Promouvoir les femmes grâce à l’investissement
Par Soliane Varlet, gérante actions chez Mirova
Les vingt dernières années ont été marquées par des progrès significatifs, ainsi que par une prise de conscience accrue de la nécessité de parvenir à l’égalité des sexes en tant que condition préalable à un développement durable. L’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030 par les Nations unies, dont l’un des objectifs est de « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » (ODD n° 5), est le signe que des progrès sont encore nécessaires.
Le lien entre l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi et la croissance économique fait désormais l’objet d’un consensus croissant. Selon les estimations, l’augmentation du nombre de femmes dans la population active pourrait entraîner une augmentation du PIB mondial de 5 300 milliards de dollars (+3,9 %) [4 330 milliards d’euros, ndlr], d’ici 2025. Pourtant, la progression des femmes dans les organisations se heurte bien souvent à un « plafond de verre » qui les empêche d’accéder aux postes à responsabilité les plus élevés dans la hiérarchie de leur entreprise. Aujourd’hui, le Forum économique mondial estime, par ailleurs, qu’au rythme de progression actuel, il faudra encore deux cent-cinquante-sept années pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail !
En tant qu’investisseurs, nous avons un rôle clé à jouer auprès des entreprises pour faire bouger les lignes !
L’égalité femmes-hommes dans le monde du travail : un sujet encore d’actualité ?
Les femmes sont aujourd’hui plus nombreuses que jamais à choisir de poursuivre des études supérieures et d’intégrer le marché du travail. Les taux d’inscription des femmes à l’université ne cessent d’augmenter, en particulier dans les régions développées, et les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes dans les programmes d’enseignement supérieur dans la plupart des pays.
Pourtant, malgré les progrès importants réalisés au cours des dernières décennies, les perspectives des femmes dans le monde du travail sont loin d’être égales à celles de leurs homologues masculins et les progrès actuels sont lents. Les inégalités persistent d’ailleurs aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés.
A ce jour, les femmes représentent près de 40 % de la main-d’œuvre mondiale, mais la population active compte seulement une femme sur deux en âge de travailler (contre 75 % des hommes en âge de travailler) et ce chiffre n’a quasiment pas évolué depuis une décennie. Cette disparité s’accentue sensiblement dans certaines zones géographiques.
Au-delà de l’accès à l’emploi, les femmes demeurent, dans le marché du travail, confrontées à des inégalités qualitatives : emploi moins rémunéré, précaire, travail à temps partiel. En effet, les femmes qui occupent un emploi à temps plein gagnent l’équivalent de 70 à 90 % du salaire des hommes dans la plupart des pays, tous secteurs et professions confondus.
Malgré de nombreuses initiatives prises dans les secteurs public et privé en faveur de l’égalité femmes-hommes, le plafond de verre est toujours intact. La représentation des femmes diminue considérablement vers le sommet de la hiérarchie des entreprises. En effet, selon les statistiques de l’Organisation internationale du travail, les femmes représentent environ 40 % de la main-d’œuvre mondiale, un chiffre qui tombe à 27 % pour les postes de management intermédiaire, et qui diminue encore davantage lorsqu’on regarde la situation des femmes occupant les fonctions de direction générale. Nos travaux de recherche, à partir des données de l’indice MSCI World, présentent des résultats comparables : en 2020, seules 15,5 % (13 % en 2018) des entreprises ont des femmes dans leurs comités exécutifs et 6 % (5 % en 2018) d’entre elles ont à leur tête des directrices générales.
Les conseils d’administration : un faux combat
Plusieurs pays européens (Norvège, Danemark, Finlande, France, etc.) ont pris une position politique ferme pour s’attaquer au problème en imposant des quotas de femmes au sein des conseils d’administration. Si ces politiques ont conduit à de réels changements, nous considérons que cette approche présente des limites.
