La distribution des unités de compte et les juges
Par Lætitia Llaurens, avocat au Barreau de Paris (cabinet Lex Patrimonis), membre de la Chambre internationale arbitrale de Paris
La distribution de l’assurance, en particulier celle de l’assurance-vie, serait à l’aube d’une nouvelle ère où désormais le client serait au centre des préoccupations et l’approche « produit » totalement abandonnée. Cette révolution annoncée n’est-elle la réalité ? Devant les tribunaux, la réponse est tranchée.
La protection des clients doit être au centre des préoccupations. La jurisprudence récente donne, en effet, aux professionnels de l’assurance les clés pour accroître la performance de leur démarche clientèle en cohérence avec les évolutions réglementaires…
Le juge judiciaire précède l’évolution réglementaire
Il suffit en effet d’ouvrir une revue professionnelle, de consulter un blog ou de participer à une conférence pour entendre dire que la protection de la clientèle en assurance, et en particulier en assurance-vie, est entrée dans une ère nouvelle. Les causes en seraient multiples : la création d’un droit de la consommation en assurance sous l’impulsion de la législation européenne, le durcissement de la politique des autorités de contrôle, l’exposition accrue du risque d’image et de réputation, des clients aux exigences renforcées…
Une nouvelle ère s’ouvre devant nous. Cette révolution annoncée ne serait-elle pas plutôt l’aboutissement d’une évolution dont les conclusions opérationnelles existaient déjà en germes dans le rapport de Jacques Delmas-Marsalet du 22 novembre 2005. Le juge, lui, n’a pas attendu ce mouvement consumériste pour s’emparer de la thématique de la protection du consommateur.
La jurisprudence des cours d’appel françaises et de la Cour de cassation des quatre premiers mois de l’année 2019 illustre le rôle du juge dans la protection des souscripteurs d’assurance-vie en unités de compte, et tout particulièrement leur vision des obligations des professionnels de l’assurance dans la distribution de cette typologie de produits. De riches enseignements pratiques peuvent être tirés des décisions rendues à un moment où la teneur de l’information et du conseil à fournir aux clients est à nouveau au centre des discussions de la profession.
Les actions judiciaires en responsabilité civile engagées contre les professionnels ne manquent pas, même si pendant longtemps leur nombre s’est trouvé limité par le contentieux en matière de renonciation. La souplesse antérieure du juge permettait en effet d’obtenir relativement facilement l’indemnisation d’une perte financière en se fondant sur un écart entre les documents reçus et la lettre des exigences du Code des assurances. Ce que certains ont par le passé appelé le « droit du renard » a vécu, et le risque de litiges consuméristes en matière de contrats en unités de compte s’est accru dans un marché où la quasi-totalité des réseaux de distribution (y compris mutualistes) s’engouffre sur ce segment. Cet article s’arrête sur les principales questions de droit tranchées depuis le début de l’année 2019 pour mettre l’accent sur les attentes du juge à l’égard des professionnels de l’assurance en matière de protection des épargnants.
La responsabilité civile des distributeurs d’assurance peut-elle être recherchée sans limitation de durée ?
La Cour de cassation et les juridictions d’appel parlent sur cette question d’une seule voix et répondent par la négative. Le 19 mars dernier par exemple, la première chambre civile de la Cour d’appel de Lyon (RG 17/02913) rappelait : « L’action engagée contre un assureur à raison du manquement à son obligation d’information et de conseil ne dérive pas du contrat d’assurance-vie ».
La prescription biennale de l’article L. 114-2 du Code des assurances n’est en conséquence pas applicable. Le Code de commerce prend le relais. Les clients des assureurs ont donc cinq ans pour agir en justice.Le point de départ de ce délai de cinq ans est soit la date de réalisation du dommage, soit la date à laquelle la victime en a eu conscience.
En matière d’unités de compte, les juges retiennent le plus souvent la date où apparaît la dévalorisation des contrats. Par exemple, la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi retenu, dans trois arrêts du 16 janvier 2019 (pourvois n° 17-21.220, 17-21.222 et 17-21.223), comme point de départ du délai de prescription la date de remboursement d’un prêt in fine, destiné à alimenter partiellement un contrat d’assurance en unités de compte. La haute juridiction estime, en effet, que ce n’est qu’à cette date que l’épargnant va pouvoir savoir s’il subit ou non une perte financière en fonction de l’évolution du contrat.
Le professionnel a des obligations légales, mais également jurisprudentielles
Dans ses articles L. 132-27-1 ou L. 520-1, le Code des assurances met à la charge des professionnels de l’assurance une obligation d’information et de conseil, mais n’évoque jamais la notion de mise en garde. L’obligation de mise en garde est une création prétorienne. Intermédiaire entre l’information et le conseil, elle impose au professionnel d’alerter le souscripteur profane sur les risques liés à un investissement en unités de compte. Cette création des tribunaux découle des dispositions applicables aux articles L. 321-1 et L. 531-1 du Code monétaire et financier. Par exemple, la sixième chambre de la Cour d’appel de Paris, pôle 5, dans un arrêt du 16 janvier 2019 (RG n° 17/08348), a précisé que le courtier d’assurance-vie est, en sa qualité de prestataire de services d’investissement, redevable à l’égard des souscripteurs de contrats en unités de compte d’une obligation d’information sur les produits, d’une obligation de conseil adaptée à leur situation personnelle et à leurs attentes et d’une obligation de mise en garde.
