La santé dopée au Big Data et à la robotique
Le robot Da Vinci (Crédit photo : Intuitive Surgical)
Par Alice Lhabouz, fondatrice et présidente de Trecento AM, et Christophe Pouchoy, analyste-gérant chez Trecento AM
Le secteur de la santé en pleine croissance est une thématique boursière attractive qui offre, par ailleurs, un profil de risque défensif, comme les biens de consommation de base ou les services au public. A court, moyen et long terme, cette dynamique ne devrait pas s’inverser, notamment en raison des avancées technologiques attendues dans le secteur.
Le poids du secteur de la santé dans l’économie est indéniable, la banque mondiale estime que les dépenses de santé représentent 10 % du PIB mondial, soit 7 800 milliards de dollars (ou 1 061 $ par habitant). La taille du secteur s’explique par la diversité des segments et entreprises qui le composent : on dénombre au niveau mondial près de mille quatre cents sociétés cotées de plus de 100 millions d’euros de capitalisation (répartition par segment et taille de capitalisation ci-contre), en majorité des sociétés de petite capitalisation (63 %).
Par segment, les laboratoires pharmaceutiques (36 %) et les biotechnologies (26 %) surpassent en nombre les sociétés de services à la santé (20 %) et de matériel médical (18 %). D’un point de vue géographique,
l’Asie est très dynamique avec 643 sociétés (46 %), soit presque autant que l’Amérique du Nord (485) et l’Europe (215) réunis.
De nombreux catalyseurs dans chaque domaine
Sur le long terme, les catalyseurs principaux restent l’augmentation et le vieillissement de la population mondiale. Celle-ci devrait passer de 7 milliards d’habitants aujourd’hui à plus de 9 milliards en 2040, tandis que les plus de 65 ans, qui représentent environ 8 % de la population mondiale, devraient dépasser les 10 % avant la fin de la décennie, pour converger ensuite à long terme vers la moyenne actuelle de l’Europe (18-20 %). Ce vieillissement de la population engendra une accélération généralisée des dépenses, en médicaments, prothèses ou encore soins hospitaliers, mais nécessitera surtout une réforme significative de la prise en charge de la dépendance (maisons de retraite médicalisées, unités de soins de suite et de rééducation, centres de dialyses, etc.).
Les autres catalyseurs de long terme sont l’innovation technologique et médicamenteuse, ainsi que l’élévation du niveau de vie dans les pays émergents où des systèmes de santé sont également mis en place par les Etats. On observe une corrélation forte entre l’accroissement du niveau de vie par habitant d’un pays et la hausse des dépenses de santé en pourcentage du PIB. Dans les pays émergents, l’enrichissement des ménages les conduit à réduire leur consommation discrétionnaire pour profiter des avancées médicales susceptibles d’améliorer leur santé et de prolonger leur espérance de vie. Entre 2007 et 2013, les dépenses de santé par habitant ont augmenté de 222 % en Chine, 78 % au Brésil et 53 % en Inde, contre 27 % en moyenne dans le monde.
Ces catalyseurs permettent au secteur de la santé de croître de 5% par an en moyenne et, selon des instituts de recherche ou le FMI, cette croissance pourrait s’accélérer au-delà de 6 %. En effet, à plus court et moyen terme, d’autres catalyseurs renforcent le profil attractif du secteur. Chaque sous-segment de la santé vit en effet des mutations profondes, générant actuellement des opportunités d’investissement significatives.
Laboratoires pharmaceutiques
Pour le segment des laboratoires pharmaceutiques, on peut souligner l’essor de nouvelles thérapies en oncologie (thérapies ciblées, immunothérapie) ou dans le traitement des maladies orphelines et auto-immunes, du diabète ou du cholestérol.
Dans les années 1990 et 2000, la « falaise des brevets » sur les médicaments chimiques et la pression sur les prix résultant de l’arrivée de médicaments génériques avait poussé les « big pharmas » à réorienter leur recherche et développement sur les médicaments biologiques, plus difficiles à copier. En prenant conscience de la moindre rentabilité de leurs efforts de R&D interne, les grands laboratoires avaient aussi progressivement réduit le nombre de programmes de recherche, externalisé et délocalisé la conduite des essais cliniques. Puis ils ont accru leurs accords de partenariat, licence ou codéveloppement de molécules avec d’autres laboratoires ou avec de plus petites sociétés biopharmaceutiques innovantes. Enfin ils ont également recentré leurs portefeuilles par cession, échange ou introduction en bourse pour améliorer leur profil de croissance et réallouer leurs investissements et capacités de production sur des thérapies innovantes et mieux margées. Les échanges d’actifs observés ces dernières années (Novartis/GSK, Sanofi/Boehringer Ingelheim) illustrent cette optimisation des portefeuilles selon les priorités stratégiques de chaque groupe.
