Fonds euros : les barrières à l’entrée doivent être mentionnées

Par : edicom

Par Jean-Charles Naimi

Au dernier trimestre 2019, bon nombre d’assureurs ont imposé des restrictions sur l’accès de leurs fonds en euros en cas de nouveaux versements et d’arbitrages sur des contrats d’assurance-vie déjà ouverts. Même si cette politique peut se justifier au regard de la situation économique et de la solvabilité des compagnies, il n’en demeure pas moins que des règles doivent être respectées au niveau contractuel.

Poussés par l’extrême faiblesse des taux d’intérêt à long terme et leur passage en zone négative dans le courant de l’été précédent, plusieurs assureurs ont décidé de freiner la collecte sur leurs fonds en euros en imposant une part incompressible d’investissements sur les supports en unités de compte (UC). Tous les assureurs n’ont pas adopté cette politique de restriction, mais ils étaient quasiment inaudibles.

Vigie de la solvabilité des assureurs, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, elle-même, encouragé cette réorientation sur les supports plus risqués en soulignant que dans le contexte de taux, le coût des garanties de sécurité et de liquidités attachées aux fonds en euros était devenu prohibitif, compte tenu d’une collecte qui restait très forte sur ce type de supports, et que les assureurs n’avaient pas d’autre choix que de progressivement faire évoluer et diversifier leur offre produit (1).

Pour mémoire, cette situation dangereuse avait été anticipée par le législateur dès 2016. « Le fonds en euros n’est pas un placement sans risque pour les assurés. Pour preuve, afin de prévenir les retraits massifs, en cas de forte hausse des taux longs, mettant en péril les compagnies, la loi Sapin II a prévu, sous conditions, des mécanismes permettant de limiter de façon temporaire les rachats ou les arbitrages », rappelle Philippe Baillot, enseignant à l’université Paris 1.

Des limites au fonds en euros prévues au contrat

Reste que le remède de la loi Sapin II serait pire que le mal. C’est une des raisons pour lesquelles « les assureurs s’engagent rarement sur des conditions non modifiables concernant les versements futurs dans la mesure où par nature, les contrats d’assurance vie, sont des produits de long terme. Dans la majorité des cas, des mentions sont prévues dans les contrats pour permettre d’adapter les souscriptions et les versements à venir aux conditions du moment », explique-t-on à la Fédération française de l’assurance.

Dit autrement, les mentions permettant de restreindre la part investie sur un fonds, en l’occurrence le fonds en euros, doivent être prévues contractuellement à un moment ou à un autre pour être opposables aux assurés. Plusieurs assureurs ont appliqué la règle en bâtissant des contrats leur permettant de réagir en toute liberté si la situation se dégradait pour eux.

Prenons le cas, par exemple, du contrat myPGA d’Ageas ; celui-ci mentionne bien que le fonds en euros ne pourra pas représenter plus de 70 % des provisions mathématiques du contrat. « Sans cette précaution, il n’est pas possible d’interdire à un assuré d’investir la totalité de son épargne sur un fonds en euros que cela soit par versements ou par arbitrages après le délai mentionné au contrat », expliquait Alain Régnault, directeur général de la compagnie dans le magazine Investissement Conseils d’avril 2020 (n° 830).

Toujours à titre d’exemple, le contrat Digital Vie de Suravenir, contrat individuel disponible chez le courtier en ligne Altaprofits, prévoit dans ses conditions générales du mois de février 2019 que la compagnie se réserve la possibilité de restreindre ou de supprimer la possibilité d’investir (par arbitrage et/ou par versement initial ou complémentaire) sur un ou des fonds en euros existants. La restriction est aussi prévue pour les cas de versements programmés.

D’autres contrats comportant plusieurs fonds en euros sont « plus souples » en stipulant que les assurés doivent limiter leurs versements sur certains d’entre eux seulement. D’autres encore, ont pris la précaution de limiter l’accès par versements ou par arbitrage sur leur fonds eurocroissance, mais sans poser de limites sur le fonds en euros classique.

Respecter les conditions contractuelles

Si certains contrats en cours sont « en règle », d’autres en revanche peuvent poser problème, dans la mesure où aucune mention relative à une limite de versement sur le fonds en euros n’apparaît pas, à tout le moins clairement. Au-delà de la question des versements sur les anciens contrats se pose aussi celle des arbitrages. Comment instaurer des barrières à l’entrée sur le fonds en euros, sans que le contrat ne prévoie une telle possibilité, s’interrogent alors bon nombre de conseillers ? « Lorsque certains assureurs ont décidé d’interdire 100 % des versements sur le fonds en euros, beaucoup de conseillers en gestion de patrimoine se sont émus de cette politique qui n’allait pas forcément dans le sens de l’intérêt du client ou qui n’était pas conforme à leurs aspirations », relève Olivier Rozenfeld, le président du groupe Fidroit.

