Partenaires de Pacs : faut-il que rien ne change pour que tout change ?

Par : edicom

Par Pascal Pineau, dirigeant de AF2P (Atelier Formation Pascal Pineau)

Les cinéphiles avertis auront évidemment remarqué le détournement d’une réplique tirée d’un célèbre film, Le Guépard, de Visconti, qu’opère ce titre. Il s’agit de saisir le prétexte d’une réponse ministérielle (RM Dumont, JOAN du 21 mars 2023, n° 4844) pour réveiller enfin ceux qui, par méconnaissance, désintérêt ou indécision, exposent potentiellement la personne qu’ils aiment à de sérieux désagréments. Que nous apprend cette réponse ? Rien que l’on ne sache déjà. Et pourtant…

Si sœur Anne ne voit rien venir, c’est que la situation n’évolue pas, et n’a pas vocation d’ailleurs à le faire. Ainsi «le ministère de la Justice n’envisage-t-il pas d’évolution du droit en l’état». A l’Est, rien de nouveau, donc, et il faut savoir – enfin, pour certains – en tirer les conséquences.

Pour s’en convaincre, rien de tel que d’organiser un match entre partenaire et conjoint. Le résultat, sans équivoque, convaincra, nous l’espérons, ceux qui se bercent encore d’illusion comme ceux qui tergiversent à n’en plus finir. Enchaînons les rounds et voyons à quel point la lutte est inégale.

 

Partenaire versus conjoint, round 1 : deux réalités distinctes et validées

Après la création du Pacs, le Conseil d’Etat a rapidement été amené à expliquer que le principe d’égalité «ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un comme dans l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit» ; il a précisé que «la loi du 15novembre 1999 (...) ne peut être interprétée comme assimilant de manière générale les partenaires liés par un pacte civil de solidarité aux personnes mariées» (CE, 28 juin 2002, n° 220361).

Ainsi, «les conjoints étant, en l’état de la législation française, les personnes unies par les liens du mariage», les dispositions en faveur du conjoint «ne s’étendent pas aux personnes vivant maritalement et ne peuvent être invoquées par le partenaire d’un pacte civil de solidarité» (en ce sens, Cass. 2e civ., 5 mars 2008, n° 08-60.230). Le Conseil constitutionnel, prenant position à propos de la délivrance d’une carte de séjour, a tranché dans le même sens (Cons. const., 22 mai 2013, n° 2013-312 QPC).

Voilà nos adversaires présentés. Maintenant qu’il n’est plus possible de les confondre, passons à leurs droits sociaux, en matière de réversion.

 

Partenaire versus conjoint, round 2 : quand la retraite tourne à la déroute

Bis repetita en matière sociale : le Conseil constitutionnel constate que «le législateur a (...) défini trois régimes de vie de couple qui soumettent les personnes à des droits et obligations différents», avant d’affirmer que «la différence de traitement quant au bénéfice de la pension de réversion, réservée aux couples mariés à l’exclusion des couples qui vivent en concubinage ou sont unis par un pacte civil de solidarité, ne méconnaît pas le principe d’égalité» (Cons. const., 29 juillet 2011, n° 2011-155 QPC).

Dans la même veine, pour la Cour de cassation, le Code de la sécurité sociale, «en réservant au conjoint survivant la possibilité d’obtenir une pension du chef du conjoint décédé, (...) tirait les conséquences d’un statut civil spécifiquement défini par le législateur» ; en conséquence, «la différence de situation entre les personnes mariées et les autres quant aux droits sociaux reposait sur un critère objectif» (Cass. 2e civ., 23 janvier 2014, n° 13-11.362).

Cette distinction est reconnue et respectée également au niveau européen puisque «le mariage demeure une institution largement reconnue comme conférant un statut particulier à ceux qui s’y engagent». La différence de traitement avec les autres couples «poursuit un but légitime et s’appuie sur une justification objective et raisonnable, à savoir la protection de la famille traditionnelle fondée sur les liens du mariage» (CEDH, 20 janvier 2009, n° 3976/05, Şerife Yiğit c. Turquie, à propos du refus de laisser une femme mariée religieusement bénéficier des droits de santé et pension de retraite de son compagnon décédé).

Oui au conjoint, non au partenaire, la réponse est claire. Mais même lorsque nos larrons semblent alignés, côté partenaire, le compte n’y est toujours pas et la fragilité inhérente à sa situation demeure.

 

Partenaireversus conjoint, round 3 : une année au conditionnel

Le conjoint survivant dispose de plein droit, pendant l’année qui suit le décès, de la jouissance gratuite de la résidence principale (C. civ., article 763). Les droits ainsi offerts sont regardés comme des «effets directs du mariage et non droits successoraux» (C. civ., article 763, al. 3) et ils s’imposent par leur caractère «d’ordre public» (C. civ., article 763, al. 4).

Rien de tel pour le partenaire survivant, qui ne bénéficie en la matière que d’un renvoi incomplet aux dispositions prévues en faveur du conjoint : le droit existe mais ne jouit d’aucune protection (C. civ., article 515-6, al. 3). Un simple testament olographe peut donc, au cas particulier, le supprimer.

Tout cela sans oublier les circonstances susceptibles de priver l’un et l’autre de ces survivants du couple du droit en question (en ce sens, Cass. 1re civ., 23 septembre 2015, n° 14-18131, à propos d’un droit de retour prévu dans la donation de l’immeuble), mais également du droit viager s’agissant du conjoint, seul à pouvoir y prétendre.