Tout d’abord, les systèmes de quotas ne traitent pas le sujet de l’accompagnement des femmes dans la construction de trajectoires de carrières ambitieuses. La deuxième limite importante tient au rôle des conseils d’administration, qui ne gèrent pas l’entreprise. L’influence potentielle d’une féminisation du conseil sur le reste de l’organisation est réduite, de même que sa capacité à insuffler les changements nécessaires dans la culture de l’entreprise. En Norvège, où les quotas dans les conseils d’administration sont en vigueur depuis 2008, les études montrent que l’accès des femmes aux postes les plus élevés ne s’est pas nécessairement amélioré au cours de la dernière décennie.
Après avoir analysé la représentation des femmes dans les entreprises du MSCI World, nos données suggèrent qu’elles ne sont pas mieux représentées au sein des instances dirigeantes en Europe (où de nombreux pays ont adopté des quotas) qu’en Amérique du Nord (où ces quotas n’existent pas et où les femmes représentent en moyenne 23,5 % des membres aux conseils d’administration). Ainsi, en se focalisant uniquement sur les conseils d’administration, le risque est de se contenter de « cocher la case », sans prendre en compte la diversité des enjeux liés à l’égalité femmes-hommes.
A l’inverse, nous estimons que la représentation féminine à des postes de direction constitue un facteur clé en faveur d’une plus grande diversité dans les organisations et la meilleure preuve de l’engagement d’une entreprise en faveur de l’égalité des sexes. Le véritable défi étant de pouvoir garantir une progression de carrière permettant d’accéder aux postes de direction. De plus, afin de pouvoir fournir un vivier de talents équilibré entre les sexes pour la sélection de membres hautement qualifiés au sein du conseil d’administration, les femmes doivent également avoir accès à des postes de haute direction au préalable.
La féminisation des postes de direction peut également être un facteur clé permettant d’accroître la diversité au sein d’une entreprise. Par exemple, après avoir analysé la représentation féminine dans trois mille entreprises, l’Institut de recherche de Credit suisse a constaté que les femmes dirigeantes d’entreprise ont une probabilité plus élevée de 50 % d’embaucher une femme à la tête de la direction financière et de 55 % pour d’autres femmes à des postes de direction. Qui plus est, les entreprises dirigées par des femmes sont beaucoup plus nombreuses à avoir trois femmes ou plus au sein de leur conseil d’administration que les entreprises dirigées par des hommes.
Bien qu’il y ait encore relativement peu de femmes à la tête des entreprises, le nombre de femmes directrices financières est en augmentation, ce qui constitue un signe encourageant pour l’avenir.
Mixité et performance financière
De plus en plus, la sous-représentation des femmes, en particulier au sein des postes de direction, est considérée comme un problème, non seulement du point de vue de l’équité et de l’égalité, mais aussi parce qu’elle peut entraver les performances. Un grand nombre d’études a démontré que l’amélioration de la représentation féminine au sein des instances dirigeantes peut avoir des effets positifs dans de nombreux domaines qui contribuent à la performance opérationnelle et organisationnelle des entreprises tels que l’innovation, les ventes, la notoriété, l’éthique, la performance, les prix du marché, etc.
Les recherches portant spécifiquement sur la mixité montrent que la nomination de femmes à des postes de direction a un impact plus important que la nomination de femmes à des postes non exécutifs. Une étude menée par le Peterson Institute for International Economics et EY à partir d’un ensemble de données mondiales de près de vingt-deux mille entreprises a porté sur les effets de la mixité sur la performance. Alors que les résultats n’ont révélé aucune corrélation significative entre la présence de femmes au conseil d’administration et performance des entreprises, les chercheurs estiment que « la corrélation entre la proportion de femmes à des postes de direction et la rentabilité des entreprises est démontrée dans plusieurs cas et que son ampleur n’est pas négligeable ».
