Transition énergétique : investir pour demain
Par Sandrine Cauvin, gérante actions chez Otea Capital
La crise sanitaire de la Covid-19 remet au cœur du débat la nécessité d’accélérer la transition énergétique afin de réduire les émissions de CO2 et leur impact sur l’environnement. De nombreux scientifiques s’accordent à dire que les épisodes épidémiques comme celui du coronavirus sont favorisés par le changement climatique. Agir pour la préservation de notre environnement, c’est se prémunir contre d’autres crises sanitaires, mais cela crée aussi des opportunités uniques pour les investisseurs sur de nombreux secteurs d’activité.
Avant l’épidémie de la Covid-19, nous avions déjà observé, ces dernières années, des phénomènes liés à l’environnement allant de la pollution de l’air à la diminution de la biodiversité, aux sécheresses, en passant par des maladies ou virus (H1N1, Zika, SRAS, etc.). Ces derniers ont mis l’accent sur la nécessité de faire des efforts pour lutter contre les risques environnementaux.
Parmi ceux-ci, le réchauffement climatique et la pollution de l’air sont déjà bien identifiés. La pollution atmosphérique, à elle seule, fait des dégâts considérables et serait, selon l’OMS, responsable de 8,8 millions de morts par an dans le monde, soit plus que le tabac, qui fait 7,2 millions de morts chaque année. Cette pollution est une « pandémie » selon certains chercheurs et elle est issue à 50 % de l’usage du charbon pour produire de l’électricité, 25 % des transports et 25 % de l’industrie et du BTP.
Se détourner des énergies fossiles
Alors que nous avons pu constater les avantages d’un air moins pollué, nous ne sommes actuellement pas sur la trajectoire qui respecterait les engagements de l’Accord de Paris. Il faudrait pour cela que les émissions de CO2 reculent de 2 à 3 % par an, alors qu’elles continuent d’augmenter d’environ 1 % par an. Nous sommes aujourd’hui sur une trajectoire d’augmentation de 3 à 4°C des températures à la fin du siècle, et il convient donc de corriger cela en accroissant les investissements dans la transition énergétique (énergies renouvelables, etc.).
Dans un monde post-Covid, l’Union européenne a évoqué une « reprise verte » pour l’économie européenne après la crise. Dans ce contexte, la présidente Ursula von der Leyen a suggéré que l’agenda du « Green Deal » (dont l’objectif est d’avoir 85 % de la production d’électricité de sources renouvelables en 2050) serait utilisé pour accompagner le redémarrage de l’économie.
Dans ce contexte, la banque Goldman Sachs estime à 2600 milliards d’euros, d’ici 2050, les besoins d’investissements dans les énergies renouvelables, les réseaux et le stockage. D’ici la fin de la décennie, cela impliquerait une augmentation de 35 à 50 % des investissements dans les énergies renouvelables des entreprises que nous considérons comme les principaux « champions du climat », et pourrait augmenter les bénéfices de 20 à 30 % environ (par rapport à 2019). Parmi ces champions identifiés, nous pouvons citer Orsted, Kingspan ou encore Iberdrola.
La dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles est responsable de la majorité des émissions de CO2 au niveau mondial. Charbon, pétrole et gaz naturel sont les trois principales sources d’énergie de nos économies depuis des décennies, ils ont tout influencé de la conception de nos intérieurs, de nos villes, des transports, à la façon dont nous produisons nos produits alimentaires et nos biens de consommation. La transition énergétique nécessite que l’activité économique se détourne des énergies fossiles.
Pour se détourner des énergies fossiles, il faudra mobiliser trois leviers : électrifier au maximum les usages, décarboner la production d’électricité et améliorer l’efficacité énergétique.
Electrifier au maximum les usages
L’électrification des usages est une des solutions nécessaires afin de limiter dans le futur à la fois les émissions de CO2 et la pollution. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à augmenter la part de l’électricité dans la demande finale :
- dans les bâtiments, le développement des pompes à chaleur en remplacement des chaudières à mazout ou à gaz sur les marchés, comme la Chine, l’Amérique du Nord ou l’Europe, et le développement d’utilisations spécifiques (équipements, technologies de l’information et numérisation) ;
- dans l’industrie, le développement de la robotisation, de la numérisation, des procédés électriques (par exemple, le four à arc électrique) ou des pompes à chaleur pour les basses températures ;
- dans les transports, le développement des véhicules électriques et l’électrification des transports publics (50 % du parc automobile mondial pourrait être électrique dans trente ans).
Décarboner la production d’électricité
Bien que les énergies renouvelables se développent rapidement dans la production d’électricité (26 % de la production mondiale d’électricité est basée actuellement sur les énergies renouvelables), le potentiel de croissance reste important.
Selon la dernière étude de Bloomberg New Energy Finance (BNEF), le solaire et l’éolien devraient avoir un taux de pénétration dans le mix de production d’électricité de 39 %, d’ici 2040, et de près de 50 %, d’ici 2050 (source IRENA), principalement en raison de la baisse des coûts qui s’expliquent notamment par la réduction du coût du matériel (au niveau du solaire et de l’éolien) et par des processus de production plus performants.
