit).
Structurer, organiser et éviter l’indivision
La répartition des droits et pouvoirs s’avère primordiale pour éviter les difficultés futures. Parmi les points de vigilance, les conséquences d’un démembrement de propriété sur les parts ne sont pas à prendre à la légère.
En matière de droit de vote, à défaut de disposition statutaire contraire, le Code civil accorde à l’usufruitier le droit de vote portant uniquement sur l’affectation du résultat, toutes les autres décisions relevant des pouvoirs du nu-propriétaire(2). Une telle répartition pourrait s’avérer très préjudiciable pour les intérêts des usufruitiers, les nus-propriétaires étant alors en mesure de prendre des décisions de nature à ne gérer aucun résultat distribuable et privant, de ce fait, les usufruitiers de tout revenu.
Par dérogation, les statuts peuvent prévoir à l’extrême que l’intégralité des décisions soit prise par les usufruitiers, la jurisprudence a en effet validé ce principe, à condition que les nus-propriétaires soient convoqués aux assemblées et puissent participer aux délibérations.
La question de la répartition du droit de vote entre usufruitiers et nus-propriétaires est particulièrement sensible et doit anticiper la majorité future et donc l’exercice de leur droit de vote par des nus-propriétaires mineurs au jour de la donation.
La grande liberté statutaire permet d’imaginer des solutions très souples telles que l’attribution de plusieurs droits de vote par part sociale qui seraient répartis différemment entre usufruitier et nu-propriétaire selon chaque décision.
Il est donc tout à fait possible de dissocier le pouvoir de la propriété.
Une définition des pouvoirs à périmètre variable
La SCI offre la possibilité de quantifier librement les pouvoirs entre les mains de ses gérants. Dans ses relations avec les associés, le gérant peut réaliser tous les actes de gestion commandés par l’intérêt de la société, mais dans les rapports avec les tiers, ses pouvoirs sont limités : il n’engage la société qu’à condition que l’acte entre dans l’objet social(3) car chaque associé a une obligation illimitée aux dettes sociales. L’interprétation des actes entrant dans l’objet social n’est cependant pas chose aisée : si la chambre civile de la cour de cassation considère qu’une clause rédigée en termes larges n’offre pas la faculté au gérant de vendre un actif social(4), la chambre commerciale a adapté une position moins stricte(5). La prudence reste donc de mise, et une rédaction fine des statuts exigée. Le bon sens veut également qu’au moindre doute le gérant requière l’autorisation des associés.
Une gestion des droits financiers à rationaliser
Si le droit aux bénéfices réalisés semble relativement simple, il peut cependant entraîner quelques difficultés. A défaut de dispositions particulières, les associés se répartissent les bénéfices de la société à proportion de leur participation dans le capital social.
En premier lieu, il convient de garder en mémoire que c’est la personne associée au jour de la mise en distribution de dividendes qui a vocation à les percevoir, et non la personne qui était associée au jour de la réalisation des bénéfices(6). L’affectation du résultat de la société aurait donc des conséquences non négligeables si la société venait à être cédée ou les parts démembrées.
Ainsi, en présence de parts démembrées, la nature du bénéfice distribué va avoir un impact sur le bénéficiaire de la distribution. En cas de distribution de réserves, la jurisprudence prévoit, selon les cas, que celles-ci reviennent au nu-propriétaire (arrêts de la chambre commerciale), ou qu’elles appartiennent à l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit (position de la première chambre civile). Chacune de ces positions a un intérêt propre : transférer une perte de valeur de la SCI directement entre les mains des nus-propriétaires ou renforcer la protection des usufruitiers tout en garantissant – à terme – la préservation des intérêts des nus-propriétaires. Une autre particularité de la SCI est la faculté de prévoir une répartition des bénéfices dans des propositions différentes, sous réserve de ne pas priver totalement un associé de droits aux bénéfices ou de réduire ceux-ci à une masse insignifiante (clauses léonines).
A ce titre, il pourrait tout à fait être envisageable de prévoir une quote-part de droits aux bénéfices limitée durant les premières années pour des nouveaux associés, celle-ci étant rééquilibrée avec le temps. De telles dispositions peuvent être prises en cours de vie de la société et ne sont pas constitutives d’un abus de majorité, dès lors qu’elles n’ont pas pour unique but de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires(7). Cette difficulté sera évitée si cette clause est insérée dans les statuts lors de la création de la société.
Quand la SCI est cédée
La société civile immobilière est aisément transmissible, la cession réalisée (à titre gratuit ou à titre onéreux) peut porter sur tout ou partie des parts, évitant ainsi tout risque d’indivision (les parents prendront garde à constituer un capital social divisé en un nombre de parts transmissibles sans indivision en fonction du nombre d’héritiers ; en cas de modification de la structure familiale, il pourra être envisagé de procéder à une modification du capital social, augmentation, réduction de capital ou split).
La cession des parts interviendra le plus souvent à l’occasion d’une donation ou succession mais pourra également être réalisée au profit d’un tiers ou à l’occasion de la société d’un associé (divorce…).