Dans la même veine, notons enfin que l’attribution préférentielle de droit de l’habitation, toute naturelle pour le conjoint, ne joue en faveur du partenaire survivant que si le défunt l’a expressément prévu par testament (C. civ., article 515-6, al. 2). Un indice sur ce qu’il faut faire sans doute…

Pour ceux qui ne l’auraient pas compris encore, pour le partenaire survivant, il faut agir. Le testament est plus que nécessaire. Mais ici encore, la marge de manœuvre n’est pas la même…

 

Partenaire versus conjoint, round 4 : pale ordinaire face au special one

Face aux héritiers réservataires que sont les enfants, il subsiste une part du patrimoine qui peut être transmise librement. Les libéralités ainsi consenties, entre vifs ou à cause de mort, «ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant; le tiers, s’il laisse deux enfants; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre» (C. civ., article 913, al. 1er), à peine de réduction, cette dernière s’opérant à la demande du ou des titulaires de l’action, en principe en valeur – et donc sous forme d’indemnité.

Concubin, partenaire et conjoint peuvent-ils tous en profiter ? Oui, sans discrimination – si ce n’est fiscale pour le malheureux concubin survivant, taxé comme un étranger, donc à 60 %.

Mais un seul peut bénéficier d’un sort meilleur : c’est le conjoint, qui par exception a accès à la quotité disponible spéciale entre époux (C. civ., article 1094-1) et peut se voir offrir, en présence d’enfants, outre la quotité disponible ordinaire, soit la totalité de ses biens en usufruit, soit un quart de ses biens en propriété et les trois autres quarts en usufruit.

Protéger le partenaire, donc, par le truchement de la quotité disponible ordinaire. Mais qu’en est-il si la volonté de celui qui dispose est d’offrir la jouissance de certains biens, via l’usufruit notamment ? Là encore, le droit s’avère contrariant, certains privilèges restant délicats voire impossible à lui octroyer.

 

Partenaire versus conjoint, round 5 : un partenaire pas dans son assiette

Les modalités de réduction pour atteinte à la réserve applicables en particulier aux concubins et partenaires survivants ne sont guère favorables. Le principe de réduction en valeur, donc sous forme d’indemnité, ne doit pas occulter les modalités de détermination, au préalable, du dépassement justifiant la réduction.

Pour la Cour de cassation, «aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi» ; «il s’en déduit que les libéralités faites en usufruit s’imputent en assiette» (Cass. 1re civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215).

Dit autrement, si la valeur en propriété des biens sur lesquels porte l’usufruit dépasse la quotité disponible, la libéralité encourt la réduction (cf. illustration chiffrée ci-dessus).

Et cela sans oublier, le cas échéant, la possibilité offerte aux héritiers par l’article 917 du Code civil de troquer la propriété de la quotité disponible contre l’usufruit légué.

La solution retenue, en tout cas, met encore davantage en lumière le privilège qu’a le seul conjoint survivant en pouvant bénéficier, si le défunt l’a prévu, de l’usufruit sur la réserve des enfants.

Après ce tour d’horizon relatif à la protection du survivant, le doute n’est plus permis et l’évidence ne doit plus être davantage tenue à distance : l’exonération de droits de succession, sympathique arbre fiscal, certes, ne peut cacher la forêt des lacunes civiles et sociales que pour ceux qui le veulent bien. Objectivement, le constat est sans appel.

 

Une conclusion qui n’est pas nouvelle

Concubin, et même partenaire, sont au tapis. Il n’en reste qu’un, vainqueur par KO : le conjoint, le survivant le mieux loti et celui pour lequel il est possible de faire le plus, en qualité et quantité. Invitons simplement nos clients à en tirer les conséquences, dans le respect bien sûr de choix de conjugalité qui restent éminemment personnels.

Faisons nôtre, à cette occasion, la conclusion de la réponse ministérielle qui a servi de prétexte à ce modeste rappel : «les couples ont le libre de choix du statut qui leur convient et ils peuvent, en toute hypothèse, s’ils le désirent recourir aux outils juridiques qui sont à leur disposition. Aussi, le ministère de la Justice n’envisage-t-il pas d’évolution du droit en l’état».

A chacun donc de travailler au confort de l’autre lorsque lui-même ne sera plus là. Et terminons par un clin d’œil à la formule que les notaires servent souvent aux couples qui viennent les consulter en quête de protection : vivez comme vous voulez, mais mourez mariés !

Dernier round : après la fin…

Lucienne Chevaleyre, épouse Pineau, ma mère, s’en est allée. Je dédie cet article à sa mémoire. Je remercie vivement ceux qui, en ces pénibles circonstances, ont accompagné notre famille, et notamment les infirmières de l’hôpital d’Issoire. Je ne peux m’empêcher de penser que le conseil en gestion de patrimoine, lui aussi fait de technique et d’humanité, tient un rôle primordial dans l’accompagnement de ces moments délicats. Ne l’oublions jamais. Montrons-nous en dignes.

 

Illustration de l’imputation en assiette (Cass. 1re civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215)

Masse successorale : 383 000 €, dont un immeuble de 240 000 € ;

Usufruit légué sur cet immeuble : 144 000 € ;

Quotité disponible ordinaire (en présence d’un enfant unique) : 383 000/2 = 191 500 €.

Y a-t-il atteinte à la réserve ? Oui, dans la mesure où la valeur en propriété de l’immeuble, assiette de l’usufruit, dépasse la quotité disponible.

  • Mise à jour le : 03/07/2023

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