Malgré la persistance d’écarts au niveau régional, le coût des énergies renouvelables (cf. graphique page suivante) a considérablement baissé ces dernières années par rapport aux autres sources d’énergie, comme la production d’électricité à partir du charbon et les turbines à gaz à cycle combiné.
Le coût de l’énergie solaire et éolienne onshore est désormais inférieur au charbon et à celui des turbines à gaz. Les coûts de l’éolien offshore ont chuté de près de 30 % entre 2013 et 2018 et devraient continuer de baisser de l’ordre de 15 % d’ici 2022 selon l’IRENA. Ceux du solaire ont baissé de 85 % depuis 2010 selon Bloomberg et avec les progrès techniques, les cellules solaires réalisent des gains de production d’environ 10 % chaque année.
Si les énergies renouvelables dépendaient autrefois de subventions, ce n’est plus le cas actuellement. Aujourd’hui, quasiment toutes les décisions d’investissement dans une nouvelle centrale de production d’électricité éolienne sont basées sur des considérations économiques et non plus uniquement politiques ou réglementaires.
Les fournisseurs de services aux collectivités abandonnent les combustibles fossiles en faveur de sources renouvelables en raison de leur moindre coût. Face à des engagements pris en faveur du climat, les entreprises s’impliquent, elles aussi. Parmi les GAFAM, Amazon, Apple et Google négocient, par exemple, des accords avec des producteurs d’énergie renouvelable pour leur fourniture d’électricité et à des prix négociés directement à leurs centres de données et à leurs bureaux.
A tous les échelons, les énergies renouvelables sont désormais le choix économique des fournisseurs d’énergie, des gouvernements et des consommateurs, ce qui stimule les investissements dans ce secteur.
Le problème de l’intermittence reste présent, et il faut donc être capable de stocker massivement l’électricité produite à partir des renouvelables. Il y a beaucoup de recherche avec des idées différentes, mais pour l’instant les capacités de stockage restent limitées et le recours aux énergies renouvelables nécessite encore un back-up thermique (centrale au gaz naturel ou au charbon). Des investissements importants sont à prévoir dans le domaine du stockage et cela pourrait constituer également des opportunités à terme pour les investisseurs.
Un grand pétrolier, tel que Total, travaille sur de tels projets, le groupe a récemment lancé la construction d’un projet de stockage d’énergie par batteries à Mardyck, situé dans la zone portuaire de Dunkerque. Ce système de stockage lithium-ion qui sera le plus grand de France, disposera d’une capacité de stockage de 25 MW/h et d’une puissance de 25 MW.
Augmenter l’efficacité énergétique
L’efficacité énergétique est une des solutions pour, à la fois, endiguer les émissions de gaz à effet de serre et assurer toujours plus de services en consommant le moins possible d’énergie. Bien qu’il existe déjà des technologies permettant de réduire la consommation d’énergie, l’efficacité énergétique est l’un des domaines dans lequel des progrès peuvent encore être réalisés, notamment au niveau des secteurs du bâtiment, de l’industrie et du transport.
Alors que les bâtiments représentent 30 % de la consommation finale d’énergie, les approches écologiques sont une priorité absolue. Les réglementations actuelles sur les constructions neuves encouragent le développement de solutions permettant d’optimiser l’efficacité énergétique d’un bâtiment. Toutefois, des efforts supplémentaires sont nécessaires afin d’accélérer la rénovation des bâtiments anciens qui constituent encore l’essentiel des consommations. Les évolutions seront donc progressives car il faut du temps et des investissements pour renouveler totalement les parcs de logements.
Dans les transports (17 % de la consommation finale d’énergie), l’efficacité énergétique peut être améliorée grâce à des progrès techniques réalisés par les équipementiers, les chimistes et les pneumaticiens comme l’aérodynamisme, l’allégement des véhicules, la réduction de la résistance au roulement, la gestion des consommations d’énergie internes, etc. Les versions les plus avancées des véhicules hybrides permettent de récupérer l’énergie libérée lors des freinages afin d’alimenter le véhicule en électricité. La voiture tout électrique, concentre ses avancées sur des technologies de stockage de l’énergie plus sûres, plus économiques et plus durables. Les entreprises technologiques jouent un rôle déterminant dans la transformation du secteur de l’automobile.
Des opportunités d’investissement uniques dans différents secteurs
Pour les investisseurs, la transition énergétique et la recherche d’efficacité ouvrent la voie à des opportunités, non seulement pour les entreprises innovantes dans divers domaines liés aux énergies propres, comme les technologies de construction, la mobilité intelligente, l’électromobilité, la fabrication, les fournisseurs d’énergies propres, le stockage de l’énergie et les réseaux électriques intelligents, mais aussi pour les entreprises technologiques plus traditionnelles qui ont désormais de nouveaux marchés à conquérir.
