Le numérique accélère sa transformation
Par Sylvie Sejournet et Stanislas Effront, gérants chez Pictet AM du fonds Pictet Digital
L’année 2020 a été très favorableaux entreprises du numérique et ce, avec « l’aide » de la Covid. Cette situation si particulière a permis une progression du digital dans de nombreux secteurs. La transformation accélérée de nos modes de consommation et de travail amorcée l’année dernière fera-t-elle une pause avec l’arrivée des vaccins ? Pas sûr.
A notre avis, la crise sanitaire de 2020 n’aura été qu’un accélérateur d’une transformation numérique longue et profonde. Selon toutes les projections, un retour à la normale n’inversera pas la consommation des services numériques.Du logiciel collaboratif d’entreprise à la téléconsultation, en passant par le e-commerce et autres paiements en ligne, nombreux sont ces nouveaux usages qui vont devenir la nouvelle norme.
L’e-sante, un secteur en plein boum
La démocratisation de l’e-santé illustre parfaitement la transition numérique. Un marché dont les recettes devraient être multipliées par six d’ici 2026, passant ainsi de 110 à près de 640 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de 28,5 %. Rien qu’aux Etats-Unis, quelque neuf cents millions de consultations ont été réalisées en vidéo en 2020, en hausse de 64 % par rapport à 2019, selon le groupe de recherche Frost and Sullivan. La télémédecine post-pandémie sera sensiblement amenée à se développer. L’approche numérique du patient va également se développer. 20 % des activités de santé peuvent aujourd’hui techniquement être virtualisées. Investir dans l’e-santé, c’est aussi contribuer à l’apport de soins à moindres coûts et à une approche plus préventive des patients.
La génération Z hyperconnectee
La génération Z est celle des « natifs du numérique ». Exposée depuis toujours à Internet et aux réseaux sociaux, elle est souvent qualifiée d’hyperconnectée. Avec cette génération, les métiers du digital profitent d’une base massive d’utilisateurs estimée à 2,7 milliards de personnes soit environ un tiers de la population mondiale maîtrisant avec facilité les nouvelles technologies du quotidien. Une puissance économique de taille qui serait à l’origine d’à peu près 140 % de croissance économique sur les cinq prochaines années.
Aux Etats-Unis, on estime que 45 % des adolescents sont connectés en ligne accélérant ainsi davantage les tendances amorcées par la Covid. Cette génération est présente à près de 90 % dans les pays émergents et plus précisément en Asie où un tiers d’entre eux bénéficient d’un meilleur pouvoir d’achat.
Une génération qui ne cesse de changer les codes, notamment ceux du divertissement. La majorité de cette génération, plus précisément 60 %, visionne des compétitions d’e-sport, telles que le championnat du monde de League of Legends, dont la finale a rassemblé 3,9 millions de spectateurs à distance.
On sous-estime encore les chiffres d’une telle masse de consommateurs. Cette génération qui arrive sur le marché du travail constituera une importante part de marché pour les entreprises du numérique.
D’ici 2030, le montant total de leur revenu aura été multiplié par cinq pour atteindre 33 000 milliards de dollars [28 117 milliards d’euros, ndlr], soit 27 % des revenus mondiaux.
L’industrie du jeu vidéo en pleine mutation
L’industrie du jeu vidéo est en plein essor. Elle a généré 120 milliards de dollars de recettes en 2019 et devrait croître de 9 % par an pour atteindre 200 milliards en 2025. Les F2P ou Free-to-Play se démarquent en captant 80 % des revenus de 2019.
L’Asie se démarque, là aussi, en étant à l’origine de l’édition de huit jeux vidéo du top 10 en termes de ventes. Les jeux sur mobiles ont également la cote. On estime que les recettes atteindront les 115 milliards en 2025, soit 60 % des revenus totaux de l’industrie du jeu vidéo.
La 5G, le carburant de la transition numérique
Le déploiement des réseaux 5G donnera un coup de fouet à la transition numérique. Les vitesses de connexions seront multipliées par dix et le temps de latence sera fortement réduit. Elle devient nécessaire avec la croissance exponentielle de volumes de données à traiter rapidement (Internet des objets, jeux en ligne, etc.).