Les fabricants de génériques
A contrario, les fabricants de génériques bénéficient toujours de l’expiration des brevets (sur les médicaments synthétisés chimiquement), ainsi que de l’émergence des biosimilaires de médicaments biologiques (substance produite à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant ou dérivée de ceux-ci). >>>
Un médicament biosimilaire doit avoir des propriétés physico-chimiques et biologiques similaires, la même substance pharmaceutique et la même forme pharmaceutique que le médicament biologique de référence. Enfin, l’efficacité et la sécurité doivent être équivalentes au médicament de référence.
Le premier biosimilaire a été autorisé en Europe en 2006 et en 2015 aux Etats-Unis, développé et commercialisé dans les deux cas par Sandoz, la filiale génériques de Novartis. Le marché des biosimilaires devrait connaître une croissance forte sur les prochaines années, avec l’expiration de nombreux brevets aux Etats-Unis et en Europe de médicaments biologiques aux ventes significatives, pour atteindre une taille de 18 milliards de dollars en 2025. De plus, la consolidation en cours du secteur des génériques (face à la consolidation des payeurs et la pression sur les prix) est un autre catalyseur, d’autant plus que celle-ci s’est accélérée ces derniers mois. Les rachats d’Hospira par Pfizer, de Meda par Mylan ou encore des activités génériques d’Allergan par Teva en sont les derniers exemples.
Les biotechs
Les biotechnologies poursuivent leur essor à un rythme accéléré, l’approbation et la commercialisation de nouveaux médicaments biologiques ont gonflé leurs résultats et leur ont donné de considérables capacités d’investissement en recherche-développement, présageant d’un renouvellement rapide et important de leur portefeuille, avant l’expiration des brevets de leurs premiers médicaments approuvés. Au-delà des plus anciennes (Amgen, Gilead, Celgene et Biogen) devenues des poids lourds de la cote américaine, de multiples petites structures se créent autour d’équipes de chercheurs du public ou privé afin de poursuivre le développement de molécules précliniques intéressantes. Cela explique le pourcentage élevé (74 %) de petites capitalisations dans le segment biotechs, quand ce pourcentage est plutôt de l’ordre de 60 % dans les autres segments.
Le matériel médical
Pour le segment du matériel médical, l’innovation technologique est un facteur continu de soutien du secteur, impliquant un renouvellement fréquent du matériel et la commercialisation de nouveaux produits (cardiovasculaires, orthopédiques, dentaires notamment). A cela s’ajoutent la reprise économique aux Etats-Unis et l’Obamacare qui contribuent, depuis 2014, à l’amélioration du taux d’utilisation, bénéfique à l’ensemble du secteur. Il est intéressant de noter que, depuis l’entrée en vigueur de l’Obamacare, la part des Américains sans assurance-maladie est tombée de 20,3 à 9,1 % entre le troisième trimestre 2013 et le quatrième trimestre 2015. Le vieillissement de la population engendre toujours une demande significative – et grandissante ! – pour le segment orthopédique (implants vertébraux, prothèses de remplacement de hanche, genou ou extrémités) ou cardiovasculaire (stimulateurs, défibrillateurs ou valves cardiaques de remplacement, stents). Le sous-segment du diagnostic in vitro, le plus important du segment Medtech, devrait afficher la seconde plus forte croissance du segment d’ici 2020, soutenu par la hausse du nombre de maladies chroniques, infectieuses ou des cancers ainsi que les avancées technologiques en matière de tests et analyses.
Les services à la santé
Concernant les services à la santé, l’augmentation du taux d’utilisation dans les pays développés et le vieillissement bénéficient directement aux groupes d’hôpitaux ou clinique privés, de centres de soins et maisons de retraite médicalisées, et indirectement à l’écosystème des fournisseurs du secteur (fabricant d’emballages, acteurs de la stérilisation par exemple). Les services à la santé sont un segment très diversifié, ils incluent également les assureurs santé privé (autres poids lourds de la cote américaine), les sociétés de recherche sous contrat (CRO, Contract Research Organization), les distributeurs de médicaments (dont les réseaux de pharmacie) ou encore les gestionnaires d’assurances santé (PBM, Pharmacy Benefit Manager).