Sélectionner des sociétés sur la base de leur engagement en faveur de l’égalité femmes-hommes peut donc conduire à de meilleures décisions d’investissement, dans la mesure où l’excellence organisationnelle est un facteur clé de la performance globale de l’entreprise. Bien qu’il soit difficile de prouver un lien de causalité, des recherches approfondies ont révélé une forte corrélation entre l’avantage concurrentiel qui découle d’approches volontaristes en matière de mixité et les performances financières de l’entreprise. Cela se traduit, notamment, par :
- une meilleure rentabilité : McKinsey, en analysant trois cents entreprises à travers le monde, a constaté que les sociétés dont le pourcentage de femmes au sein de leurs comités exécutifs est le plus élevé génèrent une prime de 55 % dans les résultats d’exploitation. De même, une étude du Peterson Institute for International Economics a suggéré que la présence de 30 % de femmes à des postes de direction peut être associée à une augmentation de 1 % de la marge nette, soit l’équivalent de 15 % de la rentabilité ;
- un meilleur rendement : les « champions » de la mixité offrent une prime de 47 % en termes de retour sur capitaux propres, selon McKinsey, et 15 % additionnels de retour aux actionnaires, selon Credit suisse. Une étude comparable menée par Catalyst auprès de trois cent cinquante-trois sociétés du Fortune 500 présente une prime de 34 % sur la rentabilité totale pour l’actionnaire pour les entreprises les plus vertueuses en termes de promotion des femmes au sein des instances dirigeantes.
En bref, les progrès sur le plan de l’égalité femmes-hommes, en particulier au niveau de l’accès à des postes de direction, constituent un facteur de performance à la fois financière et sociale.
L’investissement pour promouvoir les femmes : une bonne action ?
Parce que la promotion des femmes en entreprise est à la fois un sujet de société et un sujet de performance, c’est un sujet auquel l’investissement responsable ne peut manquer de s’intéresser. En effet, il semble ici possible de proposer des stratégies permettant à la fois de se fixer des objectifs d’impact social, et de viser des rendements pour les investisseurs. C’est bien là la définition de l’investissement à impact.
Quelle approche adopter alors ? Selon nous, une approche combinant investissement et engagement sera la plus à même de faire progresser les choses.
Au niveau de l’investissement, nous pensons qu’une approche à la fois quantitative et qualitative est nécessaire, avec une attention particulière à porter au sujet de la représentation des femmes dans les comités de direction. Cette analyse combinée à une analyse financière, ainsi qu’une analyse ESG plus globale permettra de sélectionner des entreprises de qualité, contribuant activement à l’égalité femmes-hommes au travail. Elle permettra aussi, d’après les recherches mentionnées plus haut, de contribuer à identifier des sociétés de qualité de point de vue opérationnel et financier. Au-delà de l’action d’investissement, on peut imaginer que plus les investisseurs prendront en compte les facteurs d’égalité dans leur processus d’investissement, plus les entreprises seront incitées à apporter de la transparence et à améliorer leurs pratiques.
De fait, nous estimons qu’il faut aller plus loin que l’analyse. En tant qu’investisseur responsable, nous sommes convaincus de la nécessité de mettre en œuvre des actions d’engagement auprès des entreprises dont nous sommes actionnaires pour les accompagner vers de meilleures pratiques : la fixation d’objectifs en termes de mixité, une transparence accrue ainsi qu’un plan d’actions dédié incluant le suivi d’indicateurs clés, des processus volontaristes de recrutement et de promotion, des formations dédiées et des mesures permettant d’assurer l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle.
Nous pensons également que des actions d’engagement collectives de la part des investisseurs sont de nature à faire évoluer les entreprises sur les sujets de mixité. Ainsi, on peut penser par exemple à la déclaration commune de 66 investisseurs en octobre 2019, visant à promouvoir l’égalité femmes-hommes dans les entreprises, ou encore au 30 % Club Investor Group, créé par des sociétés de gestion pour promouvoir une meilleure diversité femmes-hommes au sein des instances dirigeantes des sociétés du SBF 120. Mirova fait partie de ces deux initiatives.
Enfin, travailler de manière concrète sur le sujet de l’égalité femmes-hommes ouvre également la voie à une réflexion plus large sur la nécessité de prendre en compte de l’ensemble des diversités dans l’entreprise, qu’elles soient liées au genre, à l’âge, aux origines sociales, aux différentes cultures, entre autres, et que les entreprises soient le reflet des sociétés dans lesquelles elles évoluent.
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