Disruption : toujours aussi révolutionnaire ?
Par Mario Petrachi, directeur distribution externe France de BNP Paribas Asset Management
Les perspectives à moyen/long terme de cette thématique sont porteuses. Tour d’horizon des atouts de ce secteur de croissance structurelle, de ses évolutions et de son intérêt pour les investisseurs en actions.
Le mot « disruption » est sur toutes les lèvres. Mais pour quelles raisons ? Sans doute parce qu’il comporte la promesse de révolutions, tant dans nos modes de vie que dans l’économie et sur les marchés. Le terme mérite, tout d’abord, d’être précisément défini.
Le professeur d’Harvard Business School, Clayton Christensen, est à l’origine du concept d’innovation de rupture (« disruptive innovation »), qu’il a développé dans son livre « The Innovator’s Dilemma », publié en 1997. Il y définit la « disruption » comme les innovations technologiques à l’origine du développement d’un nouveau produit ou service. Mais surtout, il catégorise ces innovations comme celles qui ont le potentiel de bouleverser en profondeur un, voire plusieurs, secteurs d’activité en permettant l’adoption de nouveaux modèles économiques. Ces innovations peuvent même aller jusqu’à influer différents aspects, tels que les habitudes de consommation, les façons d’épargner, de se déplacer, de se soigner…
A ce titre, on peut considérer qu’un certain nombre d’inventions de la fin du XIXe siècle, qui se sont plus largement diffusées au XXe siècle, tenaient déjà de la disruption (chemin de fer, électricité, automobile, radio…).
Situation actuelle et perspectives d’évolution
Pour illustrer ce concept de disruption, les exemples de Netflix ou Amazon viennent naturellement à l’esprit. En effet, ces sociétés emblématiques ont profondément changé les règles du jeu au sein de leurs secteurs d’activité.
Ainsi, Netflix a radicalement modifié notre façon de consommer des films et plus globalement, l’entreprise a révolutionné les fondamentaux mêmes de l’industrie du cinéma et du divertissement. Il y a encore quelques années, le modèle du streaming illimité par abonnement était difficile à concevoir, mais Netflix a su profiter des progrès technologiques pour réinventer sa proposition de valeur et rendre ainsi les modèles économiques des anciens concurrents obsolètes. Un autre exemple plus ancien et que chacun a expérimenté, est celui de la photo numérique, également qualifiable d’innovation de rupture, puisqu’elle a bouleversé à la fois le secteur de la photographie, de l’image, mais également celui des médias, de l’édition et, par extension, celui du secteur des télécoms notamment.
Afin de repérer ces technologies de rupture, il est utile d’identifier les tendances structurelles de long terme, à la fois dans les entreprises et dans les modes de vie, et plus précisément les modes de consommation. Autrement dit, il s’agit d’identifier les thèmes émergents et les innovations majeures qui ont le potentiel de bouleverser les pratiques des consommateurs, les méthodes de production et plus globalement les modèles économiques des entreprises qui les mettent en œuvre.
Certains de ces thèmes importants sont, par exemple, le cloud computing, la robotique, l’automatisation, l’Internet of Things (IoT) ou encore l’intelligence artificielle.
Par exemple, le cloud computing, ou informatique en nuage, permet d’utiliser des services informatiques sur Internet. Ces derniers portent aussi bien sur les infrastructures (serveur, archivage et mise en réseau) que les logiciels. Le cloud permet de facturer les services informatiques sur la base de la consommation, ce qui permet d’abaisser les coûts et d’améliorer l’efficacité des entreprises. C’est ainsi que le cloud a pu favoriser le développement de nouveaux modèles économiques appelés « Software as a Service » (SaaS), permettant aux entreprises d’exploiter un logiciel, sans que celui-ci ne soit installé sur le matériel de l’utilisateur, mais plutôt sur des serveurs distants.
Ainsi les entreprises clientes ne paient pas de licence d’utilisation, mais utilisent le service en ligne en s’acquittant d’un abonnement basé sur leur utilisation du logiciel.