Tous ces segments de la santé connaissent de profondes évolutions pour s’adapter à un monde toujours plus influencé par la révolution technologique des sciences de l’information et la robotique, deux thèmes d’actualité porteurs pour la croissance de la santé.
L’enjeu du Big Data dans la santé
Les interconnexions croissantes de la santé et des technologies numériques ouvrent de nouvelles perspectives pour ces deux disciplines et laissent présager des innovations majeures dans les thérapies ciblées.
La digitalisation de l’économie est devenue un thème majeur de l’actualité, il est donc important de comprendre l’influence et l’impact des nouvelles technologies dans le secteur de la santé, plus précisément sur le thème de la collecte massive de données, le Big Data, et ses bénéfices pour le suivi des patients et le développement de nouvelles thérapies.
Les géants des nouvelles technologies sont conscients du potentiel de celles-ci et se sont lancés dans la santé, notamment Google qui semble avoir pris une longueur d’avance.
On peut citer, par exemple, le partenariat entre Google et Novartis pour tenter de mettre au point et tester des lentilles de contact « intelligentes » et connectées, qui pourraient mesurer la glycémie d’un patient dans les larmes grâce à un capteur du glucose implanté dans la lentille.
Cela éviterait aux patients de devoir se percer le doigt pour récupérer une goutte de sang, geste parfois douloureux qui peut inciter certains patients à diminuer la fréquence des tests.
Dans le segment du diabète, Google a également signé un partenariat avec Sanofi, afin d’améliorer la prise en charge et les résultats cliniques des personnes atteintes de diabète. Cela affecte aujourd’hui 400 millions de personnes et potentiellement 600 millions en 2035.
L’expertise de Google en matière de collecte et d’analyse de données permettra un meilleur suivi des patients par l’analyse en continu de l’observance de leur traitement.
Au-delà de ces partenariats dans le diabète, Google a élargi ses initiatives dans la santé pour s’intéresser à l’utilisation possible de ses capacités d’analyse de données dans le séquençage ou l’identification de biomarqueurs.
Dès 2007, Google Ventures a investi dans la société de séquençage du génome 23andme, qui propose aujourd’hui pour 149 dollars une analyse du code génétique de ses clients (en partenariat avec la MedTech américaine Illumina) et les informe de mutations génétiques qui pourraient affecter leurs enfants, dans l’hypothèse où leur conjoint aurait les mêmes mutations et que leurs enfants en hériteraient. La société communiquera des informations sur 36 maladies liées à ces mutations, dont la mucoviscidose, la drépanocytose ou la maladie de Tay-Sachs.
Au-delà de l’intérêt que cela suscite pour chaque individu, l’enjeu pour 23andme est d’obtenir le consentement de ses clients pour qu’ils acceptent de partager leurs informations génétiques dans le cadre d’études cliniques, données que les grands laboratoires comme Pfizer ou Genentech sont prêts à payer pour les utiliser dans leur développement de médicaments.
L’objectif ultime de ces sociétés est d’effectuer des études génomiques sur de grands échantillons qui pourraient leur permettre d’identifier des composés actifs dans certaines maladies génétiques. Il est en effet beaucoup plus rentable de céder une licence sur une molécule expérimentale que de vendre des données brutes.
Le Big Data pourrait répondre à l’enjeu majeur de la santé : le développement de nouveaux médicaments ou le ciblage des traitements pour chaque patient.
En 2015, Google X Lab et Biogen ont annoncé un partenariat pour étudier les déterminants biologiques et environnementaux dans la progression de la sclérose en plaques, maladie dégénérative contre laquelle Biogen propose des thérapies innovantes. Cette collaboration permettra à Biogen de mieux guider la prescription des médicaments et d’identifier de nouvelles pistes pour développer de nouvelles molécules.
Il devient clair que l’analyse massive de données (séquençage, analyse des modes de vie des patients ou identification de biomarqueurs) pourrait bouleverser le diagnostic et le traitement des maladies. Non seulement la sélection des patients dans les essais cliniques pourrait être plus fine, réduisant les échecs, mais il serait également possible de personnaliser le traitement d’un patient en fonction des biomarqueurs qu’il présente.
C’est une tendance que l’on observe déjà dans l’oncologie, notamment avec l’arrivée des nouvelles thérapies d’immuno-oncologie, dont le coût implique de les réserver aux patients dont les systèmes immunitaires seraient les plus susceptibles d’y être réceptifs.
La révolution de la robotique dans la santé
Comme dans bien d’autres secteurs, la robotique connaît un essor fulgurant dans la santé (robots chirurgiens notamment), mais ses applications actuelles restent encore limitées au regard de son potentiel.
La robotique a depuis longtemps accompagné le développement du secteur de la santé. Les usines de production de médicaments ont été progressivement automatisées avec des robots industriels. Les robots hérités des systèmes industriels se sont multipliés dans des tâches où ils ne sont pas au contact du patient comme la radiologie ou la radiothérapie. Les robots médicaux (dont le robot chirurgien Da Vinci) ont fait leur apparition grâce à des contrats passés avec le ministère américain de la défense. Mais le vieillissement mondial de la population et les nombreux handicaps moteur ou sensoriel nécessitent désormais des innovations majeures dans le maintien à domicile (via la téléassistance), dans l’assistance physique, la rééducation, ou les assistants multitâches ou « intelligents ».
L’essor de la robotique dans la santé a été particulièrement visible en 2000 lorsque la FDA a approuvé l’utilisation du robot chirurgical Da Vinci d’Intuitive Surgical. Depuis son autorisation, le robot Da Vinci a été utilisé dans plus de 3 millions d’opérations. C’est une interface informatique qui permet aux chirurgiens de piloter à distance des outils de chirurgie minimalement invasifs dans de meilleures conditions de confort et de sécurité. Ce robot est très utilisé en urologie, gynécologie, ORL ou encore en chirurgie digestive ou vasculaire.
La société française Medtech est également devenue célèbre avec son robot Rosa, qui comme le Da Vinci confère une dextérité, une visibilité, une précision et une liberté de mouvement plus satisfaisantes aux chirurgiens.
La robotique a ensuite apporté une nouvelle vague d’innovation en orthopédie. Les robots peuvent soit être utilisés en mode automatique (découpage d’os pour une implantation de prothèse selon un plan prédéfini par le chirurgien), soit en comanipulation avec le chirurgien pour éviter toute pénétration de l’instrument chirurgical dans une zone dangereuse et limiter les déplacements à des zones prédéfinies. Deux acquisitions ont marqué les esprits des investisseurs du secteur : celle de Mako par Stryker en 2013 et celle de Blue Belt Technologies (robot Navio) par Smith & Nephew en 2015. La chirurgie orthopédique robotisée pourrait devenir un marché de 930 millions de dollars, d’ici 2020, selon Goldman Sachs (vs. 200 millions de dollars aujourd’hui). Stryker pourrait capter la majorité de ce nouveau marché grâce à son statut de pionnier sur celui-ci ainsi que sa force de distribution dans le monde entier.
Une autre utilité sanitaire de la robotique médicale concerne les services de santé, notamment l’assistance à la personne où les applications sont multiples.
Dans les hôpitaux par exemple, le robot TUG d’Aethon, qui sait se déplacer dans un environnement non prévisible (couloirs, ascenseurs, etc.), a permis d’automatiser des tâches non répétitives, comme la distribution de médicaments ou de repas à l’hôpital.
Un autre exemple est le robot japonais Paro, en forme de gros bébé phoque : c’est un automate de compagnie, qui répond aux câlins et tourne la tête comme s’il suivait une conversation humaine. Il aurait un effet apaisant sur les seniors touchés par la maladie d’Alzheimer et aide à lutter contre l’anxiété des patients. L’étape suivante sera de développer un robot compagnon humanoïde autonome, comme essaie le roboticien Hiroshi Ishiguro avec son Geminoid doté d’une peau en silicone.
Il n’en demeure pas moins que les applications actuelles de la robotique dans la santé n’en sont qu’à un début, et que leur potentiel reste vaste.
La complexification croissante des logiciels opérant les robots permettra d’étendre progressivement les fonctionnalités et les services proposés par les robots. L’arrivée éventuelle de forme partielle ou totale d’intelligence artificielle ne fera qu’accroître l’autonomie et les capacités des robots. L’interaction humaine restera vitale dans la santé mais les robots sont amenés à devenir des assistants de plus en plus sophistiqués dans les différents métiers des prestations de services de soins.
La miniaturisation robotique via la microrobotique ou la nanorobotique contribuera également à l’essor de nouvelles applications santé : exosquelettes, robots-bactéries (bactéribots) en capsules ingérables, organes bioniques, etc.
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