« Imposer aux assurés un refus d’investissement sur le fonds en euros, même partiel, est abusif, dès lors que cette faculté n’est pas prévue au contrat. Cette politique est d’autant plus désolante que les assureurs ont prouvé qu’ils étaient de bons gestionnaires des fonds en euros », répond Jean Aulagnier, président d’honneur de l’Aurep.

Guillaume Prache, président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (Faider), apporte les compléments suivants : « nous avons distingué deux cas de figure, celui des versements sur un ancien contrat et celui de la souscription d’un nouveau contrat. Dans la première hypothèse, notre lecture est que la restriction doit être prévue ou qu’elle doit être insérée dans le cadre d’une modification des conditions générales du contrat qui doit-elle même s’effectuer dans le cadre de l’assemblée générale. Pour le moment, nous n’avons pas eu connaissance de ce type de demandes de la part des partenaires assureurs de nos associations adhérentes. Dans le cas de la souscription d’un nouveau contrat, la donne est plus complexe. Nos assureurs ont appliqué des restrictions en imposant un minimum d’unités de compte. A ce niveau, nous disposons de peu d’arguments juridiques pour les refuser ».

Fin 2019, la Faider avait, dans un communiqué, demandé aux assureurs de respecter les dispositions contractuelles en vigueur.

Comment changer les règles du jeu ?

Les assureurs auraient tort de prendre des risques, d’autant que la loi leur est suffisamment favorable, dans les contrats groupes ouverts, qui leur donnent une belle marge de manœuvre. Il suffit alors de respecter le formalisme. Les distributeurs, de leur côté, ont tout intérêt à être vigilants sur les conseils donnés et à bien étudier les conditions générales des contrats. « L’interdiction d’investir ou d’arbitrer la totalité de son épargne sur le fonds en euros doit être prévue par le contrat. Si tel n’est pas le cas, il s’agit d’une modification substantielle du contrat d’assurance », explique Hélène Feron-Poloni, avocate associée du cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni.

« Dans les contrats individuels, cette limite doit être expressément approuvée par l’assuré, si elle ne figurait pas au moment de la souscription, et formalisée par un avenant au contrat. Dans les contrats collectifs, il convient de se référer aux conditions générales du contrat au moment de l’adhésion. Cette modification doit être instituée d’un commun accord avec le souscripteur. Pour les contrats associatifs, elle ne peut résulter que d’une décision de l’assemblée générale. Dans les deux cas, elle doit être formalisée par un avenant conclu entre l’association et la compagnie d’assurances et elle doit être notifiée à l’assuré trois mois avant l’entrée en vigueur de la modification ce qui laisse le temps à l’assuré de gérer son contrat au mieux de ses intérêts eu égard à cette modification qui, au bout du compte, s’imposera à lui », complète l’avocate.

Devoir de conseil

A fin 2019, la communication visant à restreindre l’accès aux fonds en euros a payé pour les contrats d’assurance-vie, puisque la proportion des UC dans la collecte en décembre (près de 41 %) a pratiquement doublé par rapport au mois de janvier (près de 23 %) en janvier. Ce regain d’intérêt pour les placements plus risqués a, semble-t-il, inquiété le régulateur qui est intervenu par deux fois pour inviter les épargnants à la vigilance sur la présentation des offres relatives aux UC et en rappelant aux professionnels que l’assurance-vie est un produit de long terme dont les caractéristiques doivent être clairement expliquées aux clients (2).

Car au-delà de la problématique contractuelle, c’est bien sur le terrain du devoir de conseil que les principales difficultés pourront se rencontrer. « Même si fin 2019, le contexte de baisse des rendements sur les fonds en euros plaidait en faveur d’un renforcement des unités de compte dans les allocations d’actifs, la chute des marchés financiers qui est intervenue juste après a montré que certains clients n’étaient pas capables, une fois de plus, de supporter une perte temporaire importante en capital. Cela ramène à la question, sur quel horizon temporel le client est-il prêt à reporter le couple rendement-risque ? », conclut Olivier Rozenfeld.

1. Conférence de l’ACPR, Paris, le 4 décembre 2019

2. Communiqués de presse du 30 janvier 2020 et du 10 mars 2020

 

Ce que dit le Code des assurances

Article L. 141-4 : le souscripteur du contrat d’assurance de groupe à adhésion facultative (hors assurance-emprunteur) doit informer par écrit les adhérents des modifications apportées à leurs droits et obligations, trois mois au minimum avant la date prévue de leur entrée en vigueur. La preuve de la remise de la notice et de l’information relative aux modifications contractuelles lui incombe. L’adhérent peut alors dénoncer son adhésion.

Article L. 141-7 du Code des assurances : dans les contrats d’assurance-vie de groupe à adhésion facultative, les adhérents disposent d’un droit de vote à l’assemblée générale, cette dernière ayant seule qualité pour autoriser la modification des dispositions essentielles du contrat.

  • Mise à jour le : 13/05/2020

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