Les progrès de ces technologies innovantes créent de nouveaux modèles économiques complètement inédits qui ont le potentiel de changer les règles du jeu au sein de certains secteurs sur le long terme. Le domaine de l’IoT en est une autre illustration. Prenons l’exemple de la société Dexcom. Créée il y a moins de vingt ans, cette entreprise possède aujourd’hui une capitalisation boursière de plus de 11 milliards d’euros. Dexcom a pu se développer à un rythme très soutenu en construisant sa proposition de valeur autour des objets connectés permettant ainsi d’améliorer le quotidien des personnes souffrant de diabète, grâce à un outil de mesure continue du niveau de glucose dans le sang.
Traditionnellement et selon la définition de Christensen, ce concept de disruption est plutôt l’apanage de jeunes sociétés, capables de rentrer en compétition avec les acteurs établis d’un marché, grâce aux nouvelles applications développées sur la base de ces technologies innovantes.
Impact pour les investisseurs
Il est toutefois intéressant d’appréhender ces technologies de rupture dans un sens plus large. En effet, ces dernières années, les sociétés avec les plus importants taux de croissance étaient parallèlement les sociétés aux plus grandes capitalisations boursières, telles que Google, Apple ou encore Amazon. Le phénomène inédit des GAFA démontre que la disruption peut venir de partout, même de sociétés de taille très importante déjà bien établies. Ainsi, lorsqu’Amazon a acquis Whole Foods en juin 2017, les cours de Bourse des sociétés de distribution, telles qu’Ahold Delhaize, ont été fortement impactés. Avec cette acquisition, les investisseurs avaient d’ores et déjà compris que le potentiel de rupture de certaines innovations ne se limitait pas à un seul secteur. Cet exemple est assez emblématique puisqu’il illustre concrètement comment l’acquisition d’un distributeur par une entreprise dont l’activité initiale de vente en ligne de livres peut directement impacter les autres acteurs de la distribution. Le réel potentiel de disruption et l’impact des innovations à l’œuvre aujourd’hui proviennent d’autres secteurs que celui de la technologie. Les applications technologiques développées dans les secteurs de l’industrie, de la santé, de la finance ou encore de la consommation courante sont multiples et variées.
Au vu de ces éléments, il est important d’examiner en quoi ces concepts peuvent impacter la sélection de titres et, plus globalement, l’orientation de l’épargne des investisseurs. En effet, une approche plus holistique, examinant les synergies potentielles de ces différentes innovations, devrait permettre aux investisseurs de mieux appréhender les tendances nouvelles possédant un réel pouvoir de disruption. Cette vue d’ensemble est essentielle pour permettre aux investisseurs de mieux identifier les tendances de long terme et l’impact potentiel sur les acteurs établis.
Parmi ces tendances, l’exemple évoqué précédemment du cloud computing montre bien de quelle manière l’émergence d’une nouvelle technologie innovante favorise l’apparition de nouveaux modèles économiques sur le long terme, avec les modèles basés sur le SaaS. C’est pourquoi il est utile de considérer ces tendances émergentes comme des technologies « fondatrices » permettant le développement des prochaines innovations.
Finalement, une approche plus systémique, détaillant les interactions entre les différentes technologies « fondatrices » de rupture, devrait permettre aux investisseurs d’identifier les meilleures opportunités pour l’avenir, tout autant que les sociétés qui risquent de ne pas survivre à ces innovations. Le potentiel de disruption d’une technologie ne dépendra pas seulement de son caractère innovant, mais également de ses applications actuelles et futures.
Plus qu’un secteur ou une mode, le concept de disruption permet de garder à l’esprit le potentiel de bouleversement de certaines technologies au sein de divers secteurs d’activité, leurs applications potentielles dans l’économie, leurs capacités à faire émerger de nouveaux modèles économiques complètement inédits.
Mais pour autant, les technologies de rupture sont-elles toujours aussi révolutionnaires ? Certainement, mais le point crucial est de prendre conscience de leur capacité à bouleverser les règles du jeu d’un nombre de secteurs économiques grandissant, et de manière transversale.
De plus, il est important d’identifier comment les éventuelles synergies des technologies innovantes d’aujourd’hui, seront probablement à l’origine du développement des technologies de rupture de demain.
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