Au niveau de la décarbonation de l’électricité, les fournisseurs et producteurs d’électricité disposant d’une expertise en matière d’énergies renouvelables sont bien positionnés pour profiter de cette tendance. Cela concerne de grandes utilities (Iberdrola) comme de petits producteurs d’électricité indépendants qui développent et gèrent des actifs renouvelables. Cela profite aussi à des entreprises, comme Orsted ou Vestas, qui participent à la production d’équipements d’énergie renouvelable, comme les éoliennes et les panneaux solaires. Orsted, société danoise, est le leader dans l’opération des parcs éoliens en mer.
Le raccordement de nouveaux projets renouvelables au réseau électrique crée des opportunités d’investissement pour les entreprises qui gèrent le système de transport d’électricité à grande échelle. Le besoin croissant de réseaux de transmission crée un nouveau besoin de câbles électriques et d’autres équipements, ce qui profite également à ces marchés. On peut citer Nexans en France et Prysmian en Italie, des sociétés qui produisent des câbles électriques sous-marins permettant d’acheminer l’électricité produite par les turbines éoliennes en mer jusqu’au centre de consommation à terre.
D’ici 2050, la distance couverte par les lignes électriques et les transformateurs au niveau mondial devra plus que doubler pour permettre la croissance des énergies renouvelables. Faute de quoi les parcs éoliens et solaires ne pourront être actifs car ils seront incapables de transmettre l’électricité qu’ils produisent au réseau.
Au niveau de l’électrification des usages, nous identifions deux grandes opportunités. La première se situe au niveau du besoin en nouvelles infrastructures électriques.
Nouvelles infrastructures électriques
Bien que ce ne soit pas le seul facteur, un ressort majeur sera la pénétration croissante des véhicules électriques, dont la part de marché pourrait atteindre plus de 60 %, d’ici 2050. La croissance du parc mondial de véhicules électriques devra s’accompagner d’une augmentation du nombre de bornes de recharge.
Selon la Commission européenne, si le rapport entre véhicules en circulation et points de recharge excède 10, les consommateurs commenceront à être dissuadés d’acheter une voiture électrique. Les profits potentiellement considérables liés à la fabrication, l’installation et l’exploitation de bornes de recharge ont déjà attiré différents acteurs, y compris des fournisseurs de services aux collectivités, des entreprises « pure player » et même de grandes compagnies pétrolières et gazières (Total, par exemple).
Croissance de la demande d’électricité
La deuxième opportunité se situe au niveau de la croissance de la demande d’électricité elle-même. En moyenne, un véhicule électrique consomme autant d’énergie par an qu’un foyer.
D’ici 2030, l’utilisation des véhicules électriques, à elle seule, pourrait accroître la demande d’électricité de près de 2 000 TWh, soit un chiffre trois fois supérieur à celui de la consommation annuelle de l’Allemagne. L’accroissement et la plus grande variabilité des charges électriques augmentent le risque de pannes de courant. Ce risque est particulièrement pertinent pour les pays dont le réseau est déjà vieillissant.
La fréquence et le coût des pannes de courant augmentent déjà alors que la transition énergétique ne fait que commencer. Pour garantir la gestion appropriée de la vaste demande d’électricité, l’ensemble du réseau de distribution (le système local qui relie les lignes électriques aux foyers) doit être remplacé et mis à niveau avec des technologies plus résistantes et plus intelligentes. Les opérateurs en charge de ces réseaux seront bien placés pour en bénéficier, de même que les entreprises qui fabriquent les équipements électriques essentiels (relais, transformateurs, etc.), comme ABB.
Enfin, du côté de l’efficacité énergétique, là encore, les opportunités sont nombreuses et variées. Dans les bâtiments (30 % de la consommation finale d’énergie), l’amélioration de l’efficacité, grâce aux ampoules basse consommation et à la meilleure isolation des logements, constitue une solution.
Les produits de Kingspan, société irlandaise, réduisent la consommation d’énergie, les émissions de carbone et les coûts d’exploitation des bâtiments. La société est devenue l’un des leaders mondiaux des panneaux isolants haute performance grâce à ses technologies exclusives dans les membranes pour toits plats et dans l’isolation industrielle. Elle bénéficie de l’urbanisation et des politiques de limitation des émissions de CO2.
Au niveau de l’industrie, l’efficacité énergétique est améliorée grâce à l’innovation technologique dans le secteur des semi-conducteurs et les progrès réalisés dans l’intelligence artificielle. On voit notamment l’émergence de logiciels de simulation très sophistiqués qui révolutionnent les méthodes de fabrication au sein des usines et permettent des gains d’énergie. Sur ce créneau, on peut citer Dassault Systèmes, en France, et Ansys, aux Etats-Unis.
De nécessaires innovations
En conclusion, nous sommes bien entrés dans une période de transition énergétique qui en est encore à ses débuts, mais qui devrait s’accélérer. L’innovation est au cœur de cette transition.
De nombreuses sociétés développent des produits ou services (voitures électriques, routes auto-éclairées, nouveaux matériaux pour l’isolation, robotique dans l’industrie, etc.) qui permettent de s’engager sur cette voie et de favoriser une meilleure efficacité énergétique. Nous pensons que toutes ces évolutions peuvent être jouées à travers différents investissements et qu’elles sont porteuses de croissance et de performance à long terme pour les investisseurs.
Vos réactions