Jean-Marc Peter (Sofidy) : « les crises sont aussi des opportunités »
En pleine crise du Covid-19, la société de gestion se distingue par des choix stratégiques assumés. Notamment la décision de stopper les investissements qui étaient en cours, dans l’attente de conditions d’achat plus attractives. Entretien avec Jean-Marc Peter, directeur général de Sofidy.
Comment vous êtes-vous adaptés chez Sofidy à la crise du Covid-19 ?
Jean-Marc Peter : Nous sommes en télétravail à 95 % et cela se passe très bien. Nous sentions que le pays s’acheminait vers le confinement et nous avons pris le temps d’équiper tous ceux qui ne l’étaient pas en matériel nomade. Deux ou trois personnes viennent tous les jours dans les locaux, dans le respect des consignes sanitaires, pour relever le courrier, recevoir les demandes de souscription, de retrait, etc.
Avez-vous pu investir la collecte de fin 2019 ?
Chez Sofidy, nous avons fait le choix de la prudence ; c’est-à-dire de stopper les investissements qui étaient en cours. Outre des investissements déjà réalisés de 100 millions d’euros depuis le début de l’année, nous avions pourtant un ambitieux pipeline sécurisé de 500 millions d’euros au 15 mars. Mais nous avons décidé de ne garder que 100 millions d’euros encore sous promesse. Nous pensons en effet que, post-crise du Covid-19, il y aura plus de vendeurs, moins d’acheteurs, et qu’il sera donc possible d’investir l’épargne de nos clients dans de meilleures conditions. Les crises sont problématiques, mais elles sont aussi l’occasion d’opportunités. Nous avons cette expérience avec Immorente qui a vécu la crise de la fin des années 1990, 2000, et celle de 2008, après lesquelles il y a eu des fenêtres de tir de plusieurs mois à saisir.
C’est donc un choix stratégique que peu d’autres acteurs ont adopté. Et cette position singulière ne se prend pas si facilement, car nos équipes avaient beaucoup travaillé pour constituer le pipeline. Mais cette décision n’aura pas de réel impact sur la rentabilité de nos SCPI. Le phénomène de dilution reste marginal au regard du poids que représentent Immorente et Efimmo. Bien sûr, il ne faudra pas tarder à réinvestir. Mais nous estimons qu’il est plus intéressant et prudent pour nos épargnants de voir les deals se décaler de quelques mois, si cela permet des acquisitions à meilleur prix par la suite.
Quelle est votre analyse de la situation concernant les SCPI ?
Il y a actuellement une agitation médiatique frénétique, avec des lobbys qui s’expriment beaucoup, car nous sommes dans l’œil du cyclone. Il faut prendre du recul. Nous pensons que les commerces et les bureaux retrouveront toute leur activité et utilité économique lorsque la pandémie cessera. C’est un choc ponctuel, qui n’affecte qu’une partie de l’immobilier. Il concerne les commerces – mais pas tous puisque l’alimentaire connaît même une hausse –, ainsi que le tourisme et les loisirs.
Quelle est votre politique vis-à-vis de vos locataires et des loyers qu’ils versent ?
Le gouvernement a rédigé des décrets et des ordonnances qui autorisent les petits commerçants fermés à reporter leur loyer. Mais pas à les annuler. Il y a parallèlement une pression du gouvernement pour que les associations de bailleurs s’engagent à annuler ces mêmes loyers plutôt que de les reporter. Mais notre association s’est engagée à appeler ses membres à le faire, sans toutefois les y contraindre. Nous ne pratiquons donc pas l’annulation automatique des loyers. C’est très important pour les associés de nos SCPI qui, pour la plupart, ont besoin de ces revenus complémentaires pour leur retraite notamment. Nous procédons au cas par cas pour accompagner nos locataires, en reportant les loyers ou en les aménageant le temps qu’ils puissent retrouver une activité normale. Il est dans l’intérêt de la SCPI et de nos épargnants de garder nos locataires en place, c’est primordial. Rappelons enfin que ces décalages ne concerneront qu’une partie des locataires, sur une partie seulement du loyer annuel.