La demande numérique liée au confinement a exercé une forte pression sur les capacités existantes, une raison supplémentaire pour accélérer le déploiement de la 5G. Elle a déjà commencé sa percée aux Etats-Unis, en Chine, en Corée et désormais en France.
La 5G, en alimentant l’expansion de l’Internet des objets, ouvrira ainsi un large panel d’utilisation. Les applications sont quasiment sans limites : domotique, agriculture, chaînes de fabrication, compteurs intelligents, jouets…En ville, par exemple, cela pourrait se traduire par l’affichage des places de stationnement libres, par l’envoi aux voitures autonomes de données en temps réel sur leur environnement direct ou encore par des avertissements sur la qualité de l’air locale et bien plus encore.
L’intelligence artificielle, le cerveau de l’affaire
Plus nous avançons dans la transition numérique et plus nous disposons de données. Celles-ci vont permettre à leur tour d’améliorer l’expérience utilisateur et les processus. L’intelligence artificielle va occuper une place croissante dans notre quotidien, avec des services numériques qui s’appuient sur des algorithmes sophistiqués et performants.
FinTechs, paiements en ligne, e-santé, réalité augmentée, logiciels collaboratifs… Il existe une multitude d’applications de l’intelligence artificielle et celles-ci ne cessent de croître. Une perspective non négligeable surtout dans des domaines, tels que la recherche médicale. Le marché de l’IA, qui représentait déjà 7 milliards de dollars en 2018, serait amené à croître pour atteindre les 120 milliards de dollars en 2025, Hardware et Software as a Service (logiciels loués, hébergés dans le Cloud) compris, soit une croissance annuelle de 50 % sur dix ans.
Plusieurs segments en particulier seront amenés à croître et constituer une source importante de revenus : la reconnaissance vocale et la fonction « dictée » de nos smartphones, la médecine prédictive, la reconnaissance faciale, les recommandations interactives, les platesformes de machine learning et l’amélioration des API (assistant personnel intelligent), les plus connus étant Google Home et Amazon Alexa.
Le Cloud, l’ossature du digital
Le Cloud Computing, ou informatique en nuage, désigne l’accès à des services informatiques externalisés (stockage, logiciels collaboratifs, etc.) sur des serveurs distants sécurisés via Internet.
On peut schématiquement distinguer trois types de services hébergés dans le Cloud : les logiciels (Software as a Service), les espaces pour développeurs (Platform as a Service) et enfin les mises à disposition d’infrastructures (Infrastructure as a service).
La crise de la Covid aurait probablement eu un impact encore plus dévastateur sur l’économie sans les infrastructures informatiques et en particulier le Cloud. Le mouvement soudain et généralisé de migration vers le télétravail n’aurait pas été possible si d’importants investissements n’avaient déjà été réalisés. Ces investissements ont maintenant le potentiel de transformer la manière de fonctionner de nombreuses activités. Le consultant Global Data prévoit que le chiffre d’affaires du Cloud pèsera 661 milliards de dollars en 2024, compte tenu d’une croissance de 19 % par an entre 2019 et 2024. Les dépenses en logiciels Saas devraient atteindre 100 milliards de dollars en 2024, les CPaaS (Communication Platform as a Service) devraient représenter 120 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024, soit une croissance annuelle de 20 % entre 2020 et 2024.
Parmi les entreprises considérées comme centre de données « hyperscale » (capables d’évoluer en fonction des volumes), celles avec les plus importantes parts de marché sont AWS, Microsoft et Google. AWS domine nettement le marché (il héberge des sites tels que Netflix et Pinterest).
L’automatisation des processus de production s’appuie de plus en plus sur des solutions construites grâce au Cloud. Ces solutions sont utilisées pour exécuter des tâches ou des processus récurrents dans une entreprise où l’effort manuel peut être remplacé. Le but est de minimiser les coûts, d’accroître l’efficacité et d’optimiser la production. Kinaxis, par exemple, opère dans un secteur en pleine croissance. Cette société produit des logiciels de planification des ventes et de gestion de la chaîne d’approvisionnement.
L’utilisation de CAO (conception assistée par ordinateur) reliée au Cloud s’accélère grâce à leur facilité d’utilisation et la possibilité de travailler en collaboration. Les logiciels de CAO hébergés sur le Cloud devraient progresser de 30 à 40 % chaque année et capter 20 % de part de marché en cinq ans.