Pourquoi un tel raisonnement ? La Cour d’appel de Grenoble, dans une décision de sa deuxième chambre civile du 19 mars 2019 (RG 16/00552), précise cette analyse. Les contrats d’assurance-vie en unités de compte sont pour les magistrats fondés sur des placements financiers. Les dispositions du Code monétaire et financier sont applicables aux placements financiers sans distinction, et donc à ceux inclus dans des contrats d’assurance-vie. Or, le Code monétaire et financier prévoit une obligation de mise en garde du profane en matière financière. La solution est en conséquence transposable aux contrats d’assurance-vie.
Une obligation d’information à deux étages
Dans une décision de sa première chambre, en date du 8 janvier 2019 (RG n° 17/01431), la Cour d’appel de Chambéry met l’accent sur un point important. Le Code des assurances impose aux professionnels, la remise de documents d’information édictés par le Code des assurances (article L. 132-5-1 et suivants). La sanction du non-respect de cette obligation est la faculté offerte à l’épargnant d’exercer sa faculté de renonciation. Cela ne dispense pas le professionnel de l’assurance de son obligation générale d’information précontractuelle susceptible de donner lieu à des dommages et intérêts.
Cette information doit être personnalisée et gare au professionnel qui ne saura pas conserver la preuve que cette information a été communiquée.
Obligations d’information et de conseil
L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 6 mars 2019 (pourvoi n° 17-14-261) illustre ce principe général. Dans ce dossier, il est reproché à une banque, intervenue en tant que distributeur d’un produit d’assurance-vie, de ne pas avoir informé le souscripteur du contrat des risques et caractéristiques des supports financiers en unités de compte.
Le professionnel démontre qu’il a rempli cette obligation d’information légale en remettant les documents et le récépissé de remise des documents entre les mains du juge.
Dans un arrêt de sa deuxième chambre du 19 mars 2019 (RG 16/00552), la Cour d’appel de Grenoble souligne que cette preuve ne peut cependant résulter d’une clause prérédigée dans un document qui n’est pas dans l’écrit par lequel le client accepte le contrat en application de l’article R. 132-1 du Code de la consommation.
Elle précise, de plus, que la mention classique figurant habituellement sur les bulletins de souscription des contrats d’assurance-vie apporte la preuve de la remise des documents exigée par la loi, mais pas d’une information personnalisée transmise aux clients en adéquation avec leur profil d’investisseur profane.
Cette jurisprudence se développe et les distributeurs d’assurance-vie doivent prendre garde à tracer l’information spécifique donnée dans le support durable par lequel ils tracent leurs recommandations, selon les dispositions prévues en matière de conseil de niveau 2 dans la directive sur la distribution d’assurance.
Le préjudice indemnisable
A raison du contentieux pléthorique en matière de défaut d’information à la souscription pendant dix ans, nul n’ignore la sanction du défaut d’information lors de la conclusion d’un contrat d’assurance-vie. A noter que l’exercice de la faculté de renonciation n’empêche pas, en parallèle, la recherche de la responsabilité civile de l’assureur si un préjudice indépendant peut-être mis en avant, notamment la perte de chance de bénéficier d’un avantage fiscal.
Un arrêt de la sixième chambre de la Cour d’appel de Paris du 16 janvier 2019 (RG 17/08348) rappelle ainsi à tous, si cela était encore nécessaire, que l’obligation d’information à la charge du distributeur d’assurance perdure au cours du contrat d’assurance-vie.
Dans ce dossier, elle sanctionne un courtier qui, préalablement à un arbitrage, présente à ses clients un document d’information financier non mis à jour laissant croire qu’il s’agit d’un investissement sécuritaire alors que tel n’est plus le cas. La Cour précise que ce manque d’information doit être sanctionné au titre de la perte de chance de n’avoir pu effectuer un investissement différent, mais rejette la demande d’indemnisation formulée car les clients n’ont apporté aucune preuve du préjudice allégué.
La loi, les autorités de contrôle et les juges parlent d’une seule et même voix
Ces décisions récentes font écho aux évolutions réglementaires, notamment la directive sur la distribution d’assurance qui rapproche la formalisation de l’obligation d’information et de conseil en assurance-vie de celle connue en matière financière. De la même façon, le juge attend que la protection offerte au souscripteur d’un contrat d’assurance-vie en unités de compte soit de même qualité que celle accordée à l’investisseur financier qui achète des titres en direct. Comme le règlement Priip’s, le juge d’appel et de cassation français estime que l’information et le conseil donnés aux investisseurs de détail doivent assurer une protection de même niveau, quel que soit le produit proposé.
Par le passé, le juge a par ses exigences souvent anticipé les évolutions réglementaires, mais cela ne l’empêchera pas demain, de se saisir de la nouvelle réglementation (Priip’s, DDA, RGPD, etc.) pour peaufiner ses raisonnements et imposer une définition du conseil en assurance.
Cette définition devrait être, demain, un atout supplémentaire à disposition des professionnels pour valoriser leur mission aux yeux de leurs clients et faire mieux accepter la facturation sous forme d’honoraires.
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