Si toutefois la reprise tardait, avez-vous envisagé des scénarios plus pessimistes ?
Sofidy est l’une des sociétés qui sont allées le plus loin dans la modélisation d’un scénario de stress-tests. Nous avons donc par prudence – et ça ne reflète pas le réalité du terrain – établi un scénario dégradé assez pessimiste sur 2020 et 2021 pour Immorente et Efimmo, de façon à vérifier nos capacités de résistance. Ce scénario retient une perte de deux mois de loyer sur tous les commerces fermés administrativement et de 25% de tous les autres loyers au deuxième trimestre. Il intègre ensuite une perte généralisée de 5 % sur tous les autres loyers, ainsi qu’un temps plus long pour la reprise des investissements (et donc un impact dilutif). Dans ce scenario pessimiste, nous constatons que nous pourrons distribuer, en 2021, 90 % du dividende de 2019. Pour 2020, le résultat serait légèrement moins bon qu’en 2021, avec une dégradation atteignant 20 %. Toutefois dans ce cas, nous utiliserions une partie des reports à nouveau, afin que le dividende 2020 ne soit que de 10 % inférieur à celui de 2019. Dans ce scénario pessimiste – la réalité pouvant être plus favorable –, les dividendes de 2020 et 2021 pour les deux SCPI refléteraient une baisse de seulement de 10 % par rapport à ceux de 2019.
Mais ce n’est pas le scénario que nous privilégions. Les Français ne consomment pas et épargnent beaucoup en cette période de confinement. Sans aller jusqu’à un effet revanche, il y aura forcement une reprise de la consommation au moment du déconfinement ; beaucoup d’achats n’ont été que reportés. Chaque actif immobilier va retrouver progressivement son utilité économique. Et l’immobilier est le rouage essentiel de l’activité du pays. Nous constatons d’ailleurs un retour fracassant des commerces de proximité que cette crise met d’autant mieux en évidence. Dans ce contexte, l’alimentaire voit son chiffre d’affaires augmenter de 10 %. Nous ne sommes donc pas en train de vivre un changement fondamental dans la perception que les Français ont de l’immobilier.
Que constatez-vous actuellement en termes de collecte et de retraits ?
Nous avons fait un très bon premier trimestre 2020, avec beaucoup de collecte. Depuis le 15 mars, elle a baissé de moitié, et conserve donc un bon niveau de résistance. Parallèlement nous ne constatons pas d’accélération des retraits, qui restent d’ailleurs toujours très inférieurs à la collecte, ce qui garantit une bonne liquidité pour ceux qui veulent sortir.
Les épargnants ont-ils intérêt à souscrire actuellement des SCPI ?
Le particulier qui a de l’épargne disponible dispose de différentes possibilités : le livret A, les fonds euros de l’assurance-vie, les actions – bien que la Bourse soit très volatile en ce moment – et bien sûr l’immobilier, un actif tangible, qui protège de l’inflation… Or il n’est pas exclu que cette dernière puisse revenir pour aider les gouvernements à rembourser les dettes significatives qu’ils sont en train de contracter. L’investisseur n’achète pas des SCPI par hasard. Il le fait pour préparer sa retraite, pour se constituer un patrimoine … Peu importe la conjoncture : cela ne change rien d’investir avant ou après la crise du Covid-19. Il n’y a donc pas de raison de retarder son achat, au contraire, puisque nous continuons à distribuer du rendement. Celui qui investit dans l’immobilier ne le fait pas pour spéculer. La SCPI est un outil de très long terme qui coiffe les cycles immobiliers, en synthétisant une performance globale de l’immobilier à tous les moments des cycles. S’agissant de la collecte de Sofidy, elle sera sans doute investie de manière optimale grâce au choix stratégique que nous avons fait en début de confinement. Nous nous repositionnons déjà pour recommencer à investir avec des conditions attractives dans les heures ou les jours qui viennent. Cela promet des discussions intéressantes pour accorder les positions encore « pré-Covid-19 » des vendeurs à celles déjà « post-Covid » des acquéreurs, et nous avons hâte de nous y mettre !
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