Un bilan positif pour la planète
Dématérialisation et virtualisation des activités : grâce au numérique, nous utilisons dorénavant moins de supports papiers, moins de CD, de DVD. Plus besoin non plus de logiciels très gourmands hébergés localement, leur utilisation est optimisée dans le Cloud. L’économie de partage pour une meilleure utilisation des biens : les plates-formes numériques de partage de logement, de voiture ou de services optimisent l’usage des actifs existants. La production de biens pourra ainsi être réduite ce qui est positif pour les ressources de la planète.
Le télétravail au service du bien-être individuel : moins de transports, moins de locaux et d’infrastructure à construire, de temps perdu et de stress, tout cela est possible grâce aux outils numériques généralisés par la crise sanitaire.
L’information pour une société plus responsable : les réseaux sociaux et le Web mettent à disposition une information gratuite au plus grand nombre. La plupart des sujets d’ordres sociaux ou écologiques sont dorénavant connus de tous. Chaque individu peut dorénavant mieux juger de l’impact de sa consommation sur la planète et la société et corriger le tir si nécessaire.
Démocratisation de la santé par le digital : plus près du patient, davantage préventive et moins coûteuse, la santé a tout à gagner de l’intégration du numérique.
L’éducation et la formation au meilleur coût : accès au plus grand nombre, sessions interactives avec les enseignants, test en ligne, la formation se déploie et gagne en efficacité pour un coût par individu formé toujours plus bas.
Des perspectives d’investissement toujours très favorables
Dans le domaine de la santé, nous aimons particulièrement Teladoc, leader des services de télémédecine, qui donne l’accès à plus de trois mille médecins couvrant quatre-cent-cinquante spécialités. La plate-forme Teladoc est très efficace, avec des temps moyens d’attente inférieurs à dix minutes. La croissance des revenus attendue pour cette année est de 80 %.
Tencent est en pole position pour bénéficier de la croissance rapide des jeux en ligne en Chine. Sa part de marché de 54 % continue de progresser. A long terme, Tencent profitera de sa très large clientèle pour proposer des nouveaux services, financiers par exemple.
Baidu, grâce à sa taille, devrait rester en tête du marché de l’intelligence artificielle en Chine, malgré l’arrivée de concurrents comme Bytedance. Son emprise et les volumes de données traitées lui permettent de fournir des résultats toujours plus pertinents. Sa future cotation sur le marché de Hong Kong lui donnera des fonds supplémentaires, a priori 3 milliards de dollars, pour investir dans des technologies et accélérer la vente de services d’intelligence artificielle.
Dans le domaine des logiciels hébergés dans le Cloud, nous préférons Workday. La société vend des applications pour les entreprises : ressources humaines, gestion, paie, finance ou même formation. Les revenus de Workday sont en hausse, années après années avec un chiffre d’affaires en progression de 50 % tous les ans. Avec l’acquisition de Peakon, la société renforcera encore sa domination sur le marché des logiciels de gestion RH.
Parmi les acteurs de la 5G, T-Mobile se démarque. C’est l’un des plus importants opérateurs américains, avec plus de 102 millions d’abonnés. Son réseau 5G procure un excellent compromis entre vitesse et bande passante. Il desservira 200 millions de personnes à la fin de l’année et plus de 250 millions en 2022.
La marge de progression de l’écosystème digital reste intacte
La pénétration mondiale d’Internet va s’accélérer, elle n’est que de 63 % aujourd’hui. L’utilisation de smartphones (42 % des téléphones mobiles en 2021) va s’intensifier notamment avec la généralisation des paiements électroniques. La migration des dépenses vers la publicité en ligne (57 % en 2021), ainsi que vers le commerce en ligne (19,5 % en 2021), va s’accélérer.
Les logiciels interactifs vont continuer de se déployer de plus en plus vite dans les entreprises, car ils se révèlent plus rentables que les modèles informatiques traditionnels. Enfin, la technologie Blockchain représente, selon nous, un réel avantage concurrentiel pour assurer une montée en puissance massive des services numériques.
La transformation numérique est puissante, elle apportera des produits et des services plus conviviaux, plus économiques et qui incluent davantage de fonctions issues de l’intelligence artificielle.
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