Une bonne gestion de la société facilitera le suivi des implications financières, juridiques et fiscales d’une cession, et notamment son évaluation.
Rappelons que la transmission des parts n’emporte pas transmission du compte-courant d’associé.
Quand la SCI détient un actif immobilier de jouissance financé par emprunt, l’absence de revenus permettant de rembourser la dette conduira à la construction mécanique compte-courant d’associé, dont la valeur à terme sera équivalente a minima au coût total de l’emprunt (capital + intérêts).
La transmission d’une telle société par des parents au profit de leurs enfants sera réalisée sur une valeur réduite du passif existant (qui se retrouvera à défaut de donation complémentaire, taxé à l’occasion de l’ouverture de la succession des usufruitiers détenteurs du compte-courant).
Quand la comptabilité a des implications financières et fiscales
L’impact de la bonne tenue d’une comptabilité sera tout aussi important en cas de divorce ou de cession à un tiers, y compris lorsque la SCI détient un actif immobilier de rapport.
En cas d’acquisition d’un bien immobilier locatif, le compte-courant d’associé pourrait sembler prendre moins d’importance, les loyers encaissés couvrant tout ou partie des échéances de prêts, mais le régime fiscal de la société, notamment lorsque celle-ci est soumise à l’impôt sur les revenus, aura des implications non négligeables.
En matière de revenus fonciers, le résultat imposable est rarement représentatif de la trésorerie disponible : d’un point de vue fiscal, seuls les intérêts étant déductibles des loyers, un revenu foncier positif est dégagé, alors que la trésorerie liée est nulle. S’il est décidé en clôture d’exercice de le distribuer, à défaut de trésorerie il viendra majorer le compte-courant des associés. A défaut de distribution, il pourra être affecté à un compte de report à nouveau ou mis en réserves, mais entraînera systématiquement une imposition entre les mains des associés.
En pratique, plusieurs jurisprudences se sont succédé(8) afin d’éviter aux associés, en cas de cession de leurs parts, qu’ils ne subissent une double taxation en ayant déjà payé de l’impôt sur des revenus qu’ils n’ont pas perçus. Ainsi, le prix d’acquisition des parts doit être retraité afin de prendre en compte cette fiscalité subie et éviter ainsi que la plus-value réalisée ne comprenne des revenus déjà taxés. Le prix de revient des parts est majoré des bénéfices imposés et des pertes comblées par les associés, puis minoré des déficits déduits et des bénéfices répartis.
Ces retraitements conduisent le plus souvent à réduire le montant de la plus-value imposable, mais ne sont pas, pour autant, aisés à mettre en œuvre compte tenu de la diversité des situations présentées.
Notons également que pour l’acquéreur, la répartition du prix d’acquisition entre valeur des titres et compte-courant d’associés aura un impact sur le montant des droits d’enregistrement dus uniquement sur la valeur des parts.
Enfin, comme tout patrimoine immobilier, les parts de société civile immobilière sont susceptibles d’être soumises à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Au titre de cet impôt récent, certaines dettes ne doivent pas être prises en compte pour déterminer la valeur taxable des parts.
Ainsi, les dettes qui résulteraient de la cession à soi-même ou de compte-courant d’associés sont, sauf exception, non déductibles(9). En pratique, le compte-courant issu des apports réalisés pour rembourser un prêt bancaire est déductible quand le compte-courant constitué pour acquérir un bien immobilier sans dette ne l’est plus, cette règle de non-déductibilité étant non applicable aux comptes courants existants avant l’entrée en vigueur de la loi (1er janvier 2018).
Souplesse d'utilisation
La SCI est un outil dont la souplesse d’utilisation est extrêmement intéressante dans la construction d’une stratégie patrimoniale. De ces multiples possibilités découlent de nombreuses conséquences financières et fiscales ; il est donc primordial d’envisager au préalable la manière dont devra être organisée la gestion de chaque situation afin d’éviter tout risque de crise et préserver les intérêts de chacun.
1. Cass. 3e civ., 28 septembre 2005(8), arrêt Quemener, CE 16 février 2000, n° 133296, arrêt Baradé CE 8e et 3e ss-sect., 9 mars 2005.
2. Article 1844 alinéa 3 du Code civil.
3. Article 1849 al. 1.
4. Cass 3e civ., 6 septembre 2011, n° 10-21.815.
5. Cass. com., 26 février 2008 : JurisData n° 2008-042949.
6. Cass. com, 26 novembre 2006, n° 04-17.486.
7. Cass 3e civ., 18 avril 2019, n° 18-11.881.
8. Arrêt Quemener, CE, 16 février 2000, n° 133296, arrêt Baradé, CE 8e et 3e ss-sect., 9 mars 2005.
9. Article 973 du Code général des impôts, dettes contractées auprès du redevable ou un membre de son foyer fiscal, sauf s’il justifie que le prêt n’a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal. Dette contractée auprès d’un membre du cercle familial du membre du foyer fiscal, sauf si le contribuable justifie du caractère normal des conditions du prêt.
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