Est-ce que loger gratuitement un enfant est constitutif d’une donation ?
Par Stéphane Jacquin, associé-gérant, responsable de l'ingénierie patrimoniale de Lazard Frères Gestion
Loger gratuitement un enfant peut être considéré comme une donation indirecte devant être rapportée à la succession si, ce faisant, les parents étaient animés d’une intention libérale. Afin de limiter le risque de conflit familial, certaines dispositions peuvent être prises en amont.
Il n’est pas rare que des parents logent gratuitement un enfant dans un bien leur appartenant. Le plus souvent, cette situation est considérée par les parents comme un devoir familial, un service rendu et non comme une donation.
Il peut d’ailleurs s’agir d’une obligation légale pour les parents. Cela sera le cas si l’enfant n’a pas ou peu de revenus, par exemple, parce qu’il est étudiant. En effet, dans une telle situation, les parents sont tenus de subvenir aux besoins de leur enfant à proportion de leurs ressources.
En revanche, dans les situations dans lesquelles il n’y a pas d’obligation pour les parents de venir en aide à leur enfant, le fait de le loger gratuitement peut générer, au moment du règlement de la succession, des interrogations quant aux motivations de cette mise à disposition gratuite. Il peut alors être difficile d’établir qu’elle était leur intention.
Les récentes décisions de la cour d’appel de Poitiers et de la Cour de cassation (arrêt du 2 mars 2022) ont confirmé que la mise à disposition gratuite d’un bien par un parent à un enfant est constitutif d’une donation indirecte si le parent est animé d’une intention libérale. Auquel cas, l’avantage doit faire l’objet d’un rapport à la succession. À l’inverse, si en logeant gratuitement un enfant, un parent n’est pas animé d’une intention libérale, il n’y a pas de donation indirecte et donc pas lieu à rapport.
En cas de doute, la mise à disposition gratuite devrait être considérée comme une aide et non comme une libéralité rapportable. Cela étant, afin de limiter le risque de conflit entre les enfants, il peut être souhaitable pour le parent d’indiquer quelle était son intention en accordant la jouissance gratuite d’un logement à un enfant.
Les contentieux qui ont donné lieu à des décisions de la Cour de cassation en matière d’occupation gratuite d’un logement par un enfant ont tous été provoqués par un autre membre de la fratrie et non par l’administration fiscale. En revanche, si à raison d’un conflit familial, il est considéré qu’une mise à disposition gratuite d’un logement est constitutif d’une libéralité rapportable, alors cela emportera des conséquences au plan fiscal.
En effet, l’article 784 du Code Général des Impôts impose de rappeler lors d’une succession toutes les donations reçues par les héritiers. Cette obligation au rappel fiscal s’applique donc notamment aux donations indirectes.
Enfin, précisons que la solution qui consisterait pour un parent à demander à un enfant occupant un logement lui appartenant de lui verser une indemnité afin d’écarter le risque d’une contestation par un autre enfant doit être évitée.
En effet, dans ce cas, les sommes versées par l’enfant seraient constitutives d’un loyer et seraient taxables chez les parents à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Au surplus, si le loyer versé est inférieur à un loyer de marché, les parents risquent d’être imposés sur la valeur locative de marché.
En effet, en matière d’impôt sur le revenu, il est prévu que le propriétaire est censé se réserver la jouissance des logements qu’il occupe à titre de résidence principale ou secondaire ainsi que des logements qu’il laisse à la disposition de tiers sans y être tenu par un contrat de location. Dans ce cas et en application de l’article 15 II du CGI, le contribuable est exonéré sur le revenu théorique desdits logements.
À l’inverse, si le logement est loué à un membre de la famille, le propriétaire ne sera plus considéré comme jouissant du logement et sera soumis aux règles prévues à l’égard des immeubles donnés en location, mais l’administration fiscale sera alors fondée, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, à considérer le bail comme anormal en présence d’un loyer de faveur et à imposer le contribuable sur le loyer que le propriétaire pourrait normalement retirer de la location de